Nous nous représentons généralement les écosystèmes comme l’environnement autour de nous. Après tout, ne sommes-nous pas remarquablement uniques en raison de nos pensées, de nos capacités et de nos personnalités?
Mais les écosystèmes – les communautés biologiques d’organismes interdépendants et leurs milieux physiques – existent à tous les échelons, y compris à l’intérieur et à la surface des humains. Nous ne sommes pas les individus que nous croyons être.
Dans l’article A symbiotic view of life: We have never been individuals (Une vue symbiotique de la vie : nous n’avons jamais été des individus), les biologistes Scott F. Gilbert et Jan Sapp, et le philosophe Alfred I. Tauber écrivent que les animaux ne peuvent pas être considérés comme des individus selon des critères anatomiques ou physiologiques, parce que nous sommes composés non seulement de notre propre matériel génétique, mais également « d’une diversité de symbiotes » – d’autres organismes avec lesquels nous vivons en symbiose.
Autrement dit, en plus de nos propres cellules et à l’intérieur de celles-ci, nos corps renferment des millions de microbes – et de bactéries – d’êtres qui nous sont étrangers, mais qui font également partie de nous. Selon Margaret McFall-Ngai, biochimiste et spécialiste en physiologie animale, nous ne sommes pas vraiment des individus, mais plutôt des « assemblages complexes ».
Selon Margaret McFall-Ngai, biochimiste et spécialiste en physiologie animale, nous ne sommes pas vraiment des individus, mais plutôt des « assemblages complexes ».
Dans son livre Arts of Living on a Damaged Planet (Art de vivre sur une planète endommagée) elle écrit que les microbes à l’intérieur du corps humain sont si abondants que le nombre de cellules n’appartenant pas à l’espèce humaine est au moins égal au nombre de cellules humaines.
Dorion Sagan, fils du cosmologiste Carl Sagan et de la biologiste de l’évolution Lynn Margulis, soutient avec d’autres que la théorie de la sélection naturelle de Darwin ne devrait plus être le discours dominant pour décrire la vie et l’évolution. Puisque les gènes ne sont pas des êtres munis d’une volonté, la notion de gène égoïste demeure une métaphore.
Dans son livre Cosmic Apprentice: Dispatches from the Edges of Science, M. Sagan fait remarquer que lorsque les mères allaitent leur nourrisson, elles transmettent des bactéries (et des aliments pour les bactéries) ainsi que des nutriments essentiels à la subsistance du bébé. Les femmes qui allaitent transmettent six cents espèces de bactéries à leur bébé, ainsi que des oligosaccharides que les bébés ne peuvent pas digérer, mais qui servent à nourrir certaines bactéries.
Où nous mènent ces connaissances? Nous en dégageons peut-être le sentiment d’un monde plus contrasté, plus convivial et plus imbriqué. Non seulement nous sommes les hôtes d’autres êtres, mais nous sommes conçus pour les accueillir et notre santé en dépend. (De nombreuses personnes ont commencé à comprendre et à reconnaître le rôle des bons microbes intestinaux dans la digestion.) Comme M. Sagan le fait remarquer, la vie fait preuve d’une hospitalité délirante.
Nous savons que le monde est source de rivalités, mais il regorge également d’étonnantes relations complexes et symbiotiques dans le cadre desquelles d’autres êtres vivent et se développent à l’intérieur des uns des autres, côte à côte ou les uns sur les autres. (Mme McFall-Ngai étudie la relation entre la seiche naine d’Hawaï et les bactéries luminescentes qui habitent dans son manteau et l’aident à se protéger des prédateurs.)
En bref, il existe une vaste structure de microcosmes interdépendants, qui vont de ce que nous concevons en tant qu’êtres individuels jusqu’aux écosystèmes naturels, en passant par la planète en entier, et qui fonctionnent selon leurs propres mécanismes régulateurs complexes. À chaque échelon de cette structure, il existe des types de symbioses trop nombreuses pour comprendre.
À chaque échelon de cette structure, il existe des types de symbioses trop nombreuses pour comprendre.
Cela met en lumière les conséquences de l’extinction des espèces (et nous sommes au milieu d’une vague d’extinction). Ce ne sont pas seulement les espèces qui vont disparaître, mais les milieux dont elles font partie et ceux qu’elles hébergent. (Que feront les oiseaux qui se nourrissent des parasites des rhinocéros si les rhinocéros disparaissent?)
Dans le livre Arts of Living on a Damaged Planet (Art de vivre sur une planète endommagée), l’ethnographe Deborah Bird Rose (autrice du livre Le rêve du chien sauvage : Amour et extinction) a écrit que lorsqu’il y a perte de la biodiversité, les relations se dénouent, le mutualisme fléchit, la dépendance devient un danger plutôt qu’un bienfait, et ce sont des mondes de connaissances et de pratiques qui s’estompent. On parle de mondes perdus dont l’étendue est beaucoup plus vaste que le taux d’extinction des espèces le suggère. Elle a parlé de l’effet de domino de l’extinction.
C’est désespérant, mais il existe une autre réalité. L’échelon de notre symbiose collective en dit long sur le puissant processus générateur de la nature.
C’est désespérant, mais il existe une autre réalité. L’échelon de notre symbiose collective en dit long sur le puissant processus générateur de la nature. Dans la même série d’essais, M. Sagan, qui adopte une vision large et à long terme (étant un étudiant du cosmos), fait remarquer que les archives géologiques démontrent qu’après chaque extinction de masse, la biosphère, imbriquée sur le plan organismique, a été en mesure de renaître pour former plus d’espèces, plus de types de cellules, plus d’aptitudes métaboliques, plus de zones de peuplement, plus de réseaux d’intelligence et d’aptitudes sensorielles complexes que jamais auparavant.
Même si la biodiversité a la capacité de reprendre sa place après des extinctions de masse, nous ne pouvons pas ignorer notre fâcheuse situation. La présente extinction de masse est la seule qui est causée par une seule espèce – nous. Travaillons ensemble pour maintenir la santé des microcosmes à tous les échelons, du nôtre à celui de la planète.