Notre système économique capitaliste de consommation a été conçu assez récemment, à une époque où les conditions étaient très différentes de celles d’aujourd’hui. Mais nous sommes maintenant tellement ancré.e.s dans ce système que beaucoup le considèrent comme réel et immuable, malgré l’inégalité croissante et l’écocide qu’il favorise.
Herman Daly ne faisait pas partie de ces personnes. « Il y a quelque chose de fondamentalement mauvais à traiter la Terre comme s’il s’agissait d’une entreprise en liquidation », a déclaré le célèbre ancien économiste de la Banque mondiale et penseur visionnaire.
Daly est décédé le 28 octobre 2022, à l’âge de 84 ans. Connu pour ses contributions à l’économie « stable » et écologique, il a grandement influencé ma réflexion sur l’économie et l’environnement.
Pour « avoir défini une voie de l’économie écologique qui intègre les éléments clés de l’éthique, de la qualité de vie, de l’environnement et de la communauté », Daly a reçu le Right Livelihood Award en 1996. (J’ai eu moi-même l’honneur de recevoir ce prix à mon tour en 2009.)
Le directeur général de Right Livelihood, Ole von Uexkull, a résumé ainsi les contributions de Daly : « Herman Daly a redéfini l’économie, en forgeant une voie d’avenir qui n’inclut pas la destruction de notre environnement pour un gain économique. Il a cherché à rétrograder la notion de croissance comme le plus important moteur économique et à la remplacer par un modèle qui respecte les limites de nos ressources naturelles. Il est désormais impératif pour nous de mettre en œuvre ses contributions et d’assurer une vie durable sur notre planète ».
Herman Daly a redéfini l’économie, en forgeant une voie d’avenir qui n’inclut pas la destruction de notre environnement pour un gain économique.
Daly savait que glorifier la poursuite d’une constante croissance sur une planète finie et sans jamais corriger le tir est suicidaire. La gravité, la vitesse de la lumière, l’entropie et les lois de la thermodynamique sont des forces de la nature. Nous ne pouvons rien y faire, sauf vivre dans les limites qu’elles définissent.
Mais nous avons créé l’économie. Si elle ne fonctionne pas, nous devons la corriger ou la remplacer.
Plusieurs ont également révélé la nature archaïque de notre système et développé des modèles mieux adaptés à notre époque et à nos conditions. « L’économie du Donut », théorie développée par l’économiste d’Oxford Kate Raworth, offre un moyen pratique de réaliser cette remise en question et la réforme que Daly préconisait.
Nous ne pouvons pas mettre l’économie au-dessus de l’environnement ni les opposer l’un à l’autre. Comme l’a dit Daly, « l’économie est une filiale à part entière de l’environnement, et non l’inverse ». Nous faisons partie de la nature, et tout dans la nature, y compris nous, est interconnecté. Ce que nous lui faisons, nous le faisons à nous-mêmes. L’accélération de l’exploitation des combustibles fossiles, de la déforestation, de l’exploitation minière, de la destruction des zones humides et du consumérisme a des conséquences considérables et interdépendantes, du chaos climatique au déclin de la biodiversité en passant par les pénuries d’eau.
Nous ne pouvons pas mettre l’économie au-dessus de l’environnement ni les opposer l’un à l’autre.
Nous nous sommes mis.e.s dans ce pétrin principalement par erreur et par ignorance. Nous n’avons pas réussi à y remédier de manière adéquate en raison de la cupidité et de la peur du changement. Cette peur – et le doute – a été alimentée pendant des décennies par l’industrie du pétrole, du charbon et du gaz, qui a dépensé d’énormes quantités de temps et d’argent pour convaincre les gens que le changement climatique n’est pas un gros problème et qu’il serait trop coûteux et perturbateur de passer aux énergies renouvelables – même si leurs propres scientifiques ont averti du danger dès les années 1970 et même plus tôt que cela!
Le système actuel continue de récompenser ce comportement par des bénéfices records, des rémunérations massives pour les dirigeant.e.s et peu de conséquences.
Comme le note Right Livelihood, « l’application magistrale de Daly, des concepts classiques de capital et de revenu, aux ressources et à l’environnement, aux lois de la thermodynamique et aux connaissances de l’écologie […] a permis de faire un bond en avant dans la compréhension des raisons pour lesquelles les systèmes économiques dominants détruisent l’environnement » et « a profondément influencé le débat sur ce qui devrait être fait à ce sujet ».
Le système actuel continue de récompenser ce comportement par des bénéfices records, des rémunérations massives pour les dirigeant.e.s et peu de conséquences.
Daly a soutenu qu’il est faux de supposer que la croissance augmente le niveau de vie, car le produit intérieur brut en tant que mesure ne tient compte que des avantages, laissant de côté les coûts pour la santé humaine, l’environnement et la capacité des générations futures à bien vivre. Il a également fait valoir que « la partie riche du monde doit faire de la place écologique pour que les pauvres puissent rattraper un niveau de vie acceptable. Cela implique de réduire la consommation par habitant.e, afin que nous ne monopolisions pas toutes les ressources dans une consommation futile ».
Nous roulons sur une route défoncée dans un véhicule désuet et gourmand en essence. Il est grand temps de passer au 21e siècle. Si nous continuons à définir le progrès par une croissance et un PIB toujours plus élevés, et à nous accrocher à un système archaïque qui encourage le gaspillage, la destruction et la cupidité, nous tomberons bientôt en panne ou à court de carburant.
On dit souvent que les personnes visionnaires sont « en avance sur leur temps ». Avec Daly, c’est plutôt que nous sommes en retard sur son temps! Nous devons rattraper notre retard. Rapidement.
Pour un aperçu détaillé de la vie et des idées de Daly, lisez le récent livre de l’économiste (et membre honoraire du conseil d’administration de la Fondation David Suzuki) Peter Victor, intitulé Herman Daly’s Economics for a Full World (en anglais).