La pollution est telle, le long des 137 kilomètres de corridor industriel entre La Nouvelle-Orléans et Bâton-Rouge, en Louisiane, que l’endroit a été surnommé « l’Allée du cancer ». Dans cette zone, dont la population est majoritairement noire, les taux de cancer sont beaucoup plus élevés qu’ailleurs aux États-Unis. Selon une étude de 2023 publiée dans la revue Environmental Challenges, les personnes résidant à cet endroit sont exposées à 7 à 21 fois plus d’émissions toxiques que les communautés majoritairement blanches.
« Sur le territoire couvert par la paroisse de Saint-James, dans un rayon de 16 kilomètres, une douzaine d’installations pétrochimiques mènent leurs activités à proximité des domiciles de résident.e.s noir.e.s », mentionne Sharon Lavigne, fondatrice du groupe environnemental Rise St. James, basé en Louisiane. « Il s’agit de racisme environnemental. »
La bonne nouvelle : l’Agence de protection de l’environnement des États-Unis (la U.S. Environmental Protection Agency, ou l’EPA), a annoncé un nouveau règlement exigeant qu’environ 218 usines chimiques – dont 51 se trouvent en Louisiane et près de 80 dans l’État voisin, le Texas – assainissent leurs activités (source en anglais).
Une personne sensée saluerait cette initiative, qui vise une amélioration des conditions de santé et de vie, mais les gens qui vivent pour le profit et l’argent ne sont pas tout à fait rationnels.
Cette mesure réduira de près de 80 % les plus de 5 600 tonnes de contaminants émis chaque année, notamment l’oxyde d’éthylène et le chloroprène. Une exposition prolongée à ces produits chimiques peut affecter l’ADN et provoquer la création de lymphomes, la leucémie ainsi que les cancers du foie et du sein. Ils représentent un danger mortel, particulièrement pour les enfants. De plus, le nouveau règlement réduira la quantité de composés organiques volatils qui contribuent à la formation du smog. L’EPA estime que les risques élevés de cancer pour les personnes vivant près des usines chimiques pourraient chuter de 96 %.
Une personne sensée saluerait cette initiative, qui vise une amélioration des conditions de santé et de vie, mais les gens qui vivent pour le profit et l’argent ne sont pas tout à fait rationnels.
Les têtes dirigeantes d’entreprises de produits chimiques poussent les hauts cris. Dans une déclaration émise par Denka, une entreprise japonaise de caoutchouc, anciennement détenue par DuPont, le nouveau règlement est accusé d’être une « tentative d’imposition d’un programme politique sans fondement juridique ni scientifique » (article en anglais). Pourtant, en 2016, une opération de contrôle a permis de découvrir que les émissions de chloroprène provenant de l’usine de Denka contribuaient au risque de cancer le plus élevé des États-Unis. Des capteurs de la qualité de l’air ont indiqué que les concentrations de chloroprène étaient pas moins de 15 fois plus élevées que les niveaux considérés comme sécuritaires par l’EPA (article en anglais).
Denka crée du chloroprène, qui est utilisé dans la fabrication du néoprène (un caoutchouc synthétique), qu’on retrouve dans les produits comme « les refroidisseurs de cannettes de bière et les combinaisons de plongée », selon le média NPR.
Il nous faut adopter des modes de vie qui ne contaminent pas ce dont nous avons besoin pour survivre et qui ne menacent pas toutes les formes de vie.
Il est déplorable, quoique plutôt compréhensible sous le système économique actuel, que des chefs d’entreprises fassent passer le profit et les actionnaires avant la santé humaine. Mais qu’en est-il des personnes qui ont été élues pour représenter les intérêts de leur électorat?
Heureusement, certaines font preuve de bons sens. Troy Carter, membre du Congrès états-unien qui représente la Louisiane, dont la circonscription abrite l’usine de Denka, a déclaré aux journalistes que « les communautés méritaient d’être en sécurité », en ajoutant qu’« il fallait commencer par écouter les personnes affectées habitant les quartiers, celles qui avaient, sans l’ombre d’un doute, le plus souffert des conséquences de vivre juste à côté d’usines de produits chimiques. Et on ne parle pas de n’importe quelle usine chimique : ce sont des usines qui enfreignent les règles ».
Clay Higgins, lui aussi représentant politique de la Louisiane, ne voit pas la situation du même œil. Il a demandé à ce que Michael Regan, un administrateur noir de l’EPA, « soit arrêté dès sa prochaine visite en Louisiane » (source en anglais). Dans une publication sur son compte Tweeter, il a ajouté : « Envoyez cet imbécile arrogant passer quelques dizaines d’années en Angola ».
Le fait que la plupart des usines polluantes aient des conséquences disproportionnées sur les communautés noires et hispaniques illustre l’ampleur et la gravité du racisme environnemental. D’ailleurs, la déclaration de Higgins est carrément raciste.
Ce problème n’est pas propre à la Louisiane ou au Texas : il s’observe partout aux États-Unis et au Canada, parmi d’autres pays.
C’est également un reflet troublant de l’état d’esprit des personnes qui s’opposent à une réglementation destinée à améliorer la vie des gens, particulièrement celle de communautés qui subissent une marginalisation systémique, dans le seul but que les grandes entreprises puissent continuer de générer des recettes scandaleuses tout en polluant l’air, la terre et l’eau.
L’EPA avait ouvert une enquête en matière de droits civils pour déterminer si les fonctionnaires d’État octroyaient des permis qui portaient un préjudice disproportionné aux communautés noires. Cependant, l’enquête a été abandonnée peu après la poursuite intentée contre l’EPA par le procureur général de Louisiane (maintenant gouverneur), Jeff Landry, même si l’Agence avait trouvé des éléments probants de discrimination raciale et de non-conformité de l’État à la réglementation.
Ce problème n’est pas propre à la Louisiane ou au Texas : il s’observe partout aux États-Unis et au Canada, parmi d’autres pays. De Grassy Narrows en Ontario aux sables bitumineux de l’Alberta, en passant par l’Allée du cancer, les communautés noires, autochtones et marginalisées subissent les effets mortels de la contamination, qu’elle provienne du mercure, du bitume ou encore des émissions de chloroprène.
Il nous faut adopter des modes de vie qui ne contaminent pas ce dont nous avons besoin pour survivre et qui ne menacent pas toutes les formes de vie. Le premier pas doit nécessairement être de s’attaquer au racisme environnemental. Pour y arriver, nous devons rejeter les systèmes et les idées destructives, qui placent l’argent avant les gens. Dire non à ce qui encourage une culture de la consommation et du gaspillage ne servant qu’à enrichir une minorité cupide aux dépens d’autrui.