(Photo : Bill Burriss)

Après avoir obtenu mon doctorat aux États-Unis, j’ai enseigné au département de génétique de l’University of Alberta. C’est là aussi que j’ai débuté ma carrière à la télévision. Je suis très fier de recevoir de cette université un doctorat honorifique à titre de « visage de la conscience environnementale pour des générations de Canadiens et de téléspectateurs dans plus de 40 pays ».

Même si nous serons 13 personnes à recevoir un diplôme honorifique en juin, seule ma nomination fait l’objet d’une polémique. Bien qu’il soit flatteur d’être présenté comme un pivot du débat qui entoure les combustibles fossiles, les changements climatiques et l’avenir de l’humanité, la question dépasse ma seule personne. Après tout, mon discours sur l’économie, les limites de notre planète et le besoin de réorienter nos priorités n’est pas différent de celui que tiennent depuis des années les économistes, les scientifiques, les philosophes et de nombreux autres spécialistes du monde entier.

J’espère donc que cette polémique suscite à tout le moins un débat sain au sujet de l’influence des entreprises sur les établissements universitaires et sur les sources d’énergie qui perturbent le climat.

Trop souvent, toutefois, le débat s’éloigne des sujets qui exigent toute notre attention pour se transformer en attaques personnelles. Si une université, située au cœur même d’une région pétrolière, ne peut pas être le lieu d’échanges d’idées sur les conséquences géophysiques, sociales et économiques d’un usage effréné de combustibles fossiles, nous devrions sérieusement nous inquiéter de l’avenir de la recherche universitaire.

Dans tout le brouhaha entourant mon diplôme honorifique, certains se sont offusqués de mes propos sur la pensée économique traditionnelle (en omettant souvent la notion « traditionnelle »). Je ne suis pas un économiste, mais mes idées sont documentées par celles d’économistes, et elles ne sont pas inédites. Kate Raworth, économiste à Oxford et auteure de Doughnut Economics, m’a dit récemment que John Maynard Keynes se retournerait dans sa tombe s’il savait que l’on applique ses idées du début du 20e siècle à la réalité du 21e siècle.

Keynes a écrit que « l’économie est la science de penser en termes de modèles, jumelée à l’art de choisir les modèles pertinents au monde contemporain ». On était alors en 1938 : la population était le tiers de ce qu’elle est aujourd’hui, les ressources naturelles semblaient inépuisables et les changements climatiques se limitaient à quelques théories émises par des scientifiques qui étudiaient les périodes de glaciation.

Je ne peux même pas me vanter d’avoir qualifié l’économie traditionnelle de « forme de dommages au cerveau ». Je n’ai fait que répéter ce que m’a dit la futurologue et économiste Hazel Henderson. Littéralement, elle considère que les techniques de marketing qui incitent à la consommation et stimulent la croissance économique jouent sur les émotions des humains, en partie par le biais de messages qui affectent la chimie du cerveau. Elle avance que cela peut nous conduire à poser des gestes qui ne sont pas rationnels ni dans notre intérêt à long terme.

Ceux qui analysent les problèmes actuels à la lumière de théories économiques conventionnelles, mais dépassées, sont susceptibles d’adopter toutes sortes de positions contradictoires : prétendre que la croissance illimitée est viable malgré les limites du cadre, soutenir l’extraction des sables bitumineux et l’expansion des infrastructures gazières et pétrolières tout en clamant leur engagement face aux changements climatiques.

Rien ne croît indéfiniment. Pourquoi pensons-nous que la population humaine, l’extraction des ressources, l’économie, l’activité industrielle et les villes peuvent continuer de grandir ? Comment tout cela se terminera-t-il ? Comme le cancer, est-ce lorsque la croissance détruira l’hôte ?

Je respecte les différences d’opinion sur le mode de vie à adopter en cette époque de croissance démographique fulgurante, de changements climatiques, de déclin de la biodiversité et de nombreux autres problèmes que nous avons nous-mêmes créés. Toutefois, nous pouvons nous entendre sur l’essentiel. Pour rester en santé, nous avons besoin d’air pur, d’eau potable et de nourriture issue de terres saines. Nous ne pouvons pas poursuivre notre combustion effrénée de carburants fossiles et détruire les puits de carbone comme les forêts et les terres humides sans déstabiliser le cycle du carbone terrestre et les systèmes climatiques. Nous ne pouvons pas continuer à déverser du plastique et d’autres détritus dans les océans.

Comme l’affirme Kate Raworth, le défi du 21e siècle sera de répondre aux besoins de chacun « tout en nous assurant que, collectivement, nous n’exerçons pas une pression indue sur les systèmes dont notre vie dépend, notamment un climat stable, des sols fertiles et une couche d’ozone protectrice ».

Il ne s’agit pas de pointer une industrie ou un mode de vie en particulier. Il s’agit de reconnaître la réalité du réchauffement planétaire et notre responsabilité dans ce phénomène. Il s’agit de générer des bienfaits économiques pour chacun d’entre nous, pas uniquement pour les propriétaires et les actionnaires des grandes entreprises. Il s’agit de nous assurer que nos modèles économiques sont « pertinents au monde contemporain ». Il s’agit d’évaluer les progrès accomplis en fonction de la durabilité, du bonheur et du bien-être des humains plutôt que de la simple croissance économique.

 

Traduction : Michel Lopez et Monique Joly