Il n’y a pas si longtemps, la cigarette était synonyme de santé, voire d’élégance. L’industrie du tabac faisait appel à des médecins et des vedettes de la télévision et du cinéma pour promouvoir ses produits. On fumait partout : au bar, au restaurant, au théâtre, au travail, dans l’avion, dans l’autobus, dans le taxi… même à l’hôpital et à l’école. Difficile d’imaginer que l’inhalation de fumée et de particules de plantes brûlées a déjà paru une bonne idée, saine pour le corps. Mais la cigarette détenait un potentiel lucratif très élevé!
Bien sûr, les taux de cancer du poumon ont connu une hausse marquée dans les années 1940 et 1950. Ses corrélations avec la cigarette ont impulsé de nouvelles études et ont encouragé la limitation de la consommation du tabac. Cependant, dans un système économique dominé par le profit au détriment de la santé humaine et de la vie, la vérité devient souvent un inconvénient plutôt qu’un élément important à considérer. Les entreprises de tabac ont payé des études et des porte-paroles dans les médias pour convaincre la population du caractère inoffensif de la cigarette et pour revendiquer le « droit » de fumer.
Nous vivons toutefois dans un système capitaliste, ce qui nous expose toujours à la promotion – parfois fausse ou trompeuse – de produits nocifs.
Lorsque les preuves des dommages du tabac devenaient indéniables, les gouvernements ont commencé à implanter des restrictions et à interdire la publicité. Le contrecoup fut colossal, richement financé et bien coordonné. Parmi les voix qui se sont portées à la défense de l’industrie, plusieurs ont plus tard aussi minimisé ou nié les preuves des changements climatiques causés par la combustion de charbon, de pétrole et de gaz (source en anglais).
Beaucoup d’entre nous se rappellent l’expérience déplaisante de manger à côté d’une table de la section fumeurs. De nos jours, bien moins de gens consomment la cigarette. Et la plupart en reconnaissent les risques pour la santé des personnes fumeuses et de leur entourage, et acceptent les limitations sur les lieux et les moments où l’on peut s’y adonner. Nous avons aussi collectivement accepté, dans une certaine mesure, les restrictions et l’interdiction de la publicité pour des produits dangereux pour la santé, voire mortels.
Nous vivons toutefois dans un système capitaliste, ce qui nous expose toujours à la promotion – parfois fausse ou trompeuse – de produits nocifs. Notamment, les voitures, les camionnettes et les VUS, et le carburant qu’ils brûlent contaminent l’air, l’eau et la terre. De surcroît, ils jettent de l’huile sur le feu de la crise climatique qui menace notre survie à toutes et tous. Pourtant, les publicités automobiles sont omniprésentes.
Comme l’ont écrit Naomi Oreskes et Erik Conway dans Merchants of Doubt: How a Handful of Scientists Obscured the Truth on Issues from Tobacco Smoke to Global Warming, les promoteurs de l’industrie du tabac et, plus tard, de l’industrie fossile, ont embauché des scientifiques, notamment Frederick Seitz et Fred Singer, pour instiller le doute malgré les preuves évidentes des dommages de la cigarette et des changements climatiques.
Les restrictions et les mesures de dissuasion et l’interdiction de la publicité en rapport avec le tabac se sont néanmoins avérées beaucoup plus faciles que dans le cas de l’énergie fossile, pourtant si dommageables pour le climat.
D’ailleurs, plusieurs des mêmes professionnel.le.s des médias ont mené ces deux chevaux de bataille. Au Canada, Terence Corcoran, chroniqueur de Postmedia/National Post, se fait entendre depuis longtemps comme critique virulent des preuves scientifiques sur le tabac et le climat. Son employeur a d’ailleurs rendu explicite son appui aux combustibles fossiles polluant lorsque le journal a signé une entente avec l’Association canadienne des producteurs pétroliers (article en anglais).
« Nous collaborerons avec l’IPAC pour amplifier notre mandat lié à l’énergie et pour participer à la compétitivité du Canada sur le marché mondial », avait affirmé l’éditeur de l’époque, Douglas Kelly. « Le National Post s’affairera à employer tous les moyens – éditoriaux, techniques et créatifs – pour faire avancer cette conversation critique. »
Les restrictions et les mesures de dissuasion et l’interdiction de la publicité en rapport avec le tabac se sont néanmoins avérées beaucoup plus faciles que dans le cas de l’énergie fossile, pourtant si dommageables pour le climat. Le premier, bien qu’un moteur économique important, n’alimente pas l’économie mondiale comme le font le gaz, le pétrole et le charbon. Et la consommation de cigarette ne s’avère absolument pas essentielle, tandis que les combustibles font désormais partie intégrante de nos vies. L’énergie fossile menace toutefois l’humanité à titre beaucoup plus grave que le tabac. Et de nombreuses solutions de rechange, plus sûres, plus propres et plus rentables s’offrent à nous.
L’énergie fossile menace toutefois l’humanité à titre beaucoup plus grave que le tabac.
De nouvelles données le prouvent : la planète atteindra sous peu des niveaux de chaleur qui, une fois dépassés, auront de sérieuses conséquences, selon les scientifiques. À la lumière de ces informations, le secrétaire général des Nations Unies, António Guterres a appelé à des restrictions à l’échelle mondiale contre le « parrain du chaos climatique, le secteur des combustibles fossiles » (article en anglais).
« De nombreux gouvernements limitent ou interdisent la publicité pour des produits dommageables pour la santé humaine, comme le tabac par exemple », a-t-il mentionné dans un récent discours. « J’exhorte chaque pays à interdire la publicité en faveur de l’énergie fossile. Et je presse les médias d’information et les entreprises en technologie de refuser ce contenu publicitaire. »
Au Canada, les appels à bannir la publicité pour les combustibles fossiles ne font que grandir, avec l’appui de membres de la classe politique (article en anglais) et d’organismes comme l’Association canadienne des médecins pour l’environnement. Évidemment, les suspects habituels usent d’arguments fallacieux à leur égard (source en anglais).
Face à ces embûches, nous devons arrêter de faire l’éloge de ce qui nous menace. Surtout, nous devons réformer les systèmes qui encouragent cette mentalité suicidaire.