Depuis les années cinquante, le monde du travail a connu de grands bouleversements dans les pays développés. Les avancées technologiques ont accentué l’obsolescence de nombreux métiers. La mondialisation a transféré des emplois là où la main-d’œuvre est la moins chère et où les normes sont les moins élevées. La plupart des ménages sont passés d’un seul soutien financier à deux, voire plus. Les femmes sont complètement intégrées au marché du travail, sans toujours bénéficier des mêmes chances, conditions et salaires. Une grande partie de notre travail est inutile et souvent destructrice : elle épuise les ressources, endommage les écosystèmes, pollue l’air, l’eau et le sol, et accélère les changements climatiques.
Pourtant, nous étirons notre vie active en travaillant autant ou plus au sein du même système dépassé et destructeur. Nous nous acharnons à produire, à consommer-jeter et à faire tourner la roue de la croissance illimitée et de la consommation ostentatoire. Le fossé entre les riches et les pauvres ne cesse de s’élargir. Les travailleurs et les chômeurs sont de plus en plus laissés pour compte, accablés par le fardeau de leurs dettes et une compétition féroce pour de rares emplois aux conditions qui se dégradent sans cesse.
Il faut reconnaître aux syndicats le mérite d’avoir contribué à l’amélioration des conditions de travail au cours du dernier siècle et plus. Toutefois, on peut leur adresser certaines critiques. Devant l’avancée de la technologie et de la mondialisation, ils ne se sont pas battus pour obtenir une réduction progressive des heures de travail. Ils ont plutôt revendiqué des hausses de salaires et de meilleurs avantages sociaux, bien qu’ils doivent maintenant lutter pour prévenir les coupes draconiennes dans les emplois, les salaires et les avantages.
Beaucoup de gens sont fatigués, trop surmenés pour participer à la vie citoyenne ou même passer du bon temps avec leur famille et leurs amis, trop coincés dans l’engrenage de la consommation qui ne leur apporte ni joie ni épanouissement. Quant aux changements climatiques, des réformes graduelles auraient pu prévenir les mesures radicales qui s’imposent maintenant, mais agir tout de suite sera beaucoup plus bénéfique pour une foule de gens que de rester les bras croisés. Plus nous reportons les mesures correctives à apporter, plus leur implantation sera difficile et coûteuse.
Quelle absurdité que de voir autant de gens travailler encore huit heures par jour, cinq jours par semaine, ou plus, avec seulement quelques semaines de vacances annuelles et qui ont souvent besoin de deux revenus pour soutenir le ménage. Notre système économique a été mis sur pied lorsque les ressources semblaient abondantes, voire inépuisables, et qu’il y avait un grand besoin d’infrastructures. Nous devons revoir notre approche pour faire face aux conditions actuelles plutôt qu’à celles qui prévalaient il y a des décennies, à une époque où nous n’étions pas conscients des nombreux effets négatifs de nos actions.
Les recherches font valoir les nombreux avantages de réformes comme la réduction des heures de travail et le salaire minimum universel. À Gothenburg, en Suède, les employés d’une maison de retraite ont adopté un horaire de six heures de travail par jour dans le cadre d’une étude de deux ans. Bien que l’embauche de 15 nouveaux employés ait fait augmenter les coûts de 22 , la formule a réduit certains postes de dépenses comme les congés de maladie qui ont baissé de 10 . Les employés ont signalé une amélioration de leur état de santé de 50 % supérieure à celle des employés qui travaillaient à temps plein dans d’autres établissements. Depuis, les patients bénéficient de meilleurs soins. Et les femmes qui ont des enfants ont une meilleure qualité de vie.
On pourrait aussi atténuer beaucoup d’effets négatifs sur le réchauffement planétaire par de petites réductions du temps de travail: semaines de travail plus courtes et congés plus longs. C’est la conclusion du Center for Economic and Policy Research, un groupe de réflexion basé à Washington.
«À elle seule, une combinaison de semaines de travail plus courtes et de congés plus longs qui réduirait en moyenne les heures annuelles de 0,5 pour cent par année pourrait atténuer un quart, voire la moitié ou plus, du réchauffement qui n’est pas irréversible», a déclaré l’économiste David Rosnick, auteur du rapport.
Une semaine de quatre jours (comme à la Fondation David Suzuki) diminue la pollution et les émissions générées par le voyagement et, dans de nombreux cas, réduit la consommation d’énergie. Lorsque l’Utah a instauré la semaine de quatre jours pour ses fonctionnaires en 2007, l’État a économisé 1,8 million $ en énergie seulement. Une diminution du voyagement a entraîné une réduction de CO2 estimée à plus de 11 000 tonnes.
Un meilleur équilibre entre le travail et la vie personnelle apporte aussi de nombreux avantages sur le plan individuel et collectif. La vie familiale se renforce, les gens ont plus de temps à consacrer à des projets créatifs et éducatifs. Comme ils sont plus heureux et plus reposés, les employés sont plus productifs. Comme plus d’employés se partagent les emplois disponibles, les coûts des services sociaux diminuent, et plus de gens peuvent contribuer à la prospérité économique.
*David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Ian Hanington, rédacteur en chef à la Fondation David Suzuki.
Traduction : Michel Lopez et Monique Joly