Charlie Chaplin dans Les temps modernes

(Source : Wikimedia Commons)

En 1926, le fabricant d’automobiles américain Henry Ford a fait passer la semaine de travail de ses employés de six journées à cinq journées de huit heures sans diminuer leur salaire. C’était ce que réclamaient les travailleurs et les syndicats, et cela faisait suite à des réductions d’heures déjà accordées, car les semaines de travail atteignaient autrefois des sommets de sept journées de 84 heures et même de 100 heures.

Mais cette apparente réponse aux demandes des salariés n’était en fait qu’une décision d’affaires. Ford prévoyait une hausse de productivité et il savait que les travailleurs disposant de plus de temps et d’argent seraient portés à acheter et à utiliser les produits qu’ils fabriquaient. C’était un moyen d’encourager la consommation et la productivité pour accroître ses profits. Et il a réussi. Ford, l’un des plus importants employeurs des États-Unis de l’époque, était avant-gardiste ; la plupart des travailleurs de l’Amérique du Nord et d’autres continents n’ont eu accès à la semaine de 40 heures qu’au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.

Depuis le milieu du 20e siècle, la semaine de travail a été standardisée à 40 heures, mais tout le milieu du travail s’est transformé. En réalité, nombre de gens travaillent bien plus que la norme, particulièrement en Amérique du Nord. Cela a d’importantes répercussions sur le bien-être et la santé humaine, mais aussi sur l’environnement.

Jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, c’était généralement une seule personne par famille qui en assurait le soutien par un travail à temps plein, et cette responsabilité incombait habituellement au père ou au fils aîné. À présent, les femmes comptent pour 42 pour cent des effectifs à temps plein au Canada. De plus, la technologie a rendu plusieurs tâches et postes désuets en prenant la place des humains. C’est une machine qui nous donne notre argent à la banque, une caisse en libre-service nous permet de régler notre épicerie, et nous achetons nos voyages en ligne. Beaucoup de gens passent maintenant la plus grande partie sinon la totalité de leur journée de travail devant un ordinateur.

Nous avons les pieds bien ancrés dans le 21e siècle, mais nous travaillons toujours d’aussi longues heures que les ouvriers du 20e siècle. Nous pillons les ressources de la Terre afin de produire davantage de biens que nous achetons ensuite et que nous remplaçons sans cesse, ce qui nous oblige à travailler sans relâche, prisonniers d’un cycle sans fin de labeur et de consommation.

Il est temps de prendre une pause pour trouver de meilleures façons de vivre.

Il aurait été plus facile de changer ce mode de vie arrivé à grande vitesse, qui carbure à l’énergie fossile et qui nous enchaîne à nos semaines de travail axées sur la consommation si nous avions transité vers lui graduellement. En 1930, l’économiste de renom John Maynard Keynes avait prédit que la semaine de 15 heures deviendrait la norme avant l’an 2030. Nous ne sommes manifestement pas sur cette voie. Tandis que nous nous approchons des seuils critiques de la surpopulation, de la surexploitation des ressources, de la dégradation de l’environnement et des changements climatiques, le temps n’est peut-être pas un luxe que nous pouvons nous payer devant la nécessité d’un changement.

Au lieu de réduire le temps de travail pour augmenter la consommation, comme Henry Ford l’avait fomenté, nous devons les réduire tous deux. Nous devons nous affranchir des schèmes et des habitudes surannés d’obsolescence programmée, de suremballage et de production excessive de trop de biens inutiles.

Le groupe de réflexion sur la nouvelle économie du Royaume-Uni (New Economics Foundation) suggère qu’une semaine de 21 heures normalisée serait la réponse à de nombreux problèmes interreliés : surmenage, chômage, surconsommation, fortes émissions de carbone, faible bien-être, inégalités enracinées et le manque de temps. Cette nouvelle norme favoriserait un mode de vie durable où l’on prend soin les uns des autres et où l’on profite simplement de la vie. Le groupe fait aussi remarquer que la logique de l’ère industrielle n’est pas au diapason avec les conditions de vie actuelles où la communication instantanée et les technologies mobiles nous apportent autant de risques et de pressions que d’opportunités.

L’économiste David Rosnick a publié une étude en 2013 au sein d’un centre d’études politiques et économiques, le Center for Economic and Policy Research (CEPR), qui portait sur le lien entre le nombre d’heures travaillées et les changements climatiques. Il suggère qu’en réduisant de seulement 0,5 pour cent le nombre annuel moyen d’heures travaillées par la réduction de la semaine de travail et l’augmentation de la durée des vacances, on pourrait vraisemblablement réduire le réchauffement climatique d’un quart à un demi pour cent et même plus.

Une semaine de travail plus courte nous permettrait de rompre l’incessant cycle de la consommation et de nous concentrer sur ce qui est important, tel que passer du temps en famille, avec les amis et dans la nature. Elle permettrait aussi d’alléger l’heure de pointe et de diminuer les embouteillages qui contribuent à la pollution et aux changements climatiques. Cela réduirait le stress et les problèmes de santé qui sont liés aux pratiques modernes du milieu du travail (p. ex. rester assis pendant de longues heures devant un ordinateur). Et cela donnerait plus de liberté aux gens pour s’occuper de leur famille. (Les employés de la Fondation David Suzuki bénéficient d’une semaine de travail de quatre jours.)

La transition ne sera pas nécessairement facile, mais il est temps que nous cessions d’appliquer les concepts et les méthodes du 20e siècle au mode de vie du 21e siècle. Les systèmes économiques qui demandent une croissance constante ne sont tout simplement pas viables sur une planète dont les ressources sont limitées. Le fait que les 62 personnes les plus riches de la planète accaparent plus de richesses que la moitié la plus pauvre de la population mondiale est absurde et tragique.

Il est temps d’un changement de paradigme dans notre manière de penser l’économie.

Traduction: Suzanne Garneau