La production de 1 000 calories de bœuf nécessite 36 000 calories de fourrage, plus de 1 700 litres d’eau et 140 mètres carrés de terre, en plus de générer près de 10 kg de gaz à effet de serre. (Photo: Jaume F. Lalanza)

La terre et l’agriculture sont des éléments déterminants de la crise climatique. Selon un nouveau rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat, l’utilisation du territoire, notamment l’agriculture et la foresterie, compte pour 23 pour cent des émissions de gaz à effet de serre de source humaine, alors que « les processus naturels de la terre absorbent l’équivalent d’un tiers des émissions de dioxyde de carbone provenant des combustibles fossiles et du secteur industriel ».

En d’autres termes, notre gestion des forêts ainsi que la production, la transformation et la distribution alimentaires contribuent au dérèglement climatique. En contrepartie, la protection et la restauration des territoires naturels aident à absorber l’excédent de CO2.

Notre empreinte est énorme. Le rapport Climate Change and Land (Rapport spécial sur le changement climatique, la désertification, la dégradation des sols, la gestion durable des terres, la sécurité alimentaire et les flux de gaz à effet de serre dans les écosystèmes terrestres), produit par 103 experts de 52 pays, soutient que l’utilisation humaine affecte de 69 à 76 pour cent des surfaces libres de glace et que l’agriculture accapare 70 pour cent de la consommation mondiale d’eau douce. On peut y lire que la consommation par personne d’huile végétale et de viande a plus que doublé et la consommation par personne de calories alimentaires a augmenté du tiers environ depuis 1961. Parallèlement, de 25 à 30 pour cent de l’ensemble de la production alimentaire sont perdus ou gaspillés, ce qui augmente d’autant les émissions. Un changement dans les habitudes de consommation a également fait en sorte que deux milliards d’adultes dans le monde souffrent d’embonpoint ou d’obésité, alors que 821 millions d’autres souffrent de sous-alimentation.

Le rapport explore la sécurité alimentaire, la désertification, la sécheresse, l’érosion et la dégradation des sols, ainsi que des solutions qui vont de l’alimentation végétarienne et de l’élevage durable à la baisse de la déforestation et à la protection des espaces verts. « La gestion durable des sols peut contribuer à réduire les effets négatifs de multiples facteurs stressants, notamment les changements climatiques, sur les écosystèmes et les sociétés. »

« Les terres déjà cultivées pourraient nourrir le monde dans le contexte des changements climatiques et fournir une énergie renouvelable sous la forme de biomasse. Mais, pour cela, il nous faut agir rapidement et en profondeur dans plusieurs secteurs », a déclaré Hans-Otto Pörtner, coprésident du GIEC, le groupe qui signe le rapport.

Une étude de la Fondation David Suzuki démontre que la protection et la restauration des systèmes naturels comportent des avantages qui vont au-delà du stockage du carbone et de la lutte contre les changements climatiques, notamment la réduction des risques d’inondation, la filtration de l’eau et le ralentissement de l’érosion, à des coûts nettement moindres que la construction d’infrastructures.

Le rapport ajoute que « de nombreuses solutions liées au sol qui favorisent l’adaptation aux changements climatiques et l’atténuation de leurs effets peuvent aussi contrer la désertification et la dégradation des terres, et améliorer la sécurité alimentaire ». Une étude de la Fondation David Suzuki démontre que la protection et la restauration des systèmes naturels comportent des avantages qui vont au-delà du stockage du carbone et de la lutte contre les changements climatiques, notamment la réduction des risques d’inondation, la filtration de l’eau et le ralentissement de l’érosion, à des coûts nettement moindres que la construction d’infrastructures.

Selon certains, l’étude du GIEC ne va pas assez loin. Comme les divers gouvernements du monde doivent approuver ses rapports, le groupe tend à adopter une approche conservatrice.

George Monbiot, auteur britannique qui traite de questions climatiques, qualifie le rapport « d’occasion manquée qui passe sous silence les principaux enjeux et ne reflète pas adéquatement la science ». Son article dans le Guardian soulève la tendance du GIEC à jouer de prudence. « Ont-ils eu peur de s’attaquer aux secteurs de l’agriculture, du pétrole et du charbon dont les complices rémunérés ont dénigré le rapport si férocement – est-ce là une tâche trop lourde à assumer ? »

Monbiot avance que les auteurs du rapport ont sous-estimé la part de l’agriculture dans les émissions en ne tenant pas compte de « l’ensemble des effets de la production alimentaire », soulignant par exemple que la production d’un kilogramme de protéine bovine utilise en moyenne 1 250 kilogrammes de carbone, « l’équivalent en gros de conduire une auto neuve durant un an ou de l’aller-retour en avion d’un passager entre Londres et New York ».

La production de 1 000 calories de bœuf nécessite 36 000 calories de fourrage, plus de 1 700 litres d’eau et 140 mètres carrés de terre, en plus de générer près de 10 kg de gaz à effet de serre.

Rowan Jacobsen écrit dans Outside que l’arrivée d’alternatives végé à la viande marque la fin de la consommation commerciale de viande. Il rappelle que la production de 1 000 calories de bœuf nécessite 36 000 calories de fourrage, plus de 1 700 litres d’eau et 140 mètres carrés de terre, en plus de générer près de 10 kg de gaz à effet de serre. « À titre de comparaison, un Impossible Burger utilise 87 pour cent moins d’eau et 96 pour cent moins de sols, en plus de produire 89 pour cent moins d’émissions de gaz à effet de serre. »

Dans Wired, Megan Molteni avance que l’édition génique de plantes cultivées à l’aide de la technologie Crispr pourrait réduire la pression exercée sur les terres et l’usage de fertilisants, en plus de rendre les cultures plus nutritives et moins dommageables pour l’environnement. « Mais, ajoute-t-elle, nous n’en sommes qu’au début, et nous ne connaissons pas encore tous les effets de la technique Crispr. »

Ronnie Cummins, directeur international et cofondateur de l’Organic Consumers Association, soutient dans le Independent que « des pratiques de régénération de l’agroalimentaire, de l’agriculture et de l’utilisation des sols pourraient contrôler le climat, restaurer l’environnement, améliorer la situation financière des agriculteurs et des collectivités rurales, et produire des aliments plus nutritifs ».

Le fait de planter des arbres, de protéger les espaces verts, de consommer moins de viande et de modifier les pratiques agricoles ne suffira pas à nous mettre à l’abri des catastrophes climatiques. Mais ces mesures font partie de la solution, tout comme la réduction du gaspillage, l’amélioration de l’efficacité énergétique, ainsi que la conservation des combustibles fossiles et le recours aux énergies renouvelables.

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez