« Je veux changer nos méthodes de mobilisation communautaire autour des enjeux climatiques et environnementaux » Entretien avec Julius Lindsay.
À l’occasion du Mois de l’histoire des Noir.e.s, la Fondation David Suzuki s’est entretenue avec Julius Lindsay, directeur général pour l’Ontario et les Collectivités durables, sur l’importance de la communauté. Pourquoi continue-t-elle d’inspirer sa carrière d’environnementaliste et de futuriste noir?
Comment avez-vous entamé votre carrière dans le domaine environnemental?
« J’ai fait mes débuts dans un organisme gouvernemental. À ce moment-là, je faisais juste du travail de bureau, sans toucher aux affaires environnementales. Mais, s’il y avait des calculs de gaz à effet de serre à faire, c’est vers moi qu’on se tournait dans le département, étant donné mes connaissances en maths. Il s’est adonné que je faisais partie de l’équipe responsable des rapports à l’époque où la Loi sur l’énergie verte prenait de l’ampleur. J’ai tout appris sur le tas et j’ai pu me réorienter vers le climat et l’énergie. »
Par la suite, vous avez travaillé pour certaines des plus grandes municipalités de l’Ontario. C’était comment?
« Quand j’ai commencé à travailler dans les municipalités, j’étais la seule personne à se pencher sur les changements climatiques. J’ai formé l’équipe des changements climatiques de Mississauga et j’ai rédigé le premier plan d’action municipal contre les changements climatiques de Richmond Hill.
« Avec le temps, j’ai déchanté en voyant la façon dont les municipalités mobilisaient – ou plutôt ne mobilisaient pas – les communautés rencontrant des problèmes, surtout les populations marginalisées. Je viens d’un milieu peu impliqué par rapport aux questions climatiques, de part et d’autre. Je sais qu’il faut que ça change.
« Et, pour être honnête, je n’en pouvais plus de la machine bureaucratique. J’étais tanné de ses limites. »
Qu’est-ce qui vous a amené vers la Fondation David Suzuki?
« J’ai exercé des rôles de leadership pendant de nombreuses années, mais la Fondation David Suzuki m’ouvrait la porte à un poste de direction bien précis. C’était l’occasion pour moi de changer nos méthodes de mobilisation communautaire autour des enjeux climatiques et environnementaux.
« J’estime important de rencontrer les gens là où ils sont. On a tous et toutes quelque chose en commun, il s’agit juste de trouver quoi. Dans mon travail, j’ai à cœur de tisser des relations, de nouer des liens de solidarité et de confiance.
« Nous voilà à la croisée de multiples crises. Les problèmes de pauvreté, de logement, d’abordabilité, de climat. On ne peut plus simplement traiter les symptômes, il faut s’attaquer à la source : le capitalisme et le colonialisme. Il faut transformer le système, et telle est notre mission à la Fondation David Suzuki. »
Au Canada, le domaine environnemental compte majoritairement des personnes blanches. Comment cette réalité a-t-elle influencé votre expérience en milieu de travail?
« J’ai 18 ans de carrière derrière moi et, avant aujourd’hui, je n’avais jamais travaillé directement avec une autre personne noire.
« Dans la foulée du meurtre de George Floyd en 2020, j’avais profondément besoin d’échanger avec quelqu’un.e. Je regardais autour de moi, mais je ne voyais pas avec qui je pouvais bien parler dans mon organisation. J’ai donc appelé toutes les personnes noires que je connaissais dans le domaine pour créer un espace sûr où tenir la conversation. Mon constat : nous partagions tous et toutes des expériences semblables, mais personne n’avait de collègues noir.e.s avec qui discuter.
« C’est ainsi qu’est née la Black Environmentalist Alliance. Nous avons pour mission de célébrer les environnementalistes noir.e.s, de bâtir une communauté et de lutter pour la justice environnementale dans la communauté noire. »
D’où vous vient votre sens de la communauté?
« Mon sens de la communauté me vient de ma famille. Mon père était impliqué dans la révolution de la Grenade, menée pour le bien commun. Ma mère, elle, a grandi avec 11 frères et sœurs : chez elle, la famille était la priorité, tout ne tournait pas autour de soi. Mon sens de la communauté rejoint d’ailleurs celui d’autres membres de ma fratrie, qui œuvrent en travail social, en soins infirmiers et dans le secteur des services. »
Vous vous spécialisez aussi dans le travail futuriste. Être un futuriste noir, ça veut dire quoi?
« Si j’ai été attiré par le domaine de la prospective futuriste et stratégique, c’est parce qu’il repose sur l’idée qu’il n’existe pas de solution unique à la crise climatique. Cette approche fournit des cadres d’analyse concrets pour examiner plusieurs solutions selon divers angles. Elle va aussi de pair avec le travail de décolonisation et de lutte contre le racisme.
« En dehors de mon emploi de tous les jours, je travaille à la création d’un jeu vidéo qui vise à mettre en lumière les perspectives autochtones et noires sur la crise climatique. J’espère ainsi donner accès à différentes connaissances culturelles en vue de construire un avenir pour tout le monde. »
Un conseil pour la relève noire qui œuvrera au changement de demain?
« Prenez la parole et prenez de la place. Et n’oubliez pas qu’il y a d’autres personnes comme vous!
« Si vous n’arrivez pas à trouver un espace sûr, créez-le. Je vois de jeunes PANC (personnes autochtones, noires et de couleur) le faire. Pas besoin que ce soit à l’échelle de toute une organisation, ce peut être à l’échelle d’une conversation avec quelqu’un.e. C’est important de s’entourer de personnes sur qui on peut compter et avec qui on peut être vulnérable. »
Enfin, comment prenez-vous soin de vous-même?
« Ce genre de travail peut être pénible et réconfortant à la fois. J’ai deux enfants, une femme fabuleuse, une famille et des ami.e.s incroyables. Je me suis construit un réseau fiable sur lequel je peux compter. »