La quatrième marche annuelle Chaque enfant compte a été organisée à Tiohtià:ke/Montréal le 30 septembre 2024 pour commémorer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation. (Photo : Laurence Bolduc | Fondation David Suzuki)

Le 30 septembre dernier, la quatrième marche annuelle Chaque enfant compte a été organisée à Tiohtià:ke (dont le nom colonial est Montréal) pour commémorer la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation.

Anciennement connu sous le nom de Orange Shirt Day, le 30 septembre visait depuis 2013 à sensibiliser la population générale aux conséquences dévastatrices du système des pensionnats autochtones sur les communautés concernées. En 2021, cette journée a été renommée la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation pour marquer la découverte de plus de 2000 tombes anonymes des enfants autochtones sur les sites d’anciens pensionnats partout à travers le soi-disant Canada en 2021 (article en anglais).

L’édition 2024 de la marche Chaque enfant compte à Tiohtià:ke a été organisée par le Foyer pour femmes autochtones de Montréal (mieux connu sous le nom anglophone de Native Women’s Shelter of Montreal) et le refuge de jour Résilience Montréal, avec la participation de la Fondation David Suzuki et de POP Montréal.

La marche Chaque enfant compte

À 13h, près de 500 participant.e.s se sont rassemblé.e.s pour entamer la marche officielle.

(Photo : Laurence Bolduc | Fondation David Suzuki)

Les interlocuteur.rice.s et artistes autochtones invité.e.s à prononcer un discours et à présenter des chants cérémoniaux et des danses traditionnelles comptaient Kevin Deer, Jeremy Dutcher, Sacred Wolf Dummers, Alex McComber, Kahsennenhawe Sky-Deer, Ellen Katsi’tsakwas Gabriel, Barbara Diabo, Maya Cousineau-Mollen et Beatrice Deer.

Une survivante des pensionnats autochtones, Noella, a également pris la parole pour rappeler l’importance de donner de l’espoir aux enfants du futur et de ne pas oublier les injustices du passé et du présent, et a déclaré sous les applaudissements de la foule : « Je suis fière d’être une femme Innu, d’être une femme qui veut connaître sa culture et sa langue. […] Aujourd’hui, j’enseigne dans la langue innu et je suis fière de la transmettre aux miens ».

La marche a débuté au parc Mont-Royal et a terminé à la Place du Canada, avec un arrêt devant l’entrée principale au campus de l’université McGill pour souligner le combat des Kanien’kahà:ka Kahnistensera. Vers 16h45, la marche s’est conclue avec des chants et des danses présentés par des artistes autochtones, dans un esprit de guérison et de résurgence culturelle.

Réconciliation : un mot plus facile à entendre que décolonisation?

Kahsennenhawe Sky-Deer, ancienne grande cheffe du Conseil mohawk de Kahnawà:ke, a martelé l’importance de la mobilisation quotidienne en solidarité avec les communautés autochtones au-delà de la marche annuelle du 30 septembre.

Kahsennenhawe Sky-Deer prononce un discours lors la marche Chaque enfant compte. (Photo : Laurence Bolduc | Fondation David Suzuki)

Malheureusement, il appert que beaucoup d’initiatives promues par les gouvernements et institutions à l’occasion du 30 septembre servent davantage à réhabiliter leur réputation publique et à justifier leur complicité avec le colonialisme toujours en cours qu’à appuyer l’auto-détermination des communautés autochtones de manière significative. Michelle Cyca, écrivaine et membre de la nation Muskeg Lake Cree, déplore la commercialisation de la Journée nationale de la vérité et de la réconciliation par les grandes compagnies au profit du capitalisme effréné :

« Partout où vous allez, les détaillants vous rappellent que vous pouvez vous procurer un chandail orange – n’oubliez pas d’acheter votre chandail avant le 30 septembre! Vous pouvez l’acheter à London Drugs ou à Walmart pendant que vous achetez du dentifrice. Vous pouvez aussi vous le faire livrer de nuit sur Etsy ou Amazon, où les motifs ont souvent été volés aux artistes autochtones. Chaque année, en septembre, les articles se multiplient et proposent des liens vers les détaillants. La réconciliation est disponible au prix de 20 dollars, taxes en sus. » (Article en anglais)

La dénaturation du terme « réconciliation » pour sous-entendre que la diversité, l’équité et l’inclusion à elles seules suffisent de remédier aux injustices historiques et actuelles perpétrées par l’État canadien à l’endroit des communautés autochtones est inquiétante, puisque ceci suppose qu’il est possible pour les allochtones de se complaire dans leur position de privilège institutionnel et d’accumulation de ressources et du capital au détriment des gardien.ne.s du territoire.

Effectivement, la nature systémique et institutionnelle du colonialisme et du racisme présuppose que l’inclusion des individus issus des communautés marginalisées sans l’éradication de ces systèmes oppressifs ne bénéficiera aucunement à ces dernières.

La réconciliation ne doit donc pas être instrumentalisée pour veiller au confort des allochtones, mais plutôt constituer une étape nécessaire vers la décolonisation et la libération des communautés autochtones.

La « réconciliation » : une possibilité dans le contexte sociopolitique et économique actuel?

En février 2020, le mot-clé #ReconciliationIsDead a fait le tour des réseaux sociaux en réaction à l’invasion militaire du territoire de la nation Wet’suwet’en par le gouvernement canadien afin de permettre la construction du pipeline Coastal Gas Link.

Il importe alors d’examiner les maintes façons dont les personnes et communautés autochtones subissent de la discrimination systémique aux mains de l’État.

Janelle Lapointe, membre de la nation Stellat’en et militante pour la justice climatique et les droits des peuples autochtones, dénonce notamment la notion de la « réconciliation économique » telle que portée par les gouvernements et les entreprises extractivistes, qui consiste à solliciter des partenariats commerciaux avec les communautés autochtones pour rendre légitime l’exploitation sans relâche du territoire :

« Prétendre que les industries et les gouvernements coloniaux qui perpétuent ce déséquilibre de pouvoir flagrant sont à l’origine de la “réconciliation économique” est une insulte aux luttes et aux aspirations des peuples autochtones. Cela implique qu’une simple transaction financière peut effacer les profondes cicatrices infligées à nos communautés et rétablir la justice. La valeur inhérente et l’interconnexion des cultures et des territoires autochtones ont été ignorées, les réduisant à de simples marchandises à exploiter. » (Source en anglais)

La relation de pouvoir qui régit les interactions entre le gouvernement canadien et les communautés autochtones doit donc être complètement démantelée afin que ces dernières puissent affirmer leur auto-détermination sans répression.

Vers un avenir décolonial partout

La décolonisation, la justice et la libération sont des enjeux qui exigent des allochtones une reconnaissance réelle de notre complicité dans les systèmes coloniaux et au-delà de cela, une réponse soutenue à l’appel de solidarité concrète.

Se remettre en question n’est pas une tâche facile. Il est pourtant fondamental pour tous.tes de remettre en question notre participation (consciente ou inconsciente – la question n’est pas l’intention mais plutôt l’impact de notre présence sur ces terres volées) au système colonial afin d’affranchir notre identité collective de celle de l’État et de poser des gestes tangibles pour soutenir les luttes décoloniales partout dans le monde.

Katsi’tsakwas Ellen Gabriel prend la parole dans le cadre de la marche Chaque enfant compte. (Photo : Laurence Bolduc | Fondation David Suzuki)

Pour conclure, nous vous invitons à réfléchir aux mots de Katsi’tsakwas Ellen Gabriel qui a notamment appelé à la solidarité avec tous les peuples autochtones qui résistent à la colonisation et aux génocides : « Nous ne sommes pas des notes de bas de page de l’histoire, nous sommes des êtres humains et nous avons le droit à l’autodétermination et le droit de vivre librement ».

Elle a ensuite rajouté: « Ces injustices ne doivent pas se reproduire, nous devons penser aux enfants enfouis dans les décombres, qui fuient les bombes et qui sont privés du droit de sentir la lumière du soleil sur leur visage sans crainte ».