Des réglementations obsolètes ont trop longtemps limité les pratiques et les paysages écologiques et durables qui soutiennent la biodiversité et contribuent aux services écologiques.

Que sont devenues une grande partie des zones urbaines et périphériques du Canada et des États-Unis? D’immenses champs de pelouse non indigène qui absorbent énormément d’eau et nécessitent plus de pesticides que les fermes. Autrefois considérée comme un symbole de richesse et de privilège, la pelouse représente aujourd’hui une relique coloniale. Les personnes qui cherchent à transformer leur pelouse pour la rendre plus utile, par exemple en plantant des fleurs sauvages ou en créant des potagers ou des habitats pour pollinisateurs, se butent toutefois à des obstacles.

Cette résistance s’explique, entre autres, par le fait que de nombreuses administrations municipales et certaines associations de propriétaires régissent les usages possibles des terrains. Alors que les pénuries d’eau s’aggravent et que s’accélère le déclin des populations d’insectes, on constate un essor du mouvement en faveur d’une plus grande liberté dans l’aménagement et l’entretien des cours.

Au Canada, un groupe de défense de l’environnement a récemment publié une lettre ouverte pressant les municipalités à réformer leurs règlements afin de soutenir la création de jardins pour la biodiversité. Ce groupe réunit entre autres l’Association des architectes paysagistes du Canada (AAPC), la Fédération canadienne de la faune, la Fondation David Suzuki, l’Ecological Design Lab de l’Université métropolitaine de Toronto ainsi que l’autrice et défenseure de l’environnement Lorraine Johnson.

Alors que les pénuries d’eau s’aggravent et que s’accélère le déclin des populations d’insectes, on constate un essor du mouvement en faveur d’une plus grande liberté dans l’aménagement et l’entretien des cours.

Des règlements désuets et leurs politiques de mise en œuvre limitent depuis trop longtemps les pratiques écologiques et durables ainsi que les aménagements paysagers qui soutiennent la biodiversité et fournissent des services écologiques.

Ces restrictions prennent diverses formes : interdire les « mauvaises herbes » sans toutefois définir les espèces auxquelles elles se réfèrent; interdire la croissance de la végétation au-delà des hauteurs spécifiées, même en l’absence de problèmes de visibilité; exiger des autorisations spéciales pour dévier de la norme désuète des pelouses parfaitement entretenues, restreindre la plantation d’espèces indigènes sous prétexte de lutter contre les « mauvaises herbes »; voir d’un mauvais œil tout élément propre à un habitat, tel que les troncs d’arbres ou les feuilles mortes.

Nous gagnons vraiment à changer notre regard sur les cours. Comme le souligne la lettre ouverte, les jardins pour la biodiversité « attirent et soutiennent une diversité d’espèces sauvages, notamment les oiseaux, les abeilles et les papillons » et « constituent une solution proactive et locale aux défis mondiaux des changements climatiques et de la perte de la biodiversité ».

Économie d’argent, diminution de l’utilisation d’eau et de pesticides et réduction des infestations de parasites, voilà quelques-uns des avantages de convertir sa pelouse en jardin. Les jardins peuvent même améliorer notre qualité de vie en nous rapprochant de la nature, reconnue pour ses vertus contre le stress et pour la santé mentale et le bien-être (source en anglais).

Des réglementations obsolètes ont trop longtemps limité les pratiques et les paysages écologiques et durables qui soutiennent la biodiversité et contribuent aux services écologiques.

Agissant comme des capteurs de carbone, les jardins pour la biodiversité et les jardins potagers freinent les changements climatiques et filtrent les polluants présents dans l’air et dans l’eau. Ils réduisent également l’érosion du sol, améliorent la qualité de celui-ci et diminuent l’effet d’îlot de chaleur urbain. De plus, ils contribuent à la gestion des eaux pluviales et à la réduction des inondations locales.

Cela dit, il reste beaucoup de progrès à faire en la matière. Dans le cadre de sa nouvelle campagne Partage ta pelouse, la Fondation David Suzuki a publié une étude réalisée dans sept municipalités canadiennes démontrant que la pelouse couvre de vastes superficies dans chacune d’elles. Les villes de Toronto et Montréal en sont respectivement recouvertes sur 80 et 97 kilomètres carrés.

La U.S National Academy of Sciences estime que la conversion de seulement 10 % des pelouses en végétation naturelle « pourrait contribuer de manière significative à la conservation des insectes, tout en réduisant les coûts d’entretien des pelouses grâce à une diminution de l’arrosage, des herbicides, des fertilisants et des pesticides ».

L’agence états-unienne Environnemental Protection Agency rapporte que l’arrosage des pelouses représente près d’un tiers de la consommation résidentielle en eau, tandis que le Fish and Wildlife Service mentionne que les pelouses nécessitent jusqu’à 10 fois plus de pesticides par acre que les cultures agricoles.

La transformation de certaines de nos vastes superficies de pelouse et d’autres espaces verts, combinée à un changement dans notre vision des cours, bénéficiera à toutes les formes de vie.

En plus de servir d’habitat pour des créatures essentielles à la survie humaine, les jardins peuvent servir à la culture d’aliments. L’idée n’est pas nouvelle. Durant la Première et Seconde Guerre mondiale, le Canada, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Australie et l’Allemagne faisaient la promotion des « jardins de la victoire », une solution visant à contribuer à l’effort de guerre en réduisant la pression sur le système alimentaire et les fermes. Des jardins et des poulaillers ont ainsi fait apparition dans les cours et les parcs, dans l’enceinte des écoles, dans les terrains de golf, sur le bord des voies ferrées et dans les terrains vagues. Les moutons broutaient sur les terrains sportifs et assuraient ainsi la tonte de la pelouse.

Sans toutefois remplacer l’agriculture, les jardins potagers urbains offrent de nombreux avantages. Peter Ladner, un écrivain de Vancouver, le mentionne dans son livre The Urban Food Revolution: Changing the Way We Feed Cities : « le développement de l’agriculture urbaine améliore la santé de nos enfants et les rend plus conscient.e.s de ce qu’ils et elles mangent, en plus de réduire le problème de la faim, de créer des emplois et de solidifier les économies à l’échelle locale, de verdir les quartiers et de rendre nos communautés plus sécuritaires et inclusives ».

La transformation de certaines de nos vastes superficies de pelouse et d’autres espaces verts, combinée à un changement dans notre vision des cours, bénéficiera à toutes les formes de vie. Bien que certaines villes fassent preuve de leadership en la matière, faire tomber les barrières imposées par des règlements dépassés constituerait une victoire sur toute la ligne!