Entrevue avec May Chiu, du Groupe de travail sur le Quartier chinois
Le Groupe de travail sur le Quartier chinois est un comité de citoyen-nes ayant à cœur la protection du Quartier chinois de Montréal. Depuis 3 ans, il milite notamment en faveur de l’accès au logement social, de plus d’espaces verts, de l’amélioration des services pour les personnes âgées et en situation de handicap, de la préservation du patrimoine et de la revitalisation économique. En 2022, les militant-es ont remporté une victoire importante avec l’obtention de la désignation patrimoniale provinciale pour deux rues historiquement importantes, ainsi qu’avec la protection de l’ensemble du Quartier par la Ville de Montréal.
Faire face au racisme environnemental
Malgré leurs réussites, les membres du groupe doivent sans cesse faire face à plusieurs défis émergeants. May Chiu, avocate et militante, soutient que le Quartier chinois vit du racisme environnemental, un phénomène désignant l’exposition des quartiers majoritairement racisés à un plus grand index de pollution et leur manque d’accès à des ressources saines, telles que des fruits et légumes frais, de l’eau potable et de l’air propre.
Situé en plein cœur du centre-ville de Montréal, le Quartier chinois est également entouré de tous les côtés par des autoroutes ou des artères très larges. La majorité des habitant-es sont des aîné-es, parmi lesquel-les beaucoup sont économiquement défavorisé-es. Les îlots de chaleur, dont l’effet est aggravé par la présence excessive de touristes, les sites de construction et la pollution, nuisent grandement à leur santé et leur sécurité. Les conditions de vie médiocres des travailleur-ses migrant-es du quartier, qui dorment dans des logements exigus, se détériorent aussi en été. Avec l’exacerbation de la crise climatique et la dégradation de la qualité de l’air en milieu urbain, ce sont les résident-es les plus vulnérables qui subissent les conséquences les plus désastreuses.
Afin d’encourager la création d’espaces verts et les échanges intergénérationnels au sein de la communauté chinoise, l’organisme Green Chinatown Montréal a mis sur pied des jardins communautaires. Ceux-ci sont réservés pour la plantation de légumes asiatiques et permettent aux aîné-es, dont plusieurs ont déjà été agriculteur-ices, de transmettre leur savoir aux jeunes.
Avec l’exacerbation de la crise climatique et la dégradation de la qualité de l’air en milieu urbain, ce sont les résident-es les plus vulnérables qui subissent les conséquences les plus désastreuses.
Puisqu’il y a une maison d’accueil pour les personnes autochtones en situation d’itinérance dans le Quartier chinois, les jardins communautaires réservent des bacs pour cultiver les trois sœurs (le maïs, les haricots et les courges), afin de les offrir aux résident-es du refuge en guise de symbole de solidarité.
Bien que la communauté soit très proactive sur la question, la spéculation immobilière féroce empêche la création de davantage d’espaces verts, car les terrains vacants et les bâtiments – dont beaucoup sont par ailleurs d’une grande valeur patrimoniale – sont rachetés par des développeurs qui augmentent les loyers et négligent leur préservation.
Pour illustrer la situation, May Chiu souligne la présence d’une cinquantaine d’hôtels de luxe dans un rayon de 1 kilomètre autour du Quartier chinois, relativement à laquelle les résident-es n’ont jamais eu de mot à dire. Or, le Quartier chinois est le seul lieu où sont accessibles tous les services linguistiquement et culturellement adaptés dont les aîné-es de la communauté ont besoin.
Les îlots de chaleur, dont l’effet est aggravé par la présence excessive de touristes, les sites de construction et la pollution, nuisent grandement à leur santé et leur sécurité.
Accessibilité des consultations de la Ville de Montréal
Le Groupe de travail a obtenu avec succès la tenue d’une consultation publique par l’Office de consultation publique de Montréal (OCPM) visant à travailler pour des mesures fortes permettant d’assurer la pérennité du quartier face à la spéculation et à la crise climatique, mais a été extrêmement déçu par la tournure des événements. May Chiu soutient que les audiences publiques ne sont pas du tout accessibles aux membres de la communauté chinoise du Quartier, entre autres aux aîné-es qui ne parlent en majorité ni le français ni l’anglais.
Elle déplore : « C’est nous qui avons dû traduire les documents, vulgariser les enjeux de la consultation, inviter et mobiliser la communauté. Les gens veulent participer aux consultations, mais l’OCPM refuse d’engager des interprètes. Une dame de presque 90 ans a marché quelques rues avec sa marchette pour assister à une période de questions avec la Ville de Montréal. Pourtant, puisqu’il n’y avait pas d’interprétation, elle s’est assise en silence pendant deux heures, sans rien comprendre de ce qui se passait ».
Obstacles et revitalisation économique après le début de la pandémie
Depuis le début de la pandémie du COVID-19, le Quartier chinois a subi les impacts les plus durs. Entre les crimes de haine anti-asiatique, l’interruption du tourisme étranger et la fermeture des restaurants, l’intégrité économique, physique et psychologique des habitant-es s’est trouvée compromise.
Les attaques contre les personnes et les commerces asiatiques rapportées au SPVM ont augmenté de 500% entre mars et décembre 2020 par rapport à 2019. « Malheureusement, la police n’est pas équipée pour résoudre ces incidents en raison des barrières culturelles et linguistiques, ainsi que de la nature corrective – et non pas préventive – de ses fonctions », affirme May Chiu. Il est donc possible de supposer que beaucoup d’incidents racistes ne sont pas rapportés à la police, ce qui laisse entendre que les chiffres sont probablement beaucoup plus élevés en réalité.
La vision à long terme du Groupe de travail sur le Quartier chinois pour l’avenir promeut la revitalisation économique selon un modèle local, circulaire et durable. Même si la Ville de Montréal a offert une trousse d’aide aux commerçant-es, les résident-es aspirent à une vision englobante qui met en valeur la culture et l’artisanat, sans se fier au tourisme étranger ni aux grands développeurs immobiliers.
Fondées par les immigrant-es, qui se sont regroupé-es en fonction de leur région d’origine, elles [associations familiales] sont profondément ancrées dans des valeurs d’entraide et de solidarité.
Selon May, « une économie résiliente se fonde sur l’âme et la présence de la population locale, résistant à la gentrification par les chaînes multinationales. Une communauté vivante est indispensable à une transition juste et écologique dans un quartier dont le patrimoine est également immatériel, porté par ses habitantes. ».
Elle rappelle qu’historiquement, la survie des Quartiers chinois au Canada est entre autres attribuable à la présence des associations familiales. Fondées par les immigrant-es, qui se sont regroupé-es en fonction de leur région d’origine, elles sont profondément ancrées dans des valeurs d’entraide et de solidarité. Alors que les banques refusaient de faire des prêts aux immigrant-es non-européen-nes, ces associations servaient de coopératives financières, en plus de jouer un rôle caritatif et éducatif important. Chaque membre doit payer une contribution hebdomadaire et l’argent est ensuite prêté aux personnes dans le besoin.
Les associations existent toujours et se sont épanouies en nombre et en ampleur. Symboles d’entraide locale, elles rappellent aux immigrant-es déraciné-es qu’iels ne sont jamais seul-es et qu’une communauté est là pour les épauler. May y voit un exemple important pour renforcer la résilience climatique.
Vers l’avenir du Quartier chinois
Quand May Chiu aborde les objectifs du Groupe pour les prochaines années, les idées ne se tarissent pas. Elle évoque une collaboration visant à tisser des liens avec des jeunes de la communauté Kanien’kehá:ka de Kanehsatà:ke qui s’inscrit dans une optique d’alliances intercommunautaires, ainsi que la commémoration des 100 ans de la taxe d’exclusion qui a longtemps visé les Chinois-es souhaitant s’établir au Canada.
Finalement, le Groupe travaille à la construction de 3 coopératives de logement pour héberger les jeunes familles, les aînées et les travailleur-euses migrant-es. May espère que cette initiative pourra mobiliser la prochaine génération de jeunes afin de continuer à porter pour le Quartier chinois une vision axée sur la justice climatique.