Le Canada est riche. Riche en eau. Notre territoire abrite le cinquième des ressources mondiales d’eau douce, le quart des terres humides restant sur la planète, et le plus long littoral au monde. Nos milliers de lacs et cours d’eau de toutes tailles sont garants de vie pour nous et pour toutes les autres formes de vie et les écosystèmes qui nous entourent.
Cette richesse a un revers, cependant. L’eau douce est si abondante qu’il est facile — et tentant -de tenir pour acquis l’accès à cette ressource essentielle. Pensons-y un instant. L’eau est intimement liée à plusieurs moments de notre quotidien, mais combien de fois nous arrêtons-nous pour apprécier notre immense chance d’avoir accès à de l’eau potable au bout du robinet?
Si seulement tout le monde avait cette chance. Or ici même au Canada, l’on compte quelque 1 000 avis d’ébullition d’eau en vigueur à tous les jours. Imaginons devoir nous rendre quotidiennement à la salle communautaire, à l’église ou au poste de pompiers pour remplir des bidons d’eau potable pour nous-mêmes et notre famille. Imaginons un instant devoir faire bouillir toute l’eau utilisée dans la maison — pour faire la cuisine, le ménage, le lavage.
Impensable? Et pourtant telle est la réalité des résidents de collectivités frappées d’un avis d’ébullition de l’eau. Dans certains cas, cet avis est en vigueur pendant des dizaines d’années!
Les problèmes liés à l’eau, sont sérieux. Rappelons-nous Walkerton, en Ontario, où l’eau — soi-disant potable — infestée de bactéries a tué sept personnes et rendu malades 2 300 résidents en mai 2000. L’enquête publique qui a suivi a décrété que la crise était attribuable à des lacunes dans les programmes d’autorisation et d’inspection de la province, à un manque de formation et d’expertise des responsables de l’alimentation en eau, et aux restrictions budgétaires du gouvernement.
En 2001, de l’eau contaminée à North Battleford, en Saskatchewan, a rendu malade près de la moitié des 14 000 résidents de la municipalité. L’enquête qui a suivi a conclu que la surveillance provinciale était inadéquate et inefficace. Les communautés autochtones sont durement touchées par l’inaccessibilité à l’eau potable. En effet, les Premières Nations habitant sur une réserve sont 90 fois plus susceptibles de ne pas avoir accès à l’eau courante et potable.
Selon les rapports de Santé Canada, l’on comptait à la fin de 2015 pas moins de 131 avis d’ébullition de l’eau dans 87 communautés autochtones… sans compter la Colombie-Britannique. Dans cette province, la régie de la santé des Premières Nations (lien en anglais) recensait 28 avis de non-consommation d’eau potable en vigueur dans 25 communautés autochtones le 31 janvier 2016. À Shoal Lake 40, Grassy Narrows et Neskantaga, les avis d’ébullition de l’eau sont en vigueur depuis des décennies.
Comment pouvons-nous accepter une telle situation dans un pays regorgeant d’eau douce comme le Canada?
Bien sûr, le Canada a reconnu le droit à l’eau lors de la Conférence des Nations unies sur le développement durable de 2012, mais aucune mesure tangible n’a suivi. Comme le souligne un rapport des Nations unies publié en 2015, la crise mondiale de l’eau en est davantage une de gouvernance que de disponibilité de la ressource, et c’est donc en ce domaine qu’il faut agir pour assurer l’accès à l’eau à tous les habitants de la planète.
Le Canada est le seul pays du G8 — et l’un des deux seuls de l’OCDE — qui ne dispose d’aucune norme nationale exécutoire en matière de qualité de l’eau potable. À l’échelle provinciale, les politiques sur l’eau forment une espèce de ramassis incohérent. Le Canada ne s’est pas doté d’une stratégie nationale pour s’attaquer aux enjeux pressants entourant l’eau potable, et le fédéral manque clairement de leadership en ce qui touche à la conservation et à la protection des ressources d’eau douce. La politique fédérale sur l’eau a plus de 25 ans et aurait cruellement besoin d’une cure de jouvence. Pendant ce temps, eh bien l’industrie et l’agroentreprise ont les mains libres et la pollution se répand sans contrainte et nos ressources en eau sont de plus en plus menacées.
Le gouvernement fédéral déposera son premier budget le 22 mars, Journée mondiale de l’eau. Ce jour-là, le mouvement Bleu Terre de la Fondation David Suzuki prendra position publiquement avec les communautés à travers le Canada pour exhorter le gouvernement fédéral à prendre acte de notre affirmation de notre droit à tous à l’eau potable, et à adopter une charte fédérale des droits environnementaux.
La ministre canadienne responsable de l’environnement et du changement climatique a le mandat de « traiter nos eaux douces comme une précieuse ressource qui doit faire l’objet d’une protection et d’une gouvernance prudente ». Le gouvernement ferait un grand pas dans cette direction en reconnaissant notre droit à un environnement sain, et notamment le droit de chacun à l’eau potable.
Le gouvernement devrait également adopter des normes nationales contraignantes en matière de qualité de l’eau potable, et ces normes devront être au moins aussi strictes que dans les autres pays industrialisés. Des objectifs à court et à long terme doivent également être fixés en matière de réduction de la pollution de l’eau. Enfin, le gouvernement doit garantir notre droit à l’eau, régler la crise de l’eau potable qui empoisonne la vie des communautés autochtones, créer un Fonds national de l’eau qui favorisera un secteur technologique s’intéressant à l’eau pure et mettre sur pied un système de surveillance de la qualité et de la consommation de l’eau à l’échelle nationale.Ainsi tous les citoyens du Canada, et les générations qui suivront, auront accès à de l’eau pure et potable.
Profitons de la Journée mondiale de l’eau pour affirmer haut et fort notre désir de protéger les gens et les lieux qui nous tiennent à cœur. Ralliez-vous au mouvement Bleu Terre.
Avec la participation d’Amy Juschka, spécialiste des communications pour le mouvement Bleu Terre de la Fondation David Suzuki.