Au Canada, nous sommes prompts à nous comparer avantageusement à nos voisins du Sud. Si la COVID-19 a atteint des proportions jamais vues ici, la situation américaine se révèle encore plus dramatique. Et si le Canada n’a pas réussi à freiner ses émissions de carbone, les États-Unis ont abandonné leurs objectifs de réduction lorsqu’ils se sont retirés de l’Accord de Paris. Aussi réconfortant que soit ce « moins pire », il témoigne d’un manque d’ambition.
En fait, lorsqu’il s’agit de reconnaître le racisme environnemental et de s’y attaquer, le Canada traîne de l’arrière. En 1994, le président américain Bill Clinton a promulgué un décret — toujours en vigueur — qui exige des organismes publics qu’ils adoptent des stratégies pour contrer les conséquences disproportionnées de leurs actions sur la santé et l’environnement des populations minoritaires et pauvres. Il a également formé un groupe de travail inter-organismes de haut niveau sur la justice environnementale, afin de favoriser une réponse gouvernementale globale.
Depuis 1992, les administrations démocrates et républicaines ont conservé le Bureau de la justice environnementale de l’Agence américaine de protection de l’environnement. Son but : « assurer à l’ensemble de la population le même niveau de protection contre les risques environnementaux et sanitaires, ainsi qu’un accès égal au processus décisionnel sur le maintien d’un environnement de vie, d’éducation et de travail sain ». Malheureusement, le ministère canadien de l’Environnement et du Changement climatique ne compte aucun organisme du genre.
Le refus du Canada de nommer la dimension environnementale du racisme systémique se traduit par une absence de mots pour cerner et de contrer le problème.
Si les termes « racisme environnemental » et « justice environnementale » vous sont peu familiers, vous n’êtes pas seuls. Le refus du Canada de nommer la dimension environnementale du racisme systémique se traduit par une absence de mots pour cerner et de contrer le problème.
On parle de racisme environnemental lorsque, intentionnellement ou non, les politiques ou pratiques environnementales affectent de manière disproportionnée des gens, des groupes ou des collectivités qui se distinguent par leur race ou leur couleur, comme l’installation dans leur milieu d’entreprises polluantes ou qui présentent des risques environnementaux.
Les députés ont entrepris de débattre du projet de loi C-230, soumis par la députée libérale de Nouvelle-Écosse Lenore Zann. S’il est adopté, le ministre de l’Environnement devra élaborer une stratégie nationale de lutte contre le racisme environnemental, une première au Canada. Tous les partis devraient appuyer ce projet de loi.
L’idée de ce projet de loi est venue à Mme Zann à la lecture d’une étude d’Ingrid Waldron sur les raisons et les effets d’industries toxiques près des communautés micmaques et noires de la Nouvelle-Écosse. Mme Waldron, professeure agrégée à la Dalhousie University, a documenté ces constats troublants dans le film There’s Something in the Water (L’eau sale en version française), disponible sur Netflix, et dans son livre du même nom publié en 2018.
Mme Waldron dénonce les pollueurs industriels (sites d’enfouissement, incinérateurs de déchets, usines de charbon, usines de traitement des déchets toxiques et autres activités qui présentent des risques environnementaux) situés près des communautés noires et de travailleurs pauvres. Elle cible également l’accès inégal aux avantages et services environnementaux, comme le ramassage des ordures. Elle remarque que ces collectivités manquent souvent du pouvoir politique pour réclamer la protection environnementale.
Les chercheurs ont constaté que 25 pour cent des quartiers urbains les plus pauvres se situent à moins d’un kilomètre d’une installation polluante, comparativement à sept pour cent à peine pour les plus riches.
Les chercheurs ont constaté que 25 pour cent des quartiers urbains les plus pauvres se situent à moins d’un kilomètre d’une installation polluante, comparativement à sept pour cent à peine pour les plus riches. Or, il existe une dimension raciale à cette iniquité. Les minorités visibles sont proportionnellement plus nombreuses dans les quartiers défavorisés que dans les autres quartiers. Lors du recensement de 2011, près de la moitié de la population des quartiers les plus défavorisés était formée de minorités visibles, comparativement à 24 pour cent ailleurs.
L’absence de mandat législatif ou de structure de gouvernance pour contrer le racisme environnemental au Canada constitue une faille qui doit être comblée.
Une stratégie nationale de lutte contre le racisme environnemental ne constitue qu’un premier pas. En effet, même après plus de 25 ans de travail par le Bureau américain de justice environnementale, il est clair que le problème n’est pas encore résolu. Cela dit, la première étape de la résolution d’un problème est de le nommer et d’essayer de le comprendre. Avec le projet de loi C-230, le Canada se saisit de l’enjeu. Il était grand temps.
S’il est adopté, le projet de loi C-230 mettra en lumière les effets discriminatoires des politiques environnementales. L’adhésion de tous les partis constituerait un engagement à mettre les questions d’équité au cœur de mesures environnementales ambitieuses et urgentes.
Si la nouvelle administration américaine réussit à mettre en œuvre ne serait-ce qu’une partie de ses promesses de campagne, le Canada devra en faire davantage dans de nombreux secteurs, à défaut de quoi il perdra son statut de leader nord-américain. Le gouvernement Biden entend favoriser la coopération binationale et multinationale, notamment en matière d’urgence climatique. Espérons que le Canada et les États-Unis feront des progrès sur tous les fronts environnementaux, y compris en matière de justice environnementale.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez