Severn Cullis-Suzuki, photo prise en 1989 en Amazonie brésilienne. (Photo : famille Cullis-Suzuki)

À l’occasion du sommet sur le climat de la COP30 à Belém, au Brésil, la Fondation David Suzuki a parlé avec Severn Cullis-Suzuki de son discours marquant de 1992 à Rio de Janeiro, du lien de sa famille avec le peuple Kayapo et de l’espoir qu’elle chérit envers les jeunes d’aujourd’hui et les déléguées et délégués de la COP30.

Il y a 33 ans, tu « as réduit le monde au silence pendant six minutes » au Sommet de la Terre de 1992. Comment expliquerais-tu à la petite fille que tu étais sur scène à quoi ressemble le monde maintenant et les défis auxquels l’humanité doit encore faire face en matière de climat et d’environnement?

Je suppose que je dirais à cette petite fille que les choses vont empirer avant qu’elles ne s’améliorent. Toutes nos infrastructures sont créées pour favoriser le capitalisme extrême. L’architecture de l’économie et de la structure de gouvernance entraîneront d’énormes pertes en termes de nature, mais également de personnes. Une chose à laquelle il faut toutefois s’accrocher, c’est que les gens — la majorité d’entre nous — croient en la durabilité. Ils croient en l’importance de la paix. Je crois en fait que ces choses sont universelles. Mais la structure du capitalisme est puissante. Ça va empirer avant que ça ne s’améliore.

En 1992, les « vidéos virales » n’existaient pas, du moins pas comme aujourd’hui. Mais je suppose que la tienne est devenue virale dans un monde préinternet. Si tu repenses à cette époque, quand tu n’avais que 12 ans, comment as-tu vécu la période suivant ce discours?

Après Rio, quelqu’un à l’ONU m’a envoyé une copie du discours en plénière. Nous avons fait des copies VHS du clip. Nous en avons envoyé partout dans le monde parce que les gens nous envoyaient des lettres (pas des courriels, des lettres!), demandant une copie de ce discours dont ils avaient entendu parler. Au fil des ans, ces VHS se sont transformés en DVD; nous demandions aux gens d’envoyer un don pour couvrir les coûts. Tout cela était juste avant l’arrivée d’Internet! Quand Internet est finalement arrivé, les gens ont commencé à télécharger la vidéo en ligne. Elle est devenue en quelque sorte virale; à un moment où ce concept n’existait pas vraiment, c’était fascinant.

On constate un pic de vues à quelques années d’intervalle, et ça redevient viral. Je pense qu’une des Kardashian a publié un clip de la vidéo l’année dernière! Alors qu’on remarque une montée de l’activisme chez les jeunes et la prévalence de leur voix dans les médias et sur les réseaux sociaux, il est intéressant de voir l’interaction entre le discours de Rio et ce que font les jeunes. Les jeunes ont toujours été des activistes. Les jeunes ont toujours été en première ligne. Une première ligne qui se bat pour l’humanité, qui n’hésite pas à dire les vraies choses aux personnes au pouvoir. C’est l’un des rôles les plus puissants de la jeunesse.

Les jeunes ont toujours été des activistes. Les jeunes ont toujours été en première ligne. Une première ligne qui se bat pour l’humanité, qui n’hésite pas à dire les vraies choses aux personnes au pouvoir.

Ton père, David Suzuki, a dit que ce n’est qu’après le discours qu’il a pu réellement comprendre son ampleur. Je sais que c’était il y a très longtemps, mais peux-tu nous dire ce que tu ressentais quand tu es montée sur cette scène? Tu n’avais pas l’air nerveuse du tout. Tu étais déterminée et, parfois, en colère. Comment te sentais-tu lorsque tu prononçais ton discours?

Le discours de Rio a été le résultat d’une année de travail, d’organisation et de collecte de fonds. Mes camarades et moi avons obtenu le soutien de tant de gens pour nous permettre d’aller à Rio. Après deux semaines de travail au Sommet, mes camarades et moi avions tellement répété notre message que je savais exactement pourquoi j’étais là. Au moment où j’ai eu l’occasion de m’exprimer en séance plénière à la fin de la conférence, je comprenais très bien mon message. Oui, j’étais en colère; j’étais très contrariée et grâce à ce sentiment, j’ai pu vraiment me connecter à la véritable raison pour laquelle nous étions là : représenter les jeunes générations et les générations futures qui n’avaient pas droit de vote à ces réunions, qui n’étaient pas représentées politiquement, parce que les intérêts capitalistes étaient tellement clairs même à cette époque.

(Photo : famille Cullis-Suzuki)

Pour en revenir au Brésil, ton discours en 1992 était à Rio, et la COP cette année a lieu à Belém au Brésil. Pourquoi le Brésil a-t-il une place si spéciale dans ton cœur? Quels sont les liens de ta famille avec le peuple Kayapo au Brésil?

Ma famille s’est impliquée à cause de la série télévisée de mon père, The Nature of Things, où il a fait plusieurs vidéos sur les incendies de la forêt amazonienne. Il a noué des liens étroits avec un chef Kayapo appelé Paiakan, et nos familles ont développé une relation très forte. Lorsqu’il a reçu des menaces de mort pour son activisme, il a amené sa famille au Canada et a vécu avec nous à Vancouver pendant six semaines. Puis ils nous ont invités à aller en Amazonie dans leur village, et nous avons été honorés d’accepter leur invitation l’année suivante. Ce voyage a été tellement formatif pour moi, visiter l’Amazonie, faire l’expérience de la vie sans notre économie fondée sur l’argent. J’avais environ neuf ans à l’époque.

Mais quand nous sommes parti·es, j’ai vu la forêt amazonienne brûler depuis l’avion, et j’ai réalisé que le peuple Kayapo était au centre de cette zone. Quand je suis revenue au Canada, je savais que je devais faire quelque chose. C’est à ce moment que j’ai créé l’Eco Club avec mes camarades. Des années plus tard, nous avons participé au Sommet de la Terre à Rio — encore une fois au Brésil.

Mais le Brésil n’est pas seulement important dans ma propre histoire; il a une grande importance dans l’écosystème mondial. Nous avons toutes et tous grandi en entendant parler de la forêt amazonienne comme des poumons de la planète Terre — nous avons cette incroyable source d’oxygène pour notre planète, et c’est un immense puits de carbone qui stabilise le climat. La COP de cette année au Brésil est importante, non seulement parce ce qu’elle se tient en Amazonie, mais aussi parce qu’elle survient à un moment où la forêt tropicale est en voie de ne plus être un puits net de carbone qui extrait le carbone de l’atmosphère. Elle est en train de devenir un émetteur net et de ne plus être en mesure d’absorber notre pollution. Nous avons franchi un seuil et si nous ne parlons pas de cela à Belém cette année, nous passons à côté de l’enjeu essentiel.

J’espère qu’au Brésil, dans le pays des « poumons de la planète », on reconnaîtra que ces seuils sont en train d’être franchis.

Severn est témoin de la forêt amazonienne qui brûle depuis un petit avion en 1989. (Photo : famille Cullis-Suzuki)

Quel est ton message pour les déléguées et délégués à la COP30 de cette année? Et quel est ton message pour la société civile et les peuples autochtones présents?

J’espère qu’au Brésil, dans le pays des « poumons de la planète », on reconnaîtra que ces seuils sont en train d’être franchis. J’espère que celles et ceux qui s’y trouveront demanderont pourquoi la façon dont nous abordons ces problèmes est totalement inappropriée. L’année dernière, nous avons dépassé 1,5 degré de réchauffement en moyenne sur la planète. Nous avons promis en tant que communauté internationale à la COP21 à Paris en 2015 de ne pas laisser cela se produire! Nous avions célébré cela comme une réalisation incroyable.

Qu’est-ce que ça représente de faire des promesses qui ne signifient absolument rien? Les Nations Unies et le droit international, ces institutions sont si clairement menacées. Et nos problèmes avec l’environnement mondial sont un autre aspect de la crise de la gouvernance humaine. C’est de cela que je veux que les gens parlent à la COP30. Parce que ce que nous faisons ne fonctionne tout simplement pas. Ça n’a aucun sens pour nous de continuer à assister aux COP, à ces conférences, de continuer à faire la même chose, de continuer à négocier et de continuer à nous épuiser, si ça ne marche pas.

L’une des choses qui seraient très appropriées pour la société civile et les peuples autochtones serait d’organiser des cérémonies de deuil, d’avoir une sorte de reconnaissance des pertes dont nous sommes témoins et que nous ressentons. Une fois que nous aurons eu un peu d’espace pour vivre notre deuil, je pense que nous pourrons ensuite commencer à élaborer la nouvelle stratégie qui va nous aider à trouver des moyens de survivre dans cette nouvelle ère. C’est à ce genre de situation que nous faisons face. Nous sommes dans une nouvelle ère de chaos climatique. Nous devons nous préparer, nous devons être prêtes et prêts et nous devons également savoir quelle est la nouvelle voie à suivre.

(Photo : famille Cullis-Suzuki)

Quel est ton message pour les jeunes aujourd’hui? Comment trouver cette motivation que tu as expérimentée au Brésil et quelles suggestions leur donnes-tu pour établir les fondations de ce mouvement?

Les jeunes d’aujourd’hui ont toutes les raisons de se sentir en colère, toutes les raisons de vivre des émotions troublantes. Avec la quantité de violence et de pertes que les jeunes voient sur Internet, ainsi que les pressions des crises climatiques que nous ressentons, il est vraiment important de trouver des gens et des endroits où en discuter et gérer la perte. Tout le monde le ressentira; ici, au Canada, nous commençons à voir des réfugiés climatiques dans nos propres communautés à cause des feux de forêt. Nous devons vraiment bâtir nos systèmes de soutien pour aider les gens, les communautés et les esprits à demeurer forts.

Nous devons nous assurer que nous allons bien, à une époque où tant de choses semblent sombres. Nous pouvons aussi trouver et intégrer les communautés de résistance et œuvrer dans l’entraide, la pratique décolonisée et les mouvements de solidarité qui existent partout dans le monde.

Par exemple, je suis tellement inspirée par la Nation haïda, qui, cette année, a obtenu la pleine reconnaissance de son titre non seulement par le gouvernement de la Colombie-Britannique et par le gouvernement fédéral, mais aussi par les tribunaux canadiens. Le titre de Haida Gwaii appartient au peuple haïda, comme c’est le cas depuis plus de 13 000 ans. Maintenant, après 100 ans de lutte, il est reconnu comme tel par le gouvernement canadien. Le peuple haïda reprend le contrôle de la gestion de ses terres, avec une philosophie différente de la philosophie dominante.

Il existe de nombreux exemples de peuples autochtones qui réclament leur pouvoir et le contrôle de la gestion des terres pour lesquelles le paradigme capitaliste d’aujourd’hui n’avait aucun respect. Il existe également de nombreux groupes de personnes travaillant activement à trouver d’autres façons d’être. Je veux que les jeunes sachent que, même si l’économie capitaliste mondialisée est la seule économie de notre époque, cela n’a pas toujours été le cas. Et encore aujourd’hui, dans de nombreux endroits sur la planète, là où la résistance est une façon de vivre, les économies sont très différentes : les économies de don, les économies d’échange, les économies socialistes.

Ne laissez personne vous dire que c’est la seule économie qui n’ait jamais existé, la seule économie possible, parce qu’il est tellement évident que le système actuel ne fonctionne pas. Heureusement, la diversité des espèces et des cultures humaines nous prouve qu’il y a tellement de façons différentes de vivre. Alors, trouvez ces gens, trouvez ces idées, commencez à les mettre en pratique, et vous créerez une incroyable communauté d’inspiration, comme je l’ai fait.

Ne laissez personne vous dire que c’est la seule économie qui n’ait jamais existé, la seule économie possible, parce qu’il est tellement évident que le système actuel ne fonctionne pas. Heureusement, la diversité des espèces et des cultures humaines nous prouve qu’il y a tellement de façons différentes de vivre.