Que doit-on changer pour que l’extraction industrielle des ressources canadiennes fasse vraiment partie de l’économie circulaire? (Photo : Max P via Flickr)

De nombreuses voix s’élèvent en faveur d’une relance verte et juste post-pandémie. Des investissements dans des solutions naturelles aux changements climatiques, la restauration d’écosystèmes détériorés et fragmentés, la consolidation du filet de sécurité sociale ou la révision des systèmes économiques défaillants pourraient nous rendre plus résilients aux crises actuelles et futures.

Le concept d’« économie circulaire » nous permettrait de passer à des systèmes économiques écoresponsables dans lesquels l’extraction de ressources dans des écosystèmes naturels sous-exploités serait considérablement diminuée, voire éliminée. Cela implique le passage du modèle « extraire-transformer-jeter » à un modèle où la réparation, la réutilisation et la nouvelle vie des biens deviennent la norme.

Dès qu’un nouveau concept est lancé pour définir une vision d’un monde meilleur, des intérêts industriels se l’approprient pour tenter d’afficher une image « verte ». C’est exactement ce que fait l’Association des produits forestiers du Canada en réponse à un rapport qui remet en question la partie importante de la forêt boréale exploitée pour la production de papier hygiénique. Ce secteur industriel prétend que la foresterie fait « partie de l’économie circulaire » au Canada.

Il est vrai que, dans les usines à papier modernes, la plupart des arbres récoltés sont destinés à une grande variété de produits. Il est vrai aussi que les forêts sont renouvelables, à savoir que les arbres abattus peuvent être remplacés par de nouveaux. Mais, les forêts qui ont été exploitées et régénérées sont très différentes des forêts qui n’ont pas été touchées par la gestion industrielle.

Comme l’industrie privilégie les essences exploitables, la composition naturelle des forêts est modifiée. Ces pratiques entraînent une dégradation des forêts et un affaiblissement des écosystèmes.

Les routes et les débarcadères où le bois est entreposé peuvent laisser des cicatrices permanentes et cumulatives. Les arbres sont abattus avant leur pleine maturité, ce qui perturbe les habitats et les cycles nutritifs forestiers. Comme l’industrie privilégie les essences exploitables, la composition naturelle des forêts est modifiée. Ces pratiques entraînent une dégradation des forêts et un affaiblissement des écosystèmes.

Les perturbations industrielles sont aussi un facteur important du déclin du caribou forestier, menacé d’extinction au Canada. Le caribou est une espèce « parapluie » qui dépend de forêts non fragmentées.

Le principe de l’économie circulaire, c’est de nous assurer que nous vivons dans le cadre des limites de la planète — limites dans lesquelles les besoins actuels peuvent être satisfaits sans compromettre l’existence des générations futures, humaines et animales.

À quelques exceptions près, les exploitants forestiers et les provinces ont ignoré cette directive, entraînant la diminution progressive des populations de caribous dans la forêt boréale canadienne.

Le déclin du caribou est un indicateur que les limites écologiques ont été dépassées. En 2012, le gouvernement fédéral a demandé aux provinces de limiter les perturbations forestières dans les aires de répartition du caribou boréal à un maximum de 35 pour cent, ce qui donnerait au caribou une chance de survie d’à peine 60 pour cent. À quelques exceptions près, les exploitants forestiers et les provinces ont ignoré cette directive, entraînant la diminution progressive des populations de caribous dans la forêt boréale canadienne.

Que doit-on changer pour que l’extraction industrielle des ressources au Canada fasse vraiment partie de l’économie circulaire ?

Tout d’abord, il faut fixer des balises aux activités industrielles. L’abattage de forêts jamais exploitées pour produire plus de papier hygiénique, de papier d’emballage et d’autres produits papetiers que nous recyclons à peine ne sera jamais circulaire, et encore moins durable. L’exploitation sans cesse croissante des forêts non fragmentées doit être freinée. Les gouvernements et l’industrie doivent redoubler d’efforts pour assurer un habitat adéquat aux espèces en péril, restaurer les forêts dans lesquelles le niveau de perturbations a entraîné un déclin de la faune, et trouver des façons innovatrices de faire de l’abattage dans les zones qui ont déjà été exploitées.

Le Canada est le premier producteur mondial de papier journal et de pâte Kraft blanchie de résineux nordiques, une matière première destinée à la production de produits papetiers. Le plan stratégique 2020 pour le secteur forestier de l’Ontario prévoit une augmentation de 35 % de la production de papier mouchoir et de 25 % du papier d’emballage. Il est clair que le cycle de vie des produits forestiers doit être repensé et transformé.

Nous devons également redéfinir l’objectif principal de notre secteur forestier, afin de remplacer le modèle actuel d’abattage rapide lucratif par un modèle qui récompense les exploitants qui abattent moins et commercialisent de meilleurs produits. Une vraie économie circulaire favorise la qualité à long terme (des forêts plus saines et plus diversifiées) plutôt que la quantité (le nombre d’arbres abattus). Toujours mieux plutôt que toujours plus.

Il est insensé de détruire un habitat si précieux pour faire des produits à usage unique comme le papier hygiénique, alors que le papier hygiénique recyclé et d’autres options peuvent répondre à nos besoins. Les consommateurs et les manufacturiers doivent repenser les produits et l’emballage.

L’industrie forestière canadienne peut toujours utiliser des copeaux de bois et des scies circulaires, mais elle ne fera pas partie de l’économie circulaire tant qu’elle n’adoptera pas des principes circulaires pour se transformer à la base.

DEMANDEZ À OTTAWA DE SOUTENIR UNE RELANCE VERTE ET JUSTE

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez