Tout récemment, un rapport de l’ONU nous informait qu’à l’heure actuelle, même si les pays réussissaient à atteindre leurs engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES), l’augmentation de la température moyenne mondiale serait d’environ 2,4 °C d’ici 2100. Devant un tel dérèglement du climat, ce sont les municipalités et ses résident.e.s qui devront composer avec les séquelles d’un environnement moins clément et en assumer les coûts financiers et sociaux.
Le Québec ne sera pas épargné : les modèles prédisent des vagues de chaleur extrême beaucoup plus fréquentes (jusqu’à six par année) et jusqu’à 25% plus de pluie. C’est problématique, étant donné les coûts sociaux, environnementaux et économiques que ces changements vont engendrer. Sans perdre espoir qu’un meilleur futur nous attende, les villes doivent rapidement mettre en œuvre des mesures pour s’adapter, et cette adaptation doit nécessairement passer par le verdissement urbain.
Verdir pour prévenir
La forêt urbaine (l’ensemble des arbres urbains) remplit des fonctions essentielles. Que ce soit au niveau de la santé ou de la sécurité, les services qu’elle procure à la population ont d’ailleurs amené les décideurs et les aménagistes à considérer la forêt urbaine comme une infrastructure naturelle.
Dans le paysage fortement bétonisé et asphalté des villes, tel un grand tapis imperméable, les infrastructures naturelles sont une solution économique et écologique aux problèmes qu’on retrouve fréquemment dans les villes : îlots de chaleur, mauvaise qualité de l’air, ou gestion des eaux pluviales.
Prenons comme exemple les inondations, un enjeu de taille pour les villes canadiennes. Lorsqu’il pleut, cette eau, à défaut de pouvoir s’infiltrer dans le sol, s’accumule sur les surfaces asphaltées (ruissellement) avant de s’écouler dans le réseau d’égout. Lors de pluies abondantes, la quantité d’eau excède souvent la capacité des égouts, ce qui mène à des inondations et des surverses. Ces événements sont couteux, tant au niveau économique (bris, sécurité et entrave à la circulation) qu’environnemental (pollution de l’eau). C’est ici que la présence d’arbres fait toute une différence : grâce à leur feuillage et leurs racines, les arbres permettent de réduire considérablement le ruissellement et peuvent ainsi éviter les inondations.
Les arbres en font même bien plus, par exemple, ils rafraîchissent la température ambiante lors de vagues de chaleur, épurent l’air et séquestrent le carbone, pour ne nommer que quelques services dits écosystémiques.
Pour se préparer aux pluies abondantes et la chaleur extrême, les villes canadiennes doivent nécessairement déminéraliser (c.-à-d., enlever l’asphalte) et augmenter le nombre d’arbres ou la canopée sur leur territoire.
Heureusement, grâce à la disponibilité de données précises et d’outils cartographiques, il est maintenant possible de cibler les secteurs au sein d’une ville où il faut planter des arbres en priorité pour répondre à leurs vulnérabilités climatiques locales, en plus de rendre plus équitables les bénéfices rendus par ces arbres.
C’est ce que démontre la Fondation David Suzuki dans un nouveau rapport. En prenant l’objectif de la Ville de Montréal de planter 500 000 nouveaux arbres comme étude de cas, l’étude propose une méthodologie pour accompagner les villes désirant augmenter l’équité et la résilience de leur forêt urbaine afin de se préparer aux enjeux climatiques.
Une approche qui augmente la résilience et l’équité de la forêt urbaine
Pour augmenter sa résilience climatique, la Ville de Montréal prévoit de planter 500 000 nouveaux arbres d’ici 2030, particulièrement dans des zones vulnérables aux vagues de chaleur.
Étant donné que l’utilisation des infrastructures naturelles comme mesure d’adaptation climatique est à ses débuts et que les facteurs de succès d’une telle approche sont peu connus, nous avons voulu étudier plusieurs scénarios à différentes étapes de sa réalisation, soit l’identification des sites de plantation prioritaire et la sélection des espèces à planter. Tout ceci s’est fait dans le but d’optimiser l’adaptation, l’équité dans la distribution de la forêt urbaine, et sa résilience à long terme.
En premier lieu, l’étude a utilisé des outils de modélisation pour identifier les emplacements prioritaires de plantation selon huit différents critères socioéconomiques et écologiques : la vulnérabilité à cinq aléas climatiques (vagues de chaleur, sécheresses, pluies abondantes, crues et tempêtes), le niveau de défavorisation des habitant.e.s, la canopée et la diversité fonctionnelle des arbres.
Ce faisant, le modèle cible les zones de plantation, par exemple, dans les quartiers les plus défavorisés et dans les zones où la forêt urbaine est moins dense. D’un point de vue de justice environnementale, planter en priorité dans les secteurs défavorisés est nécessaire pour redresser les tendances inéquitables sur le territoire, à savoir les populations les moins nanties habitent dans des quartiers moins verts.
En plus d’identifier où planter, l’étude modélise également quelles espèces d’arbres il faudrait planter pour augmenter la diversité fonctionnelle de la forêt urbaine et sa résistance aux aléas climatiques. Par exemple, certains arbres sont plus tolérants aux inondations (ex. les érables), tandis que d’autres sont plus tolérants à la sécheresse et à la chaleur (ex. les chênes). La notion de résilience est importante, puisque le stress et les risques de mortalité du fait de conditions climatiques plus difficiles et de la présence d’insectes ou de maladies vont s’intensifier.
Puisqu’aucune espèce d’arbre ne peut résister à tous les stress, il est important de planter des espèces diversifiées pour augmenter la résilience de l’ensemble de la forêt urbaine à long terme.
Finalement, l’étude calcule qu’une forêt plus diversifiée et résiliente aurait une meilleure résistance aux vagues de chaleur, aux sécheresses et aux tempêtes (vents violents), mais une moins bonne résistance aux pluies abondantes et aux crues. Étant donné que la forêt urbaine montréalaise est dominée par les érables (tolérants à l’eau mais pas à la sécheresse), la diversification a permis de rééquilibrer la présence d’espèces différentes qui sont résistantes aux autres aléas.
Pour cette même raison, la diversification fonctionnelle a mené à une légère diminution de certains services écosystémiques (dans lesquels les érables excellent), dont la filtration des polluants de l’air, la captation des eaux de ruissellement, et la séquestration et le stockage de carbone. Au bout du compte, ce que la forêt a perdu en services, elle l’a gagné en résilience.
Facile à adapter selon les conditions et les besoins de différentes villes, l’étude propose une approche de planification que les villes devraient utiliser pour planter les bons arbres aux bons endroits afin de s’adapter au climat, et ce, de manière équitable et sur le long terme.
Étant donné le rôle protecteur que jouent les infrastructures naturelles sur notre bien-être collectif, il est primordial que les villes planifient leur forêt urbaine dans l’optique de maximiser les bénéfices des interventions et la résilience afin d’assurer la pérennité de leurs services écosystémiques. Il est plus important que jamais que les villes déploient les ressources nécessaires pour planter les bons arbres aux bons endroits. Après tout, si on fait bien les choses, un arbre planté aujourd’hui sera encore vivant en 2100, au moment où, justement, on en aura terriblement besoin.