Le gouvernement canadien a décidé d’interdire les microbilles des articles de toilette. Bien que conçues pour notre propreté, elles salissent l’environnement et mettent en péril la santé des poissons et des humains. Tant les fabricants que les consommateurs ont contribué à l’introduction des microbilles de plastique, mais lorsque nous avons découvert les dangers qu’elles représentent, nous avons entrepris de les éliminer.
Pourquoi, dès lors, est-ce si long d’éliminer les néonicotinoïdes, les insecticides les plus couramment utilisés dans le monde ? Les chercheurs ont démontré qu’ils tuent non seulement les parasites, mais également une longue liste d’espèces non visées, notamment les pollinisateurs sur lesquels nous comptons pour environ le tiers des cultures vivrières à l’échelle mondiale.
Les néonics sont des pesticides systémiques. Les plantes les absorbent et les intègrent dans tous leurs tissus : racine, tige, feuille, fleur, pollen et nectar. Lancés dans les années 1990, ils accaparent actuellement le tiers du marché mondial des pesticides. Ils sont utilisés en agriculture sous la forme de pulvérisateur pour les feuilles et de traitement des semences et des sols. Ils sont également utilisés pour le traitement des arbres et des pelouses, ainsi que pour le contrôle des puces et des tiques chez les animaux.
Nous connaissons depuis des années les effets néfastes des néonics sur les pollinisateurs et les écosystèmes. Cet été, deux importantes publications scientifiques ont grandement contribué aux données de recherche qui démontrent l’urgence d’arrêter l’utilisation à grande échelle de ces agents chimiques toxiques.
Le 18 septembre, le Task Force on Systemic Pesticides, un groupe international de chercheurs indépendants réunis sous l’égide de l’Union internationale pour la conservation de la nature, a publié une mise à jour de son Évaluation mondiale intégrée de l’impact des pesticides systémiques sur la biodiversité et les écosystèmes 2015. Cette version 2017, qui prend en compte plus de 500 études supplémentaires évaluées par les pairs, fait état de conséquences plus larges et renforce les conclusions de 2015 selon lesquelles les néonics représentent une grave menace mondiale pour la biodiversité, les écosystèmes et les bienfaits que procure la nature.
Le 6 octobre, Edward Mitchell, l’un des scientifiques du groupe, et une équipe multidisciplinaire de l’Université de Neuchâtel et du Jardin botanique de Neuchâtel, en Suisse, a publié dans Science une étude qui démontre que les trois quarts du miel produit dans le monde contiennent des néonicotinoïdes. Bien que les concentrations se situent sous les limites maximales autorisées pour la consommation humaine, ils dépassent les niveaux attestés qui affectent le comportement, la physiologie et les capacités reproductives des abeilles.
Réalisée en 2015 et 2016, cette étude a analysé 198 échantillons de miel provenant de toutes les régions du monde pour y rechercher cinq des néonicotinoïdes les plus courants : acétamipride, clothianidine, imidaclopride, thiaclopride and thiaméthoxame. Soixante-quinze pour cent de ces échantillons contenaient au moins un néonicotinoïde, dans des proportions qui variaient grandement d’une région à l’autre. Les niveaux les plus élevés ont été enregistrés en Amérique du Nord (86 pour cent), en Asie (80 pour cent) et en Europe (79 pour cent), et les plus faibles en Amérique du Sud (57 pour cent).
Trente pour cent de tous les échantillons contenaient un seul néonicotinoïde ; 45 pour cent en contenaient deux ; 5 pour cent en contenaient quatre et 10 pour cent en contenaient cinq. Les législateurs tendent à ne pas tenir prendre en compte « l’effet cocktail » de la contamination par plusieurs néonics. Leurs conséquences sur les abeilles, les humains et autres organismes demeurent méconnus, mais nous pouvons parier qu’ils ne seront pas bons.
Ces nouvelles données confirment la nécessité d’arrêter l’usage massif de pesticides systémiques. Le statu quo équivaut à la poursuite de pratiques agricoles non durables pour l’environnement. Après tout, les études les plus récentes démontrent aussi que, dans de nombreux cas, les néonics n’apportent guère de bénéfices réels à la production agricole. Au contraire, ils diminuent la qualité des sols, menacent la biodiversité et contaminent l’eau, l’air et la nourriture. Les producteurs agricoles ne peuvent même pas compter sur eux pour diminuer leur risque financier ou les aider à accroître leur rendement de façon notable.
Que font les gouvernements de toute cette information ?
En 2013, l’Union européenne a imposé un moratoire sur certaines utilisations de trois néonics sur les plantes mellifères : l’imidaclopride, la clothianidine et le thiaméthoxame. L’UE envisage maintenant d’étendre la portée de ce moratoire. Pendant ce temps, la nouvelle loi française sur la biodiversité vise l’interdiction de tous les néonics à partir de septembre 2018. De leur côté, les législateurs nord-américains ne reconnaissent toujours pas l’urgence d’empêcher les néonics de contaminer davantage l’environnement.
L’Agence de réglementation de la lutte antiparasitaire (ARLA) de Santé Canada a proposé l’élimination progressive de l’imidaclopride, mais pas avant 2021 — peut-être même en 2023 seulement. Pendant que l’industrie poursuit son lobby à Ottawa pour continuer à utiliser des produits chimiques toxiques, les groupes environnementaux exigent des plans d’élimination plus rapides et la fin de l’usage des néonicotinoïdes.
Si nous avons à cœur la qualité et la sécurité de nos ressources alimentaires et des espèces et écosystèmes dont elles dépendent, il est temps de dire non aux néonics. Il existe des techniques agricoles et antiparasitaires durables et abordables. Il est grand temps d’interdire les pesticides qui tuent les abeilles.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez