En juillet dernier, la rupture d’un pipeline a engendré le déversement d’environ 250 000 litres de pétrole dans la rivière Saskatchewan Nord près de Maidstone, en Saskatchewan. Ce pétrole dilué provenant des sables bitumineux a ravagé le milieu naturel et a mis en péril l’eau potable des municipalités avoisinantes, dont celle de Prince Albert. C’était l’un des 11 déversements de pétrole qui ont eu lieu dans cette province depuis 2015.
En octobre, un remorqueur traînant une barge vide a fait naufrage près de Bella Bella, ce qui a entraîné l’écoulement du diésel qu’il contenait le long de la côte de la forêt pluviale du Grand Ours, en Colombie-Britannique. Par la suite, le mauvais temps a endommagé le barrage de rétention d’hydrocarbures. Le milieu marin a ainsi été contaminé et l’exploitation de crustacés et de palourdes a été menacée.
Les gouvernements et les promoteurs du développement des infrastructures gazières parlent souvent d’« expertise de renommée mondiale » en matière d’intervention en cas de déversements. Cette garantie d’expertise est d’ailleurs l’une des conditions imposées par le gouvernement de la Colombie-Britannique pour le développement de nouveaux pipelines. Mais de deux choses l’une : soit qu’on est en deçà du niveau d’expertise requis ou que ce terme n’a que peu de valeur. « Cette « expertise de renommée mondiale » a brillé par son absence, ici, à Bella Bella », a confié la chef de la Première Nation Heiltsuk, Marilyn Slett, au journal Metro de Vancouver.
Si les autorités ont réagi avec tant de difficulté lors du déversement somme toute mineur de ce remorqueur, comment peuvent-ils croire qu’ils pourront réagir de façon adéquate lorsqu’il y aura un déversement d’un pipeline ou d’un pétrolier rempli de bitume dilué ? La simple et troublante vérité est qu’il est impossible de nettoyer convenablement un gros déversement. En 2015, un rapport commandé par la Ville de Vancouver et les Premières Nations Tsleil-Waututh et Tsawout indiquait que le nettoyage d’une marée noire est un défi difficile à relever, tributaire du temps et inefficace dans de nombreux cas, même dans les conditions les plus favorables.
Cette « expertise de renommée mondiale » que l’industrie pétrolière essaie de nous vendre se résume à quatre méthodes : les barrages de rétention, la récupération par écrémeuses, le brûlage et les dispersants chimiques. Un article sur le site smithsonian.com fait remarquer que ces technologies peuvent souvent faire la différence pour les petits déversements, mais seulement en eaux abritées, et qu’aucune de ces méthodes n’a pu retenir efficacement les gros déversements. Les barrages de rétention ne sont pas efficaces dans les eaux agitées ou glacées, et c’est ce qu’on a clairement constaté lors du déversement à Bella Bella. Les écrémeuses ne nettoient que la surface de l’eau et bien souvent de manière inefficace. Le brûlage est une méthode polluante qui émet des gaz à effet de serre, et les dispersants ne font que répandre les contaminants, et ça, c’est quand ils agissent.
Les chercheurs ont aussi trouvé qu’on n’augmentait que faiblement les chances de survie des oiseaux enduits de pétrole en les nettoyant. Une minuscule goutte de pétrole peut tuer un oiseau de mer.
Après le déversement d’Exxon Valdez en 1989 près de la côte de l’Alaska, on n’a pu récupérer qu’environ 14 pour cent des hydrocarbures — c’est dans la moyenne — pour un coût total de 2 milliards de dollars. En 2011, la marée noire de BP dans le golfe du Mexique a coûté plus de 42 milliards jusqu’à présent et les résultats ont été moins que satisfaisants. Ils ont aspergé la zone avec le dispersant Corexit qui a tué les bactéries qui se nourrissent de pétrole ! Et un nombre record de grands dauphins sont morts.
On n’arrêtera pas le transport des hydrocarbures du jour au lendemain. Il est donc absolument nécessaire qu’on augmente l’efficacité des interventions quand il y a des déversements. L’amélioration de la sûreté des pipelines, des pétroliers et des trains qui transportent ces produits dangereux est donc d’une importance capitale, tout comme l’est celle des inspections et de l’application des lois. Après le déversement en Saskatchewan, le gouvernement n’a pas jugé nécessaire de faire une évaluation environnementale pour le prolongement du pipeline qui avait cédé, parce que ce n’était pas considéré comme un nouveau projet. Emily Eaton, qui enseigne la géographie à l’Université Régina et qui a étudié le développement de l’industrie pétrolière, a confié au National Observer que la Saskatchewan approuve d’emblée la majorité des projets de pipelines sur son territoire administratif.
Mais au-delà de l’amélioration des interventions et au-delà d’un renforcement de l’application des lois, on doit diminuer la quantité d’hydrocarbures transportés. La folle ruée de l’exploitation et de la vente d’autant de pétrole, de gaz et de charbon, avant que les ressources ne se raréfient et que les marchés ne se déssèchent, a mené à un accroissement fulgurant du transport des combustibles fossiles par pipelines, trains et pétroliers. Et cela a souvent mené à de désastreuses conséquences comme celles du déversement de pétrole de BP dans le golfe du Mexique et de la tragique explosion d’un train à Lac-Mégantic en 2013.
Les déversements et les désastres illustrent les impacts négatifs immédiats de notre trop grande dépendance à l’énergie fossile. Les changements climatiques nous indiquent qu’on ne peut pas continuer à brûler du charbon, de l’huile et du gaz, que nous devons en laisser une grande partie sous terre, sans l’exploiter. Si l’on s’y met, on aura sans doute encore le temps de faire la transition et d’éviter ainsi les conséquences catastrophiques. Mais plus on attendra, plus ça deviendra difficile.
David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Ian Hanington, rédacteur en chef à la Fondation David Suzuki.