L’été dernier, alors que l’Alberta traversait une saison de feux de forêt sans précédent, un animateur de baladodiffusion a questionné Danielle Smith, première ministre de la province, au sujet de la relation entre les feux, les changements climatiques et l’opposition de son gouvernement aux politiques fédérales en matière de climat. « Je crois que, comme moi, vous êtes témoin des nombreux cas d’incendies criminels », a-t-elle répondu. « Je suis très inquiète de la présence de pyromanes. »
Elle n’est pas la seule à rejeter la faute sur les incendies criminels, la foudre ou les politiques forestières pour expliquer l’intensification des feux de forêt et l’allongement des saisons d’incendies. Ce sont effectivement des facteurs qui entrent en jeu, mais ils ne sont pas le cœur du problème. Que ces feux soient déclenchés de façon volontaire ou accidentelle ou qu’ils soient causés par la foudre, le réchauffement planétaire anthropique ne fait qu’augmenter leur probabilité et leur ardeur. (Les incendies criminels et accidentels provoquent bel et bien des feux de forêt, mais l’étincelle qui les embrase la plupart du temps, c’est la foudre.)
Tous les ans, les conséquences des feux de forêt associés aux changements climatiques ne font qu’empirer : c’est à notre classe dirigeante, plus particulièrement, qu’il revient de jeter un regard réaliste sur les causes et les solutions. La tristesse est normale face à la dévastation causée par les feux de forêt, mais les larmes n’éteindront pas les flammes qui ont forcé les gens à quitter leur logement et leur communauté, détruit des villages entiers, contaminé l’air sur de vastes étendues, générant ainsi des problèmes de santé, provoquant la mort et faisant fuir la faune – du moins les animaux qui ont eu la chance d’y échapper. À cela s’ajoutent l’augmentation constante des primes d’assurance et même l’impossibilité d’assurer des maisons situées dans les zones à haut risque.
Tous les ans, les conséquences des feux de forêt associés aux changements climatiques ne font qu’empirer : c’est à notre classe dirigeante, plus particulièrement, qu’il revient de jeter un regard réaliste sur les causes et les solutions.
Dans son ouvrage Fire Weather: The Making of a Beast, qui porte sur les feux de forêt tragiques de 2016 ayant dévasté Fort McMurray, siège des sables bitumineux de l’Alberta, l’écrivain John Vaillant raconte en détail l’ampleur du désastre : des véhicules et des domiciles volatilisés (en partie parce qu’ils étaient pour la plupart composés de produits dérivés du pétrole, comme le revêtement en vinyle) et un bilan de 88 000 personnes qui ont dû fuir leur maison en un après-midi.
Un climat toujours plus chaud et sec sur des périodes chaque fois plus longues augmente la probabilité d’incendies et leur capacité à se propager rapidement. De plus, le réchauffement de la planète entraîne une augmentation de la foudre. Pour couronner le tout, des insectes comme le dendroctone du pin, autrefois maîtrisés par les hivers très froids, prolifèrent maintenant, tuant une quantité phénoménale d’arbres qui, une fois morts, sèchent et exacerbent les risques d’incendie. Pensez à la facilité avec laquelle on allume un feu de camp avec des bûches et du bois d’allumage secs, par rapport aux efforts à déployer lorsqu’on le fait avec du bois ne serait-ce que légèrement humide.
La combustion du charbon, du pétrole et du gaz a mené la planète à se réchauffer à un rythme jamais vu, créant les conditions pour des feux de forêt de plus en plus graves. De nos jours, les saisons de feux de forêt commencent plus tôt et durent plus longtemps. Les flammes sont de plus en plus difficiles à maîtriser, même que certains feux continuent de se consumer tout au long de l’hiver. L’Institut climatique du Canada souligne qu’en 2023, les feux ont brûlé, sur tout le territoire national, « 16,5 millions d’hectares, soit plus du double du record précédent et près de sept fois la moyenne historique ».
Un climat toujours plus chaud et sec sur des périodes chaque fois plus longues augmente la probabilité d’incendies et leur capacité à se propager rapidement.
Les pratiques de gestion forestière jouent assurément un rôle. L’accumulation des broussailles et des débris (branches tombées, souches, feuilles mortes) dans une forêt due à la négligence, à l’exploitation forestière ou à l’extinction de petits incendies peut augmenter le risque de feux de forêt plus importants. Le brûlage contrôlé ou dirigé, fondé entre autres sur les pratiques autochtones de « brûlage culturel », constitue une stratégie de prévention des feux de forêt incontrôlables de plus en plus reconnue.
Le brûlage contrôlé se réalise dans des conditions et à des moments où les risques sont faibles, dans le but d’éliminer les débris et les broussailles. Il peut parfois inclure des brûlages extensifs (sur une grande étendue forestière) ou des brûlages « en tas » (on empile les débris et la végétation et on brûle les tas individuellement).
Face à l’aggravation des feux de forêt, il devient également important de multiplier et d’améliorer les stratégies employées pour protéger les maisons et les communautés, surtout dans le contexte où les zones habitées empiètent de plus en plus sur les espaces boisés. Le gouvernement de l’Alberta n’en a pas tenu compte : en 2019, peu après avoir été élu, il a fermé 26 tours d’observation actives de la province, mis fin au financement d’un programme de lutte contre les incendies, le Rappel Attack Program, et a par la suite procédé à des réductions de personnel et à des coupures de programmes dans des organismes luttant contre les feux de forêt (source en anglais).
La planète brûle, mais des solutions existent.
C’est un véritable cercle vicieux : la multiplication des feux de forêt ainsi que l’augmentation de leur durée et de leur intensité contribuent aux changements climatiques qui, à leur tour, créent les conditions propices pour ces incendies. Les arbres emmagasinent du carbone – voilà pourquoi on dit des forêts qu’elles sont des « puits de carbone » – et, ainsi, agissent comme un frein contre les changements climatiques. Lorsque les arbres brûlent, du carbone est libéré dans l’atmosphère, ce qui contribue au réchauffement planétaire.
Compte tenu des nombreux gaz à effet de serre que nous avons déjà libérés dans l’atmosphère (le dioxyde de carbone, par exemple), nous devrons faire face à une intensification des feux de forêt dans les années à venir. Nous pouvons réduire les risques à venir en abandonnant les combustibles fossiles polluants au profit d’énergies plus propres et en protégeant les espaces verts, mais une bonne gestion forestière est également de mise.
La planète brûle, mais des solutions existent. Tous les ans, les conséquences sur la santé et la vie humaines, sur les infrastructures et sur la faune se multiplient : il nous faut faire tout ce qui est en notre pouvoir pour y remédier. Il est plus que temps d’affronter la réalité.