Vue du ciel de l'extraction minière

(Crédit : Delta Whiskey via Flickr)

J’ai souvent pensé que les politiciens habitaient dans un univers parallèle. Peut-être que ce n’est que de la dissonance cognitive généralisée, couplée à un manque d’imagination, qui les oblige à s’engager dans des comportements contradictoires. Essayer d’apaiser tant d’intérêts variables n’est pas facile.

Au lieu de se concentrer sur l’économie à court terme et sur les priorités des entreprises, les politiciens devraient considérer en premier lieu la santé de la population à long terme et le bien-être des personnes qui les ont élus pour les représenter. Lorsqu’il s’agit des changements climatiques et des combustibles fossiles, nombreux sont ceux qui ne suivent pas la bonne voie.

Nous saluons la décision du gouvernement fédéral d’imposer un prix sur le carbone à l’échelle nationale. Toutefois, sans mesures additionnelles, cette décision sera insuffisante pour atteindre nos engagements dans le cadre de l’accord de Paris, accord qui est aussi inadéquat pour maintenir le réchauffement climatique loin des niveaux catastrophiques. Un gouvernement pourrait être pardonné pour aller lentement sur une mesure contestée par certains secteurs industriels, provinces et citoyens, mais il est difficile de prendre un gouvernement au sérieux quand il approuve ou appuie l’expansion des infrastructures des énergies fossiles et leur développement pendant que le monde continue de battre des records de chaleur, avec des conséquences de plus en plus graves.

Un gigantesque projet de gaz naturel liquéfié en Colombie-Britannique, véritable « Bombe de carbone à retardement » au beau milieu d’une pouponnière pour les saumons, au mépris des souhaits de nombreuses Premières nations de la région ; l’approbation probable d’au moins un autre pipeline pour supporter l’expansion et le développement des sables bitumineux ; un gouvernement provincial qui dit en substance…« Nous allons appuyer les efforts du fédéral pour combattre les changements climatiques si vous soutenez nos efforts pour les emballer. » Rien de cela n’a de sens.

Un rapport d’Oil Change International et 14 autres groupes à but non lucratif a conclu que « les émissions potentielles de carbone provenant du pétrole, du gaz et du charbon des champs et des mines d’exploitation existants nous amèneraient au-delà de 2°C de réchauffement » et que « les réserves actuelles dans les champs de pétrole et de gaz, à eux seuls, même sans le charbon, amèneraient le monde au-delà d’un réchauffement de 1,5°C » et ce, sans nouveaux développements !

Ce qui nous laisse avec trois choix : gérer le déclin du secteur des énergies fossiles, bloquer des actifs pour qu’ils deviennent désuets, ou subir le chaos climatique. Le premier, qui est celui recommandé par le rapport, veut dire qu’aucune nouvelle infrastructure pour les combustibles fossiles ne peut être construite, pour qu’ensuite les réserves existantes s’épuisent et soient remplacées par des alternatives propres, et que les employés soient transférés vers ce nouveau secteur d’activité. Comme les auteurs du rapport le soulignent, « cela ne signifie pas l’arrêt de l’utilisation de tous les combustibles fossiles en une seule nuit. Les gouvernements et les entreprises devraient procéder à gérer déclin de l’industrie des combustibles fossiles et assurer une transition juste pour les travailleurs et les communautés qui dépendent de ces industries. »

Le blocage d’actifs veut dire : « Les compagnies continuent de développer de nouveaux champs d’exploitation et des mines, les gouvernements ont éventuellement réussi à restreindre les émissions, la demande chute et les infrastructures d’extraction d’énergies fossiles deviennent non-rentables, causant la destruction du capital et une perte massive d’emplois. »

Dans le troisième scénario, nous continuons à creuser, miner, fractionner, construire, transporter, vendre et brûler des carburants fossiles jusqu’à ce que nous soyons bien au-delà de la limite des 2oC, ce qui équivaut à une catastrophe économique et humaine.

Tristement, au Canada et ailleurs, nous avons choisi la deuxième option, et dans certains cas, la troisième. Les subventions à l’industrie des combustibles fossiles, l’industrie la plus rentable, continuent d’arriver malgré l’engagement du G20 en 2009 de les éliminer. Le Canada, à lui seul, encourage l’industrie à hauteur d’environ 3,3 milliards $ par année en allègements fiscaux et subventions, et ce montant ne comprend pas les incitatifs provinciaux. Les politiciens disent qu’ils se préoccupent du climat pendant qu’ils argumentent qu’il nous faut plus de bitume, de gaz naturel et de charbon pour l’alimenter la croissance économique et la population humaine, et plus de pipelines pour acheminer notre « produit » jusqu’à la côte et aux marchés étrangers. La Saskatchewan a les meilleures ressources éoliennes et solaires du Canada, mais le gouvernement met l’accent sur les systèmes coûteux et peu fiables comme la captation du carbone et le stockage tout en décriant la tarification du carbone et d’autres outils pour réduire les émissions.

Tout est une forme de déni. Économiser de l’énergie, entamer le passage à des sources propres, réduire l’utilisation de l’automobile en améliorant le transport en commun et les infrastructures pour piétons et cyclistes, protéger et restaurer les puits de carbone naturels comme les forêts et les zones humides, et contrôler les émissions agricoles sont tous des objectifs possibles, et ils créeraient beaucoup d’emplois et d’opportunités économiques.
La plupart des gouvernements nationaux se sont engagés à respecter les objectifs de l’accord de Paris de 2015, soit limiter le réchauffement climatique à 2oC sous les niveaux préindustriels, avec un objectif ambitieux de 1,5oC. Nous avons déjà presque atteint ce dernier, avec des conséquences de plus en plus importantes, y compris l’augmentation des phénomènes météorologiques extrêmes, des pénuries d’eau et de nourriture, des crises migratoires et des extinctions. Nous devons réussir à conserver l’énergie, nous retirer rapidement de l’énergie produite par la combustion du charbon et continuer à développer des énergies renouvelables.

Comme Oil Change International l’a dit, « Si vous êtes dans un trou, arrêtez de creuser. »

*Texte traduit de l’anglais par Francis Grenier

David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Ian Hanington, rédacteur en chef à la Fondation David Suzuki.

Pour plus d’information, visitez www.davidsuzuki.org/fr