À un moment ou à un autre, nous expérimentons tous et toutes des émotions en lien avec des situations auxquelles nous sommes confronté.e.s, que ce soit lors d’événements heureux ou lors de grandes crises, comme celle que nous vivons actuellement au niveau de l’environnement et de la biodiversité.
Alors, comment faire pour ne pas sombrer dans le désespoir qui nous paralyse et qui nous empêche d’agir?
Les émotions ont un énorme pouvoir d’action lorsqu’elles sont bien identifiées, comprises et gérées dans toute leur complexité et leur diversité.
C’est précisément la thématique qui a été abordée lors du 92e congrès de l’ACFAS, à travers des échanges riches alliant musique, science, opéra, pédagogie, psychologie et savoirs autochtones.
Des dialogues entre des mondes hétérogènes mais complémentaires, dans le but précis de mener une seule et même quête : celle de redéfinir notre manière d’habiter la Terre.
Les éco-émotions
Un nouveau concept est apparu en neurosciences ainsi qu’en sciences de la santé et de l’environnement : celui d’éco-émotion. Un terme qui évoque la myriade d’émotions que l’on peut ressentir, qu’elles soient négatives ou positives vis-à-vis de l’environnement.
L’émerveillement, la gratitude et la connexion à la nature font partie des émotions positives, tandis que le stress, l’angoisse et la peur, faisant référence aux inquiétudes face aux catastrophes environnementales, font partie des émotions négatives. C’est précisément la définition de l’écoanxiété, qui est omniprésente dans notre société occidentale aujourd’hui, qui mène certains individus vers de graves problèmes de santé mentale, tels que la dépression ou l’anxiété généralisée.
[L’]éco-émotion [est un] terme qui évoque la myriade d’émotions que l’on peut ressentir, qu’elles soient négatives ou positives vis-à-vis de l’environnement.
Mais notre manière d’aborder ces émotions est également façonnée par notre culture. Dans une perspective nord-américaine dominante, les émotions sont souvent perçues comme une expérience individuelle, propre à chacun.e. Cependant, au sein des communautés autochtones, la notion d’émotion a une fonction de cohésion sociale, essentielle à la survie collective. Elle est exprimée, mais partagée au sein des groupes, où l’écoute, l’observation et la création de lien sont intrinsèques.
En ce sens, les éco-émotions peuvent être un moteur vital afin de repenser nos rapports à l’environnement, aux émotions en soi, mais aussi de les percevoir et de les aborder comme des ponts vers les autres – et vers le vivant tout entier.

Qu’est-ce que la solastalgie?
La solastalgie est un terme récent inventé par le philosophe australien Glenn Albrecht, qui évoque une détresse émotionnelle ainsi qu’une grande souffrance, toutes deux provoquées par les changements environnementaux qui détruisent les écosystèmes. Ces émotions spécifiques créent ainsi une nostalgie de ce qu’étaient la beauté et la pureté des milieux, des paysages, des espèces vivantes, de la nature et de l’environnement dans un monde appartenant au passé.
Un besoin criant de redéfinir notre relation face à la nature
Ces émotions générées par l’environnement appellent les êtres humains à se poser de sérieuses questions quant à leur manière d’expérimenter, de vivre et d’incarner la place de la nature dans leur vie.
Aujourd’hui, le contexte d’instabilité et d’incertitude vis-à-vis du futur exige d’aller plus loin dans la réflexion de la reconnexion à la nature.
« La biodiversité n’est pas seulement l’ensemble des animaux, des lacs, des arbres : c’est nous, les êtres humains. Nous sommes la biodiversité » témoigne Julie Jodoin, directrice générale d’Espace pour la vie, lors du 92e congrès de l’ACFAS.
C’est également l’idée qui sous-tend de se mettre à la place du vivant qui nous entoure : les insectes, les arbres, les lacs, les fleurs, les animaux, afin de mieux comprendre leurs réalités, leurs places et leurs rôles. Dans un monde idéal, l’être humain le ferait également vis-à-vis d’autres êtres humains aux réalités différentes. Développer une empathie collective tout en y liant l’environnement, comme élément interdépendant.
Quand la glace, la rivière et les arbres nous parlent, il faut les écouter
« Pendant l’hiver, la glace nous parle. C’est elle qui nous dit lorsque nous pouvons marcher sur le lac gelé en toute sécurité ou non. Elle nous le dit » raconte Joséphine Bacon, poète, parolière, conteuse, conférencière, scénariste, traductrice-interprète et réalisatrice Innue originaire de Pessamit lors d’un panel sur la relation humain-nature : de la culture innue à la phénoménologie occidentale.
Elle explique également que la nature n’est pas une entité extérieure à l’être humain, mais une continuité du vivant. Ce rapport aux éléments a toujours été ancré dans la culture innue et a toujours guidé chacune des actions et prises de décisions, contrairement à la société occidentale d’aujourd’hui.
En ce sens, les peuples autochtones détiennent ces savoirs ancestraux, où la nature a toujours fait partie de leurs êtres, leurs histoires et leurs territoires. Joséphine raconte le symbole de l’empreinte sur la Terre-Mère : depuis la nuit des temps, chaque pas dans la neige, la toundra, la terre argileuse ou sablonneuse, laisse une trace. Les autochtones donnaient du temps au temps et vivaient au rythme des saisons. Il n’était pas question de produire et surproduire en s’accaparant les ressources : « On ne peut pas s’approprier les éléments, les ressources, puisque nous sommes dépendant.e.s de celles-ci », nous partage Joséphine Bacon lors de son échange.
C’est aussi ce qu’Audrey-Lise Rock-Hervieux, fondatrice, conférencière et blogueuse de « Maman autochtone », tente de faire comprendre lorsqu’elle parle de l’importance de renouer avec notre identité et redonner un souffle à des pratiques qui ont été mises de côté par des structures coloniales.
On ne peut pas s’approprier les éléments, les ressources, puisque nous sommes dépendant.e.s de celles-ci.
Joséphine Bacon
En prenant en compte les savoirs ancestraux autochtones, la place des émotions et du mouvement dans nos vies, l’empathie et le processus de résilience dans la lutte contre les changements climatiques, il est possible d’envisager une véritable transformation collective.
Des projets artistiques et intersectionnels afin de transformer l’écoanxiété en écorésilience

(Photo : Thibault Carron)
C’est le cas du projet pilote « L’écho des plantes : Opéra pour une Terre en fleurs », qui utilise l’opéra comme levier artistique pour sensibiliser les jeunes à l’écologie et à la nature.
À travers divers ateliers, les jeunes développent une connexion sensible avec le vivant et amplifient leur pouvoir d’agir vis-à-vis de leur anxiété. Jusqu’à présent, cette initiative démontre déjà des signes encourageants : les jeunes impliqué.e.s se sentent moins impuissant.e.s face à la crise environnementale, et iels se sentent davantage concerné.e.s tout en prenant conscience du monde qui les entoure ainsi que de l’importance de le protéger.
En prenant en compte les savoirs ancestraux autochtones, la place des émotions et du mouvement dans nos vies, l’empathie et le processus de résilience dans la lutte contre les changements climatiques, il est possible d’envisager une véritable transformation collective.
Si nous souhaitons redéfinir notre manière d’habiter la Terre, il est primordial de s’inspirer des connaissances ancestrales et des valeurs de respect portées par les communautés autochtones, tout comme de percevoir les émotions d’un point de vue collectif et partagé au sein des groupes.
Il s’agit également de redécouvrir notre sensibilité face à ce que la nature nous évoque, à s’en inspirer pour créer et miser sur les éco-émotions positives qui nous redonnent du pouvoir sur nos actions afin de lutter contre la crise climatique et de la biodiversité.