Est-ce que nous faisons assez de place à l’oisiveté dans nos vies? (Photo: Spencer Selover via Pexels)

Dans son magnifique essai de 1932 intitulé « Éloge de l’oisiveté », le philosophe Bertrand Russell a écrit : « En effet, j’en suis venu à penser que l’on travaille beaucoup trop de par le monde, que de voir dans le travail une vertu cause un tort immense […] ». Ces mots pourraient nous inspirer une solution à la crise climatique.

Russell préconisait une diminution graduelle du travail rémunéré à quatre heures par jour : une façon selon lui de favoriser le plein emploi, de faire plus de place aux loisirs créatifs et de contribuer au bien commun. « Dans un monde où personne n’est contraint de travailler plus de quatre heures par jour, tous ceux qu’anime la curiosité scientifique pourront lui donner libre cours, et tous les peintres pourront peindre sans pour autant vivre dans la misère », a-t-il écrit.

Dans les années 1930, Russell, on le comprend, ne parlait pas de protection environnementale, même s’il faisait allusion à la capacité de l’être humain à transformer la planète. Mais, pourquoi ne pas pousser sa pensée plus loin et voir dans l’oisiveté une solution climatique ?

Sa théorie porte sur le travail rémunéré. Mais elle pourrait également constituer un appel à une diminution de l’activité générale, une invitation à rester tranquille. Tout ce que nous faisons requiert de l’énergie. Faire quelque chose, c’est polluer. C’est participer au réchauffement. C’est, en fait, contribuer à l’urgence climatique.

Lorsque mes enfants étaient petits, nous avions un pédiatre perspicace qui abordait les maladies bénignes en ces termes : « Eh bien, nous pouvons essayer un médicament ou nous pouvons ne rien faire ». Il m’a appris que d’attendre avant d’agir peut, dans certains cas, s’avérer un choix judicieux.

Alors, quand devrions-nous pratiquer l’oisiveté ?

Le problème ne réside pas tant dans les déplacements alimentés par les combustibles fossiles que dans les déplacements en général. Le problème n’est pas seulement que nous bougeons, mais que nous bougeons trop.

Prenons le transport. Les environnementalistes nous incitent à abandonner les véhicules à essence au profit de modèles électriques. Ces derniers sont parfaits et font certainement partie de la solution à l’urgence climatique, mais nous devons peut-être en faire plus. Le problème ne réside pas tant dans les déplacements alimentés par les combustibles fossiles que dans les déplacements en général. Le problème n’est pas seulement que nous bougeons, mais que nous bougeons trop.

En effet, même les véhicules électriques contribuent à la crise environnementale. Outre les conséquences écologiques liées à leur fabrication, ils peuvent favoriser d’autres activités néfastes pour le climat, comme prendre sa Tesla pour se rendre chez le boucher ou à l’aéroport. La solution optimale n’est pas de se déplacer en voiture électrique, mais de s’interroger sur la nécessité de nos déplacements. La meilleure chose à faire est peut-être d’en faire moins.

Dans cette même veine, nous pourrions envisager de dormir davantage. Lorsque nous dormons, nous utilisons moins d’appareils électriques et d’éclairage, moins d’eau chaude, de chauffage et de climatisation. Le temps passé sous les couvertures n’est pas passé derrière le volant. À l’échelle du Canada, si nous dormions une heure, voire une demi-heure, de plus par nuit, nous réduirions considérablement notre consommation de combustibles, sans compter les bienfaits qu’en retireraient les personnes en manque de sommeil.

Et si nous encouragions les gens à faire une sieste durant la journée ? L’idée vous semble peut-être farfelue, mais les situations critiques requièrent des mesures novatrices.

Et si nous encouragions les gens à faire une sieste durant la journée ? L’idée vous semble peut-être farfelue, mais les situations critiques requièrent des mesures novatrices. Les écoles et entreprises pourraient installer des lits pliants, et demander à tous d’éteindre les lumières et appareils et de s’étendre durant 30 minutes. Nous pourrions appeler cette pause le « siesta-club ». Il est clair que certains n’y participeraient pas, mais ceux qui le feraient trouveraient sûrement cela très revigorant. Des villes comme Tokyo, Londres et New York ont maintenant des « bars à sieste » et des « cafés à sieste ». À Toronto, l’entreprise Nap It Up loue des lits pour des siestes de 25, 55 ou 85 minutes.

Tout comme les ours sont peu menaçants durant leur hibernation, les humains réduisent leur potentiel destructeur lorsqu’ils dorment. Inactifs, nous sommes moins nuisibles.

Et dites-vous que Bouddha n’a atteint le nirvana que lorsqu’il a choisi de cesser toute activité. Il s’est simplement assis sous un vieux figuier des pagodes !

Il ne s’agit pas de pratiquer une oisiveté générale, mais plutôt une oisiveté sélective. En matière d’activisme climatique, par exemple, il faudrait en faire plus, pas moins. Nous devons mobiliser davantage de personnes et étendre notre influence.

Cela dit, là encore, l’inaction a sa place. Les environnementalistes sont souvent invités dans le cadre de leur travail à parcourir de longues distances pour se rendre à des conférences. Ils devraient se sentir légitimés de refuser ces invitations. Si une rencontre n’est pas essentielle, une notion qui n’est pas toujours facile à définir, ils devraient envisager la possibilité de rester chez eux.

La maladie impose l’oisiveté. Elle exige une période d’alitement et de repos non négociable, question de se rétablir. La situation climatique exige de la société une telle oisiveté. Nous devons écouter notre milieu malade ; nous devons écouter notre planète en crise. Nous devons, à tout le moins, ralentir.

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Traduction : Monique Joly et Michel Lopez