La gestion des populations d’orignaux au Canada est particulière, comparativement à celle d’autres espèces animales. Les principales causes du déclin de la plupart des espèces canadiennes sont la perte et la fragmentation des habitats. Pourtant, l’orignal adore le nouveau viandis qui apparaît après la perturbation d’une zone, et on a donc longtemps pensé qu’il profitait des activités industrielles telles que la coupe à blanc. Comme l’orignal est chassé à grande échelle, on impose aux provinces et territoires de gérer leur habitat pour assurer des populations saines et d’accorder des permis de chasse aux chasseurs.
Bien que le Canada ne considère pas l’orignal comme étant une espèce menacée à l’échelle nationale, de plus en plus de rapports confirment son inquiétant déclin dans de nombreuses provinces. Les gouvernements citent un éventail de facteurs, dont la maladie, le changement climatique, les parasites et l’altération de l’habitat.
« Je suis d’avis que la population se dirige vers une crise et si l’on ne freine pas le déclin, on pourrait se retrouver dans une situation où il faudra plusieurs décennies pour la régler », explique le biologiste de l’orignal ontarien à la retraite Alan Bisset à propos de sa province. « Si leur nombre diminue trop, la prédation et la chasse non réglementée pourraient empêcher la croissance de la population et pire, mener à sa disparition à l’échelle locale. »
Depuis que les gouvernements contrôlent la chasse, une baisse du nombre de permis de chasse saisonniers semble constituer un moyen direct de réduire au moins une des pressions exercées sur les populations d’orignaux. Néanmoins, la proposition de M. Bisset visant à réduire le nombre de permis de chasse révèle également une dynamique sociale qui complique la gestion, puisque selon lui, ce procédé risque d’entraîner une réaction négative de la part des chasseurs. « L’orignal est géré par les intérêts des chasseurs, avec peu de préoccupations apparentes envers l’avenir du troupeau ou les intérêts des autres Ontariennes et Ontariens », mentionne-t-il.
Bien que le Canada ne considère pas l’orignal comme étant une espèce menacée à l’échelle nationale, de plus en plus de rapports confirment son inquiétant déclin dans de nombreuses provinces.
Bien sûr, de nombreux chasseurs responsables appuient des mesures rigoureuses de gestion et de protection. Le mouvement de conservation a été lancé par les chasseurs dans le but d’assurer un habitat suffisant aux espèces de gibier privilégiées. Cependant, certains d’entre eux sont profondément investis dans leur droit de chasser et perçoivent les restrictions en matière de chasse comme étant une menace inhérente.
En fait, le droit de chasser appartient aux peuples autochtones et, récemment, ils ont été parmi les plus fervents à demander du changement. Ils sont nombreux à considérer que l’orignal constitue une espèce clé de voûte culturelle. Cet été, en Colombie-Britannique, la Nation Tŝilhqot’in a publié un communiqué (en anglais) qui condamne l’allocation destructive de prise d’orignal du gouvernement de la province pour la région de Chilcotin et exprime sa ferme opposition à l’augmentation drastique, en Colombie-Britannique, des permis de chasse à accès limité (Limited Entry Hunts) pour l’orignal dans le territoire des Tŝilhqot’in.
Le déclin de l’orignal a également tenu un rôle considérable dans l’affaire judiciaire faisant jurisprudence entre les Premières Nations de la rivière Blueberry et la province de la Colombie-Britannique en 2021. Les membres de la communauté de la rivière Blueberry ont fait valoir que l’orignal et le caribou, desquels ils dépendent pour leur subsistance, étaient devenus de plus en plus rares dans leurs zones de chasse habituelles au sein du territoire, conjointement avec les niveaux élevés de perturbations industrielles cumulatives approuvées par la province, et que cette situation reflétait l’échec, par la province, du respect de leurs droits de chasse garantis par les traités.
Le déclin de l’orignal a également tenu un rôle considérable dans l’affaire judiciaire faisant jurisprudence entre les Premières Nations de la rivière Blueberry et la province de la Colombie-Britannique en 2021.
L’affaire a attiré l’attention sur les besoins en matière d’habitat des orignaux, ainsi que les répercussions des activités industrielles sur leurs populations. La recherche indique que les orignaux comptent sur les forêts pour des parties de leur cycle de vie et que les clairières et les routes accroissent l’accès, les lignes de visibilité et les taux de succès des chasseurs. Comme l’observe M. Bisset en Ontario, « en bref, les nombres de permis n’ont jamais réglementé l’abattage dans la majorité de la province. L’abattage dépend du nombre d’orignaux vulnérables et exposés aux coups de feu ou aux flèches ». Les scientifiques appelés à témoigner pour les Premières Nations de la rivière Blueberry de la C.-B. ont déclaré que le changement forestier à grande échelle entraîne des répercussions néfastes sur les populations d’orignal.
Après avoir considéré les preuves, le juge a donné gain de cause aux Premières Nations de la rivière Blueberry et s’est expliqué ainsi : « Bien que la province s’appuie sur le fourrage “aux premiers stades de succession écologique” qui découle de l’exploitation forestière pour affirmer que de telles perturbations profitent aux orignaux, elle ne reconnaît pas le facteur limitant créé par le manque d’un véritable habitat hivernal et de forêt ancienne. Je conclus que la preuve démontre que le déclin des populations d’orignaux découle de perturbations anthropiques (liées à l’activité humaine), y compris de l’incidence du développement industriel sur l’habitat. »
Cette décision établit un précédent jurisprudentiel et précise que de nouveaux systèmes de gouvernance et de prise de décisions sont nécessaires pour gérer les terrains et les plans d’eau de manière à respecter les droits issus de traités et assurer l’abondance de la faune.
Le temps est venu pour les gouvernements de mieux gérer et protéger les populations d’orignaux et l’habitat dont elles dépendent, y compris la mise en place de restrictions plus sévères vis-à-vis de la chasse. De telles mesures ne plairont pas à tout le monde, mais elles assureront ainsi la sécurité alimentaire des peuples autochtones et avantageront les autres animaux sauvages, tout en garantissant des populations d’orignaux saines.