La protection et la restauration sont les deux facettes de la conservation : protection des espaces qui n’ont pas encore été endommagés ou détruits par des interventions humaines à grande échelle et restauration des milieux écologiques sensibles qui l’ont déjà été.
Bien que ces deux facettes semblent appeler des mesures scientifiques relativement évidentes, elles continuent d’être façonnées de manière significative par le colonialisme, ici au Canada et ailleurs dans le monde.
Les opérations de restauration sur le terrain sont relativement nouvelles. Ce n’est que récemment que l’ampleur de nos activités a dégradé des écosystèmes entiers. Toutefois, les opérations de restauration sont encore soumises à des approches coloniales.
Prenons l’exemple d’une récente approche européenne du changement climatique fondée sur la nature, lancée dans le cadre d’un projet de plantation d’un milliard d’arbres. Elle incluait les plaines du Serengeti et le parc national Kruger en Afrique comme zones potentielles de reforestation. Selon le Yale Journal of Forestry, « en n’excluant pas les zones de conservation et les pâturages traditionnels […] ces cartes suggèrent que le patrimoine naturel de l’Afrique peut être transformé en plantations industrielles d’arbres pour compenser les émissions de carbone du monde riche. »
Au Canada, on a créé des aires protégées des décennies avant que Terre-Neuve-et-Labrador ne se joigne aux autres provinces et territoires pour former le pays actuel. La plupart d’entre elles sont issues d’une approche coloniale qui a bafoué les droits des Autochtones et brisé leurs liens avec le territoire.
« Lors de la création de la réserve forestière du parc Jasper en 1907 […], les peuples autochtones étaient considérés comme des obstacles à la jouissance de la nature. »
Le site Web du parc national Jasper nous en donne un aperçu : « Lors de la création de la réserve forestière du parc Jasper a été créée en 1907 […] les peuples autochtones étaient considérés comme des obstacles à la jouissance de la nature. Selon les politiques de conservation de l’époque, les peuples autochtones étaient vus comme incompatibles avec la nature et ne pouvaient donc pas vivre, chasser ou récolter dans les limites du parc. Les peuples des Premières nations et les Métis ont été déplacés ; on leur a refusé l’accès à ce territoire, interdit de cueillir et de chasser, d’organiser des rassemblements et d’accéder à leurs sites culturels. »
Cette situation n’est pas propre à Jasper. Des Autochtones ont également été déplacés de force pour créer notamment le parc Stanley de Vancouver et le parc Quetico.
Comme le fait remarquer l’écrivain autochtone Robert Jago dans National Parks Are Colonial Crime Scenes, « les services des parcs du Canada ont traité les peuples autochtones comme une nuisance depuis la création, en 1885, de ce qui est maintenant le parc national de Banff ».
Comment pouvons-nous, nous qui retrouvons réconfort et harmonie dans les parcs, contribuer à corriger les injustices du passé ?
Les peuples autochtones jouent déjà un rôle de premier plan sur de nombreux fronts, notamment en prônant le rapatriement des terres et la gestion foncière autochtone, et en affirmant des droits et responsabilités que les gouvernements provinciaux et fédéral ont longtemps niés. Ces initiatives méritent un solide soutien de la population.
À titre d’exemple, à Jasper, le chef de la Première nation Simpcw, Nathan Matthew, a annoncé en 2017 que son groupe allait reprendre la chasse au cerf, au mouflon et au wapiti dans le parc, chasse interdite lors de sa création. « Nous sommes déterminés à faire valoir notre titre et notre droit sur notre territoire », a-t-il déclaré.
« […] aucun territoire n’a autant d’importance spirituelle que les parcs nationaux. Ils devraient nous être restitués. Les Autochtones devraient à nouveau s’occuper — pour protéger et préserver — de ces jardins privilégiés […] »
Dans Return the National Parks to the Tribes, l’Américain autochtone David Treuer écrit : « Pour les Amérindiens, il ne peut y avoir de meilleur remède au vol des terres que la terre elle-même. Et pour nous, aucun territoire n’a autant d’importance spirituelle que les parcs nationaux. Ils devraient nous être restitués. Les Autochtones devraient à nouveau s’occuper — pour protéger et préserver — de ces jardins privilégiés. »
Le Canada doit lui aussi envisager de nouvelles formes de gouvernance des terres. Les peuples autochtones ont de tout temps démontré leur capacité à gérer de manière responsable les écosystèmes et à mener une vie dans le respect de la nature. De nombreux parcs nationaux et provinciaux ne parviennent pas à atteindre leur objectif premier de préserver la biodiversité. Le parc national de Jasper a récemment annoncé la disparition d’un troupeau de caribous résident. De plus, des conflits persistants sur la gestion pourraient affecter les deux troupeaux restants, fortement menacés.
Selon M. Treuer, « il n’est pas certain que le modèle actuel d’entretien et de conservation réponde le mieux aux besoins de la terre, des Autochtones ou de la population. Il n’est pas non plus évident que le système actuel permette d’assurer adéquatement l’avenir des parcs. Or, c’est une chose que les Autochtones savent faire : aller de l’avant en gardant le passé comme bagage. […] La gestion collective des terres par les Autochtones serait une bonne chose non seulement pour eux, mais aussi pour les parcs. »
Nous devons collectivement prendre la responsabilité d’engager un dialogue sur la forme que pourraient prendre les nouveaux systèmes de gouvernance foncière. Tout devrait être envisagé, y compris la propriété et la gouvernance des aires protégées actuelles. Comme le fait remarquer M. Jago, « les lieux dont le Canada a fait des parcs sont riches de nos histoires — chaque montagne, chaque vallée a un nom et une histoire pour les peuples autochtones ».
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez