Manifestation à l'entrée du port de Vancouver en 2020 en soutien aux défenseur.e.s des terres Wet'suwet'en. Les défenseur.e.s des terres et des droits autochtones ont été parmi les opposant.e.s les plus engagé.e.s face à ces initiatives de déréglementation. (Photo : Sally T. Buck via Flickr)

La nature est la fondation de tous les aspects de nos vies. Nous avons toutes et tous besoin de nourriture, d’air et d’eau. Mais la nature n’est pas notre seule fondation; les histoires sont tout aussi fondamentales. Sans elles, nous ne serions pas en mesure de comprendre le monde ni de créer du sens au sein de ce monde.

La nature soutient les économies humaines. Plus généralement, les économies sont bâties sur des histoires communément admises et selon lesquelles nous nous mettons d’accord sur les moyens d’échanger des biens et des services et d’attribuer de la valeur aux produits et à la main-d’œuvre. L’économie est une histoire de société, tout comme les différents récits qui la composent.

Ces récits peuvent nous insuffler du désir, du contentement ou de la peur (entre autres émotions). Les personnes qui profitent du désir ou de la peur sont souvent dirigées par celles qui ont quelque chose à gagner de la prolifération de ces émotions, c’est-à-dire celles au pouvoir qui cherchent à justifier leurs actions, ou celles qui vendent des biens.

La nature soutient les économies humaines.

Un récit bien ficelé qui alimente l’élaboration des politiques en ce moment est que les protections environnementales retardent le développement et entravent les activités d’extraction, et constituent donc des obstacles au « progrès ».

Les exemples sont nombreux. Ils comprennent l’adoption du projet de loi 15 de la Colombie-Britannique, la Infrastructure Projects Act, en vertu duquel les projets qui sont « dans l’intérêt provincial » (comme les mines et les activités d’extraction de gaz par fracturation hydraulique) peuvent être accélérés. De même, le projet de loi C-5, la Loi visant à bâtir le Canada, permet d’accélérer la réalisation d’infrastructures jugées comme étant d’« intérêt national ». Le projet de loi 5 récemment adopté, la Loi pour protéger l’Ontario en libérant son économie, élimine la Loi sur les espèces en voie de disparition tout en accordant le pouvoir absolu au premier ministre de l’Ontario, au cabinet et, par procuration, à des « promoteurs fiables » de ne pas tenir compte des mesures environnementales et des autres mesures dans des « zones économiques spéciales » qui restent encore à déterminer, notamment le cercle de feu, une zone de gisements minéraux dans le nord de l’Ontario sur les territoires traditionnels des Premières Nations (article en anglais).

Ces textes de loi impliquent que le respect des droits autochtones entrave également le progrès économique, car chacun d’eux a été conçu avec le potentiel de contourner les processus normalisés de consultation, et aucun ne reflète l’engagement international du Canada d’obtenir le consentement libre, préalable et éclairé des nations autochtones avant d’approuver le développement.

L’instabilité économique est un terrain fertile dans lequel les récits fondés sur la peur peuvent s’implanter.

Les politiciens qui ont soutenu l’élaboration de ces lois ont vanté la prospérité, la force et la souveraineté du Canada face à l’incertitude économique causée par l’administration américaine.

L’instabilité économique est un terrain fertile dans lequel les récits fondés sur la peur peuvent s’implanter. L’économie chancelante de l’Allemagne a attisé le nazisme, l’histoire selon laquelle les personnes subversives et radicales étaient responsables des problèmes économiques du pays a alimenté les actions de la junte militaire en Argentine, et Trump est arrivé au pouvoir aux États-Unis après avoir raconté des histoires de systèmes truqués et d’immigrant.e.s volant des emplois.

Au Canada, le discours selon lequel les protections environnementales devraient être abandonnées afin d’accélérer l’extraction des ressources a eu un tel succès que les premiers ministres de l’Ontario et de l’Alberta ont écrit au premier ministre du Canada (source en anglais) en exigeant, pour « contrer les impacts de la politique commerciale des États-Unis », que les mesures fédérales restantes de protection de l’environnement soient abrogées, y compris la Loi sur l’évaluation d’impact, le Règlement sur l’électricité propre, la Loi sur la tarification de la pollution causée par les gaz à effet de serre et la Loi sur les espèces en péril. Il et elle ont même eu le culot d’exiger que le gouvernement fédéral « s’abstienne de réintroduire » une loi « concernant l’eau, l’eau de source, l’eau potable, les eaux usées et les infrastructures connexes sur les terres des Premières Nations ».

Personne ne peut nous forcer à accepter les histoires racontées par les autres.

Les défenseur.e.s des droits et des terres autochtones ont été parmi les opposant.e.s les plus virulent.e.s à ces initiatives de dérèglementation. En Ontario, neuf Premières Nations ont lancé une contestation judiciaire (en anglais seulement) pour faire annuler le projet de loi 5 de l’Ontario et le projet de loi C-5 fédéral, affirmant que « les retards résultent des choix de la Couronne et des bureaucraties complexes, et non des Premières Nations », et que « de faire des changements maintenant dans un effort pour “simplifier” (ou réaliser à toute vitesse) les projets ne peut se faire au détriment des Premières Nations, de leurs droits, de la Constitution et de la réconciliation » (source en anglais).

Nous croyons souvent aux récits largement diffusés sans nous en rendre compte. Beaucoup de gens acceptent simplement l’histoire selon laquelle les règlements visant à protéger l’environnement constituent un obstacle inutile, malgré les preuves que les mesures de protection existantes du Canada ont été insuffisantes pour arrêter ou inverser la perte de biodiversité (article en anglais).

Personne ne peut nous forcer à accepter les histoires racontées par les autres. Nous sommes libres de créer nos propres histoires qui vont à l’encontre de celles qui favorisent les gains économiques de l’extraction des ressources à court terme plutôt que la planification pour un avenir sain à long terme. Plusieurs d’entre nous connaissent des histoires dans lesquelles le Canada respecte les droits et les responsabilités des Autochtones, et dans lesquelles le fait que nous ne pouvons avoir des économies saines sans écosystèmes sains pour les soutenir est reconnu. Ces histoires ne représentent pas simplement une réalité différente; elles contribuent à façonner un avenir différent.