Le Plan d’action 2035 d’Hydro-Québec prévoit d’importants investissements pour augmenter sa production. Toutefois, la construction de nouvelles infrastructures hydroélectriques qui en découle doit incontestablement considérer les droits inhérents des Premiers Peuples, si l’on veut mettre un terme aux dynamiques coloniales pour lesquelles plusieurs communautés réclament réparation depuis longtemps.
« Le droit à un consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones est fondamental. Nous avons besoin de nous doter d’un cadre législatif qui fournisse des garanties, telles que l’intégration de la Déclaration des Nations Unies sur le droit des peuples autochtones au droit québécois » estime lae chargé.e de projets pour le Laboratoire conscience climatique, Albert Lalonde.
Le droit à un consentement libre, préalable et éclairé des communautés autochtones est fondamental. Nous avons besoin de nous doter d’un cadre législatif qui fournisse des garanties.
Historique
Hydro-Québec a été fondée en 1944 afin de contrer les effets du quasi-monopole privé sur l’électricité qui existait alors. L’année suivante, Maurice Duplessis constitue l’Office de l’électrification rurale pour desservir les zones rurales en électricité. Le développement électrique par l’État québécois s’inscrit depuis son origine dans une démarche de colonisation visant à accroître la population canadienne-française sur des territoires jusque-là peu occupés par les populations d’origine européenne et jamais cédés par les Premiers Peuples.
Le narratif colonial se répète en 1962 lorsque le gouvernement de Jean Lesage réclame la nationalisation de l’électricité et le monopole détenu aujourd’hui par la société d’État, « Maîtres chez nous » étant son slogan.
« Cette affirmation nationale identitaire sur le territoire s’inscrit dans un racisme systémique, à une époque où les nations autochtones étaient exclues de la prise de décisions et où une politique génocidaire de colonisation sévissait de manière extrêmement violente » souligne Albert Lalonde.
La première génération de très grands barrages hydro-électriques a par la suite été construite sur le Nitassinan, territoire ancestral du peuple innu, sur les rivières de la Côte-Nord. Ces aménagements n’ont pourtant fait l’objet d’aucun traité entre le gouvernement du Québec et les communautés autochtones, comme l’ajoute lae chargé.e de projets. Au contraire, ils ont nourri des dynamiques de dépossession qui étaient déjà existantes.
Incidences
La construction de ces infrastructures a affecté de façon disproportionnée les Premiers Peuples, notamment du fait des immenses pans du territoires qui se sont trouvés immergés, comme le montre le réservoir Manicouagan.
N’en déplaise à la rhétorique euro centrique du « progrès », de la « construction de la nation » et d’une certaine idée du bien public, qui a été employée pour justifier la destruction brutale des écosystèmes. Le caribou, en voie d’extinction, est un exemple criant, qui est pourtant une partie inhérente de la culture et de l’identité des Innu.e.s.
Il est aujourd’hui nécessaire d’effectuer un travail de mémoire et d’intégration du passé, en réparant les violences et les torts qui ont été infligés.
« Des éléments de langage sont aussi ancrés dans le territoire. Lorsque celui-ci est détruit et que des espèces disparaissent, c’est une menace identitaire fondamentale. Il est aujourd’hui nécessaire d’effectuer un travail de mémoire et de reconnaître les profondes injustices qui subsistent, en réparant les violences et les torts qui ont été infligés », pense Albert Lalonde.
Alternatives
La société d’État estime que 150 à 200 TWh additionnels seront nécessaires pour répondre à la demande d’électricité du Québec en 2050, soit deux fois plus qu’à ce jour. Toutefois, d’autres options à la construction de barrages hydroélectriques existent pour répondre au défi de la transition énergétique.
Nous pouvons ainsi recourir aux panneaux solaires, aux éoliennes ou à la géothermie, à l’échelle d’une municipalité ou d’un quartier, comme le souligne lae chargé.e de projets. De plus, l’optimisation de la production a toute son importance. En effet, l’augmentation de la capacité de production d’infrastructures existantes – comme la pose de turbines plus performantes – est une piste incontournable qu’Hydro-Québec prévoit déjà de mettre en œuvre.
De même, l’hybridation – l’ajout d’installations sur des territoires qui ont déjà été sacrifiés au profit de la production énergétique – est à considérer. Il peut par exemple s’agir s’installer des panneaux solaires flottants sur des réservoirs de barrages, ou bien des éoliennes.
On ne peut pas délier la production d’énergies de la question des droits humains, des impacts environnementaux à l’international, de l’acceptabilité sociale à l’intérieur de chaque communauté et des droits des nations autochtones sur leur territoire.
Néanmoins, Albert Lalonde précise que ces possibilités comportent aussi des limites, comme l’ont montré les controverses en Gaspésie au regard du bruit généré par les éoliennes et de leurs effets sur des populations d’oiseaux. Il en va de même pour les minéraux stratégiques qui conditionnent l’énergie solaire, puisque leur exploitation entraîne des impacts environnementaux dévastateurs, souvent dans des régions où les droits de la personne sont bafoués.
« On ne peut pas délier la production d’énergies de la question des droits humains, des impacts environnementaux à l’international, de l’acceptabilité sociale à l’intérieur de chaque communauté et des droits des nations autochtones sur leur territoire. Ce sont des enjeux sérieux auxquels il faut réfléchir si l’on veut instaurer une vision qui soit viable » poursuit-iel.
Démarche de réconciliation
Dans une perspective de réconciliation avec les Premiers Peuples, il est primordial que la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones soit appliquée et que le cadre juridique leur permette d’administrer les ressources de leurs territoires.
« Les ordres juridiques des nations autochtones ont régi les territoires sur lesquels nous vivons pendant des milliers d’années. Ils ont préservé leur intégrité par le biais d’un rapport qui est fondé sur une dynamique relationnelle entre la Terre, les espèces et les écosystèmes. Ces principes juridiques doivent être mis en application dans les politiques publiques » complète lae chargé.e de projets.
Le rapport Decarbonizing Electricity and Decolonizing Power: Voices, Insights and Priorities from Indigenous Clean Energy Leaders, publié par la Fondation David Suzuki, souligne d’ailleurs que les communautés autochtones ont incarné et continueront d’incarner un rôle capital dans les projets d’énergie propre au Canada. En effet, elles ne sont pas moins que le plus grand propriétaire d’actifs d’énergie propre au Canada, après les services publics de la Couronne et les entreprises privées.