Entrevue avec Dalila Awada, Cata Ramirez, Fatima Gabriela Salazar Gomez et Nargess Mustapha de l’organisme communautaire Hoodstock
Lorsque l’organisme communautaire Hoodstock été fondé par des membres de la communauté de Montréal-Nord en 2009, c’était pour que les voix des habitant-es de l’arrondissement soient enfin entendues dans le contexte difficile qui a suivi l’assassinat du jeune Fredy Alberto Villanueva par un agent du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
Si l’organisme est encore actif dans la promotion de solutions socio-économiques plutôt que répressives à la lutte contre la violence et la criminalité, la figure militante antispéciste et antiraciste Dalila Awada, membre de l’équipe de l’organisme, explique tout de suite que « pour Hoodstock, même si ce n’était pas à la base dans notre mission, on lutte contre les inégalités systémiques et pour la justice sociale ». Nul doute pour elle qu’aujourd’hui, « ça inclut la justice climatique, c’est un enjeu incontournable. Ça s’est en quelque sorte imposé. Dans les prochaines années, ça va être l’enjeu central, on va être dans des situations d’urgence de plus en plus récurrentes et il va falloir se mobiliser au quotidien. ».
Sa collègue Cata Ramirez explique cependant que l’environnement n’est pas un sujet qui peut pas être abordé n’importe comment auprès de populations qui exercent des métiers exigeants et sont confrontées au quotidien à une grande précarité – « Un enjeu central dans l’engagement écologique, c’est la question du temps. Sachant que Montréal-Nord est un quartier rempli de diversité culturelle et ethnique, ce sont souvent des gens qui occupent des postes de travailleurs essentiels. Ce sont des métiers de care sous-payés et sous-valorisés et ils ont moins de temps à dégager pour la cause climatique. ».
Vivre avec le racisme environnementale
Pour ajouter au défi, Montréal-Nord vit sous le coup de risques environnementaux qui ne seraient vraisemblablement pas tolérés par le public et les institutions s’ils étaient vécus ailleurs. Un exemple saute aux yeux : la cour de l’école primaire Adélard-Desrosiers, qui possède le taux de défavorisation le plus élevé parmi toutes les écoles du Québec, est directement longée sur deux de ses flancs par deux oléoducs souterrains dont la vétusté inquiète. La situation a été révélée par les médias en 2017, mais depuis, c’est depuis quasiment le silence radio dans l’espace public, malgré que les deux conduites posent de plus un risque non négligeable pour l’eau potable de toute la métropole.
Dalila explique pourquoi cette situation, dans l’arrondissement de Montréal comptant le 4e pourcentage le plus élevé de personnes s’identifiant en tant que minorité visible, constitue une forme de racisme environnemental : « La raison pour laquelle c’est lié au racisme, c’est parce que les risques que provoque un pipeline sur la santé et sur le milieu sont tolérables parce que ça affecte des populations dévalorisées, déshumanisées, et que ultimement, “on s’en fout un peu des conséquences que ça a dans leur vie”, alors que ce ne serait pas le cas ailleurs. ». Elle et ses collègues interrogent en chœur – « Comment ça se fait qu’il n’y a pas des manifs tous les jours ? ».
Pour ajouter au défi, Montréal-Nord vit sous le coup de risques environnementaux qui ne seraient vraisemblablement pas tolérés par le public et les institutions s’ils étaient ailleurs.
D’autant plus que ce n’est pas la seule injustice criante avec laquelle doit composer Montréal-Nord. Cata mentionne notamment que Montréal-Nord compte « 3,9% d’espaces verts pour une moyenne montréalaise de 11 ou 12% [de la superficie totale] ». « Avec la pandémie, on a vu le besoin de pouvoir socialiser à distance, on voit comment ça affecte la santé des gens. Au-delà de la verdure, ce sont des espaces polyvalents qui peuvent desservir un quartier sous plusieurs angles. » indique-t-elle, soulignant nommant notamment leur importance comme lieu d’activité physique.
Fatima Gabriela Salazar Gomez souligne l’échec institutionnel et l’indifférence collective qui permettent cette situation, en soutenant que « La charge ne devrait pas juste être sur nous ! C’est la responsabilité de tous. On vit du pessimisme, on se sent impuissant, alors que c’est une responsabilité collective. ». En référant au grand isolement du quartier par rapport aux réseaux de transport en commun, elle ironise en disant que : « Ça devient une publicité électorale de promettre des lignes de métro, mais concrètement la population reste dans le néant ». L’équipe aimerait voir les élu-es et les institutions jouer un rôle réellement proactif pour la santé et le mieux-être de la communauté, mais surtout agir au service de la population, qui connaît ses propres besoins.
À ce sujet, Cata insiste sur l’aspect procédural des changements qui sont nécessaires, en soutenant que « Lors des prises de décision des élu-es, non seulement il faut inclure les personnes du quartier, mais pas juste les avoir dans des tables de concertation et dire “ça y est, il y a de la représentativité”, mais vraiment les inclure avec leurs savoirs à eux, dans leurs connaissances qui ne cadrent pas forcément avec l’écologie hégémonique. ». Elle pose la question : « Est-ce qu’on intègre vraiment nos codes culturels, nos codes sociaux ? ». Pour ce faire, l’expertise des résident-es doit être reconnue sur le plan symbolique, mais aussi pécuniaire. Pour Cata, « C’est une chose de demander aux communautés quelles sont les meilleures manières de faire, mais ça reste du bénévolat. C’est fou à quel point on sollicite beaucoup plus de temps bénévole de ces communautés [les plus marginalisées]. On parle de plus en plus en justice climatique de temps rémunéré à revaloriser leurs connaissances et leur épistémologie qui dérogent aux modèles dominants. ».
Des approches intégrées, mais mal adaptées pour la réalité du quartier
C’est que le quartier n’est pas étranger aux exemples de maladaptation environnementale et climatique, que le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) définit « comme des mesures d’adaptation inadéquates pouvant conduire à une augmentation du risque de conséquences néfastes associées au climat, à une augmentation ou un déplacement de la vulnérabilité aux changements climatiques ou à une dégradation des conditions de vie ».
Nargess Mustapha, présidente et co-fondatrice de Hoodstock, dénonce la déconnexion de certaines mesures par rapport aux communautés qu’elles sont censées servir : « Les politiciens en place font plus des réponses cosmétiques, mais jamais en profondeur. Sur la rue Jubinville, il y a plusieurs années, les élu-es ont mis en place trois gros bacs de poubelle, compost et recyclage en plein milieu de la rue, mais ça a créé trois fois plus de problèmes. Tout le monde devait aller déposer ses poubelles à cet emplacement, mais certaines personnes à mobilité réduite ne pouvaient pas y accéder. Ça s’empilait durant la semaine, ça restait là, ça puait, c’était pas très le fun. L’initiative a été soulignée, ils ont gagné un prix, etc. ». « C’est vraiment nice, mais est-ce que ça répond aux besoins ? », interroge-t-elle.
Fatima Gabriela renchérit et insiste pour dire que même quand certaines idées sont a priori intéressantes, « Il y a tellement de manque d’accompagnement quand on met en place des initiatives que ça échoue et que ça ne nous interpelle pas vraiment. ». Alors que la transition socio-écologique doit nécessairement passer par le renforcement du tissu social pour établir les solidarités et le pouvoir communautaire nécessaires pour affronter la crise écologique, elle souligne qu’il y a des limites évidents à répéter des recettes ayant fonctionné ailleurs : « À côté de chez moi, on a décidé de se réapproprier une ancienne station de service pour créer un espace d’échange et de discussion, mais moi je n’ai jamais vu une seule personne chiller là. C’est comme si on avait pitché un espace commun de Rosemont en se disant que ça va fonctionner pour Montréal-Nord parce que ça a été un succès dans Rosemont. La réalité c’est qu’on n’a pas les mêmes modes de vie, on n’a pas la même culture du quartier, la même conception de la vie du quartier. ».
Si la normalisation des atteintes aux droits fondamentaux de certaines personnes ne devrait jamais être tolérée, pour Dalila, le racisme et la déshumanisation sont également des freins à l’action climatique pour la société toute entière.
Elle réitère que la justice environnementale est un enjeu processuel : « Quand on parle de justice, c’est de bien s’adapter, de bien être sûr qu’on a compris les conceptions culturelles, les habitudes de vie des gens du quartier, au-delà de simplement dire qu’on implante des mesures qui fonctionnent bien ailleurs. ».
Si la normalisation des atteintes aux droits fondamentaux de certaines personnes ne devrait jamais être tolérée, pour Dalila, le racisme et la déshumanisation sont également des freins à l’action climatique pour la société toute entière, parce que « Quand on pense à toutes les tragédies, aux réfugiés climatiques qui essaient de fuir leur pays, on a une barrière entre nous et eux. C’est du monde qui “sont habitués à la misère de toute façon, ils ne peuvent pas espérer plus de toute façon”. Ils ont “moins de valeur”, ce n’est pas verbalisé comme ça, mais bon… Toute cette logique de déshumanisation raciste, elle ralentit les changements qu’on doit faire pour la justice climatique. ». Elle conclut en rappelant que « C’est parce qu’il y a des populations qui écopent en premier qu’on se dit qu’on a encore du temps – parce qu’ils vont être un tampon protecteur entre nous et les catastrophes naturelles ».