En 1988, James Hansen, scientifique pour la NASA, a averti le congrès des États-Unis que la Terre s’échauffait à un rythme alarmant, principalement à cause de la combustion de charbon, de gaz et de pétrole.
Les faits scientifiques n’avaient rien de nouveau. Tout au long du 19e siècle, les scientifiques avaient observé ce qu’on appelle aujourd’hui « l’effet de serre ». En 1859, les expériences du physicien irlandais John Tyndall avaient démontré les potentielles conséquences sur le climat des gaz, dont le dioxyde de carbone, qui empêchent l’évacuation du rayonnement de chaleur. Par la suite, en 1896, le chimiste suédois Svante Arrhenius avait fait la démonstration des possibles effets climatiques des variations de CO2.
Leurs recherches coïncidèrent avec l’ère de l’explosion du développement des énergies fossiles. Bien que le climat sur la Terre ait toujours fluctué, le rapide réchauffement climatique, correspondant au début de cette ère, demeure sans précédent. Comme l’a indiqué la NASA, « il est indéniable que l’activité humaine a produit les gaz atmosphériques qui empêchent maintenant une plus grande quantité de l’énergie du Soleil de s’échapper de la Terre. Cette énergie supplémentaire a réchauffé l’atmosphère, les océans et les sols, entraînant de rapides changements généralisés dans l’atmosphère et les océans ainsi que dans la cryosphère et la biosphère » (article en anglais).
À l’époque du témoignage de James Hansen il y a trente-cinq ans, les preuves de la responsabilité humaine dans le réchauffement climatique étaient déjà indéniables. Et elles ont engendré une transformation : la création du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat des Nations Unies. Des centaines de scientifiques et responsables politiques se sont alors réuni.e.s à Toronto pour une importante conférence internationale sur les changements climatiques. Conclusion : « L’humanité est en train de mener une expérience non intentionnelle et incontrôlable, à l’échelle planétaire, dont les conséquences risquent de quasi égaler une guerre nucléaire mondiale », le groupe a-t-il déclaré.
Bien que le climat sur la Terre ait toujours fluctué, le rapide réchauffement climatique, correspondant au début de cette ère, demeure sans précédent.
Lors de cette année mémorable, même le président des États-Unis, George H. W. Bush (magnat du pétrole!) et la première ministre britannique Margaret Thatcher ont promis d’écouter les signaux d’alarme environnementaux. Bush a même mis sur pied le U. S. Global Change Research Program et passé le Global Change Research Act, qui mandatait une évaluation climatique nationale tous les quatre ans.
Du côté canadien, à cette époque, le premier ministre Brian Mulroney a nommé Lucien Bouchard comme ministre de l’Environnement. En entrevue avec ce dernier, je lui ai demandé quel enjeu environnemental s’avérait le plus pressant selon lui. « Le réchauffement climatique », a-t-il répondu. « Quel est son degré de gravité? », me suis-je enquis. Ce à quoi il a répondu : « La survie de notre espèce est menacée. Il faut agir dès maintenant ».
Même les entreprises pétrolières reconnaissaient le problème. Selon une recherche de Harvard (en anglais), depuis 1977, « des équipes de recherche d’Exxon ont mis au point une série de modèles et d’analyses à la fiabilité remarquable qui prévoient, sur les décennies à venir, le réchauffement climatique causé par les émissions de dioxyde de carbone ».
Des cadres de l’industrie pétrolière ont bien réalisé que leurs affaires menaçaient la santé et la survie humaines, mais ceux-ci se préoccupaient plus des conséquences de l’action climatique sur leurs résultats financiers. Plutôt que de contribuer à la réduction de la consommation de leurs produits à l’échelle planétaire, les membres de la classe dirigeante de ces entreprises a plutôt élaboré des campagnes pour semer le doute et la confusion sur les preuves scientifiques climatiques, preuves pourtant confirmées par leurs propres équipes de recherche.
De concert avec l’industrie automobile, elle a créé des biens de consommation et encouragé des modes de vie orientés sur la combustion d’énergie fossile, pourtant polluante et nocive pour le climat. Avec l’aide de médias à l’intégrité compromise, de membres de la classe politique cooptés, de groupes de façade douteux et de citoyen.ne.s apeuré.e.s et mal informé.e.s, la machine du déni s’est mise en branle.
Ceux et celles qui mettent de l’huile sur le feu du déni climatique ont du sang sur les mains. Nous pouvons le dire sans exagération.
Nous avons maintenant atteint un point critique. Dans les trente-cinq dernières années, les ventes de véhicules gobeurs d’essence, tels que les VUS et les camionnettes, s’accélèrent. Le degré d’émissions a augmenté. La température de la planète a atteint des niveaux dangereux. En parallèle, la classe politique continue de militer contre des politiques climatiques pourtant fondées et efficaces. Devant le déni débridé qui fait rage, même les personnes politiciennes conscientes du problème sont forcées de faire des compromis ou d’offrir des versions édulcorées des mesures qu’elles tentent de mettre en place.
Ceux et celles qui mettent de l’huile sur le feu du déni climatique ont du sang sur les mains. Nous pouvons le dire sans exagération. Le véritable monstre de relations publiques, hautement financé et très sophistiqué, a pu servir d’excuse à l’ignorance pendant un temps. Aujourd’hui, cependant, plus rien ne justifie de se voiler la face devant la crise évidente qui sévit.
James Hansen a pris sa retraite de la NASA en 2013, mais il n’a jamais cessé de nous mettre en garde contre l’imminente crise climatique. Une étude (en anglais) qu’il a récemment dirigée concluait d’ailleurs que le réchauffement et la sensibilité du climat à l’augmentation des émissions a excédé même les scénarios les plus optimistes du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat. Cette situation s’explique notamment par l’échec collectif à appliquer des mesures pour ralentir les émissions, comme la tarification du carbone.
Selon les conclusions de Hansen et de son équipe, nous approchons dangereusement de la limite de 1,5 °C établie par l’Accord de Paris comme le point de non-retour. Nous risquons ainsi un monde « moins tolérable pour l’humanité, empreint d’extrêmes climatiques ».
Nous avons disposé d’amplement de temps pour changer de trajectoire. Tout retard supplémentaire ne causera que plus de souffrances et d’épreuves pour tout le monde. L’heure a sonné depuis longtemps de passer du déni à l’action.