Entrevue avec Nicole Desgagnés, du comité Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET)
La ville de Rouyn-Noranda est située sur les rives du lac Osisko, en Abitibi-Témiscamingue. Connue pour l’extraction des matières premières, son économie a longtemps été dominée par la fonderie Horne, une usine de transformation du cuivre appartenant aujourd’hui à la multinationale Glencore. Cependant, cette petite ville jadis paisible n’a cessé de défrayer la manchette depuis qu’une série de révélations récentes concernant les effets de la contamination toxique sur les enfants de la région ont engendré une vaste mobilisation citoyenne pour inciter le gouvernement à instaurer des normes de santé publique plus strictes afin de protéger la population.
Nicole Desgagnés, membre du comité citoyen Arrêt des rejets et émissions toxiques de Rouyn-Noranda (ARET), relate les événements qui ont conduit à la formation de son groupe. Elle explique qu’en 1979, l’amélioration des conditions de travail des employé-es des usines minières suite aux mobilisations ouvrières s’est effectuée simultanément avec la création du Bureau des études des substances toxiques (BEST), un organisme provincial ayant pour mandat d’étudier les effets de la contamination chimique sur la biodiversité et les humains. Une étude réalisée à cette époque a alors révélé que la population de Rouyn-Noranda souffrait d’empoisonnement au plomb de manière disproportionnée et qu’il y avait un taux élevé de soufre dans l’air. Suite aux initiatives des habitant-es de la région, la fonderie Horne a développé une usine d’acide sulfurique récupérant 50% du soufre émis (97% aujourd’hui) afin d’atténuer la pollution.
Cependant, cette petite ville jadis paisible n’a cessé de défrayer la manchette depuis qu’une série de révélations récentes concernant les effets de la contamination toxique sur les enfants de la région ont engendré une vaste mobilisation citoyenne pour inciter le gouvernement à instaurer des normes de santé publique plus strictes afin de protéger la population.
Transparence et risques
Le BEST avait aussi découvert que les sols du quartier Notre-Dame contenaient des concentrations en plomb extrêmement élevées, ce qui menaçait la santé des enfants. Pour y remédier, le gouvernement a ordonné la revitalisation des terrains, ce qui consistait à recouvrir les aires de jeux d’une couche de terre épaisse pour diminuer le contact des enfants avec le sol contaminé. Pourtant, cette opération est demeurée largement inconnue des habitant-es du quartier, qui n’ont jamais été informé-es des risques encourus.
À l’hiver 2019, les résultats d’une seconde étude entreprise par la Direction de la santé publique en 2018 sur l’effet du plomb, de l’arsenic et du cadmium chez environ 40 enfants âgés de 2 à 5 ans du quartier Notre-Dame sont publiés. Le choc est immense pour la population : l’étude révèle une imprégnation importante à l’arsenic des enfants qui peut entrainer des effets sur le développement physique et psychologique des enfants, allant de maladies respiratoires à un quotient intellectuel affaibli.
Nicole se rappelle d’avoir accueilli les résultats de la nouvelle étude avec « scepticisme ». Ayant fait carrière dans la gestion des services de santé, elle pensait que ces informations auraient été partagées avec le public il y a longtemps, étant donné leur caractère accablant. «J’ai été infirmière et je n’avais jamais entendu parler de ça», explique-t-elle. Elle s’est rapidement désillusionnée lorsque d’autres révélations dissimulées au sujet des effets de la contamination chimique et de l’inaction du gouvernement ont fait surface. En 1982, la Santé publique avait découvert que les résident-es de Rouyn-Noranda couraient des risques de cancer plus élevés que la population générale en raison de la contamination. En 1993, le gouvernement fédéral avait sorti un avis qui prescrivait des suivis réguliers pour les personnes empoisonnées à l’arsenic. En 2004, le taux de concentration de substances chimiques avait atteint un pic de 1000 nanogrammes, soit dix fois plus élevé que le taux recommandé… Et personne n’a été mis au courant avant 2019.
En 1982, la Santé publique avait découvert que les résident-es de Rouyn-Noranda couraient des risques de cancer plus élevés que la population générale en raison de la contamination.
Un mouvement citoyen mobilisé pour un avenir sain
La grogne croissante des habitant-es de la région a rapidement motivé la création d’un comité citoyen, composé majoritairement de parents et de grands-parents dont les enfants et les petits-enfants ont été testé-es par la Santé publique. Appuyé-es par d’ancien-nes professionnel-les de la santé, iels ont organisé des rencontres d’information et des séances de porte-à-porte afin d’éduquer la population en vulgarisant le contenu des rapports gouvernementaux. Après plusieurs semaines de rédaction de pétitions, de lettres ouvertes et de mobilisation citoyenne en opposition à la fonderie, qui est quant à elle allée jusqu’à payer des expert-es pour contredire le rapport de la Santé publique, le gouvernement a finalement exigé un plan d’action de l’entreprise pour réduire les taux de concentration chimique dans l’air.
Le comité citoyen n’est cependant pas satisfait des mesures entreprises par la Santé publique. « On en veut plus », illustre Nicole en soulignant que les solutions suggérées par Glencore, comme de mieux paver le terrain industriel et dépoussiérer davantage le sol, sont « peu éloquentes et peu ambitieuses ». Elle déplore également que le gouvernement a refusé de prendre au sérieux les inquiétudes des habitant-es lors d’une consultation en 2019, en racontant que le ministre de l’Environnement Benoît Charette et le directeur national de la Santé publique Dr Horacio Arruda se sont montrés « paternalistes » à leur égard. Après cette rencontre, le Dr Arruda aurait demandé à son département de retirer l’annexe du rapport public dans lequel figuraient les données sur les risques élevés du cancer pulmonaire des résident-es de Rouyn-Noranda, donnant lieu à un second scandale lorsqu’un journaliste en a fait la découverte.
La grogne croissante des habitant-es de la région a rapidement motivé la création d’un comité citoyen, composé majoritairement de parents et de grands-parents dont les enfants et les petits-enfants ont été testé-es par la Santé publique.
Pour une meilleure qualité de l’air
Si le l’ARET bénéficie d’un large soutien de la population, le militantisme entraîne inévitablement des tensions au sein de la ville où la fonderie assure environ 600 emplois. Nicole explique qu’alors que certain-es employé-es de la fonderie démissionnent, d’autres sont confronté-es à des conflits d’intérêts, déchiré-es entre la santé de leurs enfants et le refus d’admettre leur contribution (même inconsciente, indirecte et non-consentante) à un projet dangereux. Face à des loyautés divergentes, les membres du comité sont conscient-es que le tissu social risque de s’effriter: avec la fonderie qui propage de la désinformation auprès de ses employé-es, le climat peut devenir hostile. Le groupe navigue ces enjeux délicats en proposant des solutions durables aux employé-es de la fonderie, « qui sont dans le même seau que nous » selon Nicole. Elle soutient que la diversification économique dans les secteurs de l’éducation, des arts et de la culture permettrait à la ville de prospérer sans la fonderie, qui n’est depuis fort longtemps plus la source de revenus principale de Rouyn-Noranda.
Pour la suite, Nicole décrit l’avenir du comité citoyen de Rouyn-Noranda avec optimisme. Le groupe veut se montrer plus revendicateur en organisant davantage de mobilisations citoyennes. Même si la pandémie a forcé le groupe à mettre sur pause les actions publiques, ses membres se mobilisent toujours pour que le gouvernement établisse des normes de qualité de l’air et du sol préservant réellement la santé des citoyen-nes de Rouyn-Noranda. « On ne s’adresse pas à la fonderie mais à la Santé publique », soutient Nicole, qui rappelle que c’est à l’État que revient la responsabilité de défendre la population contre la quête de profits des entreprises multinationales.