Les inondations de ce printemps au Canada ont bouleversé des vies et inondé des rues et des maisons. Pour sauver des collectivités, il a fallu recourir à des sacs de sable et à des digues. En Ontario et au Québec, les précipitations du mois d’avril ont atteint le double de la moyenne des 30 dernières années. En mai, des milliers de résidences de 130 municipalités québécoises, de la frontière ontarienne à la péninsule gaspésienne, ont été inondées. À Montréal, trois digues ont cédé, obligeant la ville à déclarer l’état d’urgence et les résidents à se lancer dans une course contre la montre pour sauver leur maison et leur famille. De son côté, le gouvernement ontarien a dû augmenter son fonds d’urgence pour contrer les inondations.
Dans la région Atlantique, le Nouveau-Brunswick a enregistré des pluies record de plus de 150 millimètres en près de 36 heures sans relâche. Dans la région de l’Okanagan, en Colombie-Britannique, la fonte rapide des neiges et le gonflement des ruisseaux ont fait grimper le niveau des lacs à des niveaux record. La ville de West Kelowna a déclaré l’état d’urgence et forcé l’évacuation de résidences.
Les inondations sont devenues le signe le plus visible des effets des changements climatiques au Canada, dans les régions urbaines et rurales.
Les crues printanières ne sont pas inhabituelles, mais l’intensité et la fréquence des récentes pluies sont d’une ampleur inégalée. Le Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat, le principal organisme international d’évaluation des changements climatiques, prévoit une hausse importante des épisodes de fortes précipitations et d’inondations dans de nombreuses régions du monde, notamment au Canada. En effet, la hausse des températures entraîne une augmentation de l’humidité dans l’atmosphère, ce qui provoque des pluies plus abondantes. Selon le Bureau d’assurance du Canada, un Canadien sur cinq est confronté à des risques plus ou moins grands d’inondations ; 1,8 million de foyers y sont particulièrement vulnérables.
Les catastrophes liées aux changements climatiques — inondations, sécheresses et feux — ont des effets dramatiques sur les finances personnelles et sur l’économie. Depuis l’an 2000, le Canada a connu plus de 80 inondations majeures, ce qui a entraîné une hausse vertigineuse des primes d’assurance. Les inondations de 2013 en Alberta ont coûté à elles seules plus de 6 milliards $. La population canadienne essuie tous les ans des pertes de 600 millions $ en lien avec les inondations. À l’échelle mondiale, les assureurs ont versé depuis dix ans plus de 200 milliards $ pour des sinistres causés par des inondations côtières.
La déforestation, la destruction des milieux humides et les ouvrages artificiels de protection des rives aggravent le problème. Les compagnies d’assurance reconnaissent que le maintien d’écosystèmes sains contribue, plus que les infrastructures coûteuses, à prévenir les catastrophes climatiques, à économiser et à améliorer la résistance. La Lloyd’s de Londres incite les assureurs à prendre en compte les habitats naturels côtiers dans l’évaluation du risque d’inondations. En effet, une étude a révélé que les écosystèmes, notamment les milieux humides protègent plus efficacement les côtes que les digues. De plus, les assureurs soutiennent que la préservation de la nature coûte 30 pour cent moins que la construction de digues.
Pourtant, de nombreuses régions privilégient les structures de protection : murs de pierres ou immenses estacades pour contrer les inondations côtières, barrages et digues pour contenir les fleuves et rivières et assèchement pour prévenir les débordements des zones humides. Or, ces infrastructures coûtent cher à des municipalités déjà étranglées, exigent plus d’entretien et se révèlent plus contraignantes que de laisser les milieux naturels intacts.
Les surfaces de béton et d’asphalte des villes empêchent l’eau de pénétrer dans le sol, augmentant ainsi le ruissellement des fortes pluies. Les jardins de pluie, les bassins biologiques et les chaussées perméables contrôlent pourtant mieux les inondations en réduisant le ruissellement des eaux et en protégeant les zones inondables et les berges. La nature absorbe les eaux de pluie et évite l’engorgement du réseau de canalisations, le refoulement des égouts et l’inondation des routes et des sous-sols. La restauration des chenaux de rivière, des sentiers de promenade et des plages diminue les coûts, ajoutent à l’attrait des lieux, améliore l’accès à la nature et contribue à la santé de la population.
De nombreuses municipalités s’efforcent de restreindre la construction domiciliaire en zone inondable, de mieux gérer ces milieux et d’actualiser leurs systèmes de contrôle des inondations. Certaines, comme Gibsons en Colombie-Britannique, ont adopté une nouvelle approche qui considère la nature comme un élément essentiel de l’infrastructure urbaine et place le « capital naturel » sur le même pied que le cadre bâti. Le programme municipal d’actifs naturels (Municipal Natural Assets Initiative) aide les autorités locales de partout au pays à évaluer leur approche à cet égard en leur offrant des outils pour identifier leur actif naturel et en améliorer la gestion.
Le gouvernement fédéral a prévu une somme de deux milliards $ pour aider les autorités locales à se défendre contre les catastrophes naturelles comme les feux de forêt et les inondations. Une grande partie de ce montant devrait être consacrée à des infrastructures naturelles. Ce faisant, le gouvernement pourrait jeter les bases d’une étude nationale sur le rôle des infrastructures naturelles dans la préservation de la biodiversité, la rentabilité, l’atténuation des changements climatiques et l’adaptation à ces changements.
Malgré les récents investissements, le Canada tire de l’arrière par rapport aux autres pays du G7 en matière de préparation et d’adaptation aux changements climatiques. Nous devons dès maintenant reconnaître l’importance de la nature et des infrastructures bâties vertes pour la prévention des inondations. La nature peut nous aider… si nous lui en donnons la chance.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez