Quatre ans après la publication du rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées en 2019, quelles ont été les avancées au Québec et au Canada en 2023?
Enracinés dans une véritable crise sociale, 231 appels à la justice ont été mis en lumière : ils s’adressaient aux gouvernements, aux institutions, à l’industrie et à l’ensemble de la population canadienne.
« Il existe une mobilisation, mais la réponse générale tarde à arriver. Il y a un réveil, mais il ne reçoit pas le soutien nécessaire. À la source des problématiques vécues, il y a les pensionnats mais aussi une culture de déshumanisation des personnes autochtones au Canada, que l’on voit se transformer peu à peu depuis la Commission de vérité et réconciliation. Les discussions sur les femmes disparues et assassinées doivent se poursuivre et avancer. Avec tout ce que l’on sait et admet enfin, cela ne devrait plus être un enjeu », témoigne la responsable de la campagne forêt boréale à la Fondation David Suzuki, Melissa Mollen Dupuis.
Bien que la Gendarmerie royale du Canada (GRC) estime dans un rapport datant de 2014 qu’il y a 1 200 femmes et filles autochtones disparues ou assassinées au Canada, l’Association des femmes autochtones du Canada (AFAC) affirme qu’il y en aurait plus de 4 000.
À la source des problématiques vécues, il y a les pensionnats mais aussi une culture de déshumanisation des personnes autochtones au Canada, que l’on voit se transformer peu à peu depuis la Commission de vérité et réconciliation. Les discussions sur les femmes disparues et assassinées doivent se poursuivre et avancer.
Initiatives politiques
D’une part, afin de s’attaquer aux causes profondes de la violence fondée sur le sexe, le gouvernement fédéral a versé un financement de près de 2 millions $ à six organismes québécois en 2023 : Centre d’amitié autochtone de Val-d’Or, Centre Mamik Lac-Saint-Jean, Cree Women of Eeyou Istchee Association, Gookumnouch Advisory Paataksuun, Projet de Travailleurs de Soutien aux autochtones (PTSA)/Indigenous Support Workers Project (ISWP) et Femmes Autochtones du Québec.
Ce dernier réalisera d’ailleurs une cartographie des près de 200 cas de filles, de femmes et de personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues au Québec. En partenariat avec l’Université du Québec en Outaouais et le Foyer pour femmes autochtones de Montréal, il ira à la rencontre des familles.
D’autre part, des consultations au sujet d’un système public d’alerte « robe rouge » ont débuté au mois de décembre 2023, en cas de disparition de femmes, de filles et de personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones. Elles ont rassemblé la députée néo-démocrate de Winnipeg-Centre Leah Gazan, la députée libérale Pam Damoff et des militant.e.s autochtones. Tout comme dans l’État de Washington aux États-Unis, un système d’alerte enverrait des notifications sur les cellulaires de la population canadienne, à la façon des alertes Amber lorsqu’une personne est signalé.e disparu.e.
On recherche moins les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones lorsqu’elles sont signalées disparues. On se mobilise moins aussi. On envoie le message que nous sommes des personnes de seconde zone.
Melissa Mollen Dupuis
« On recherche moins les femmes et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones lorsqu’elles sont signalées disparues. On se mobilise moins aussi. On envoie le message que nous sommes des personnes de seconde zone. C’est pour cette raison que beaucoup d’entre elles ont été par le passé des victimes désignées de tueurs en série ou de personnes violentes. Iels savent que les risques sont moins grands et que l’attention ne sera pas portée sur cette tranche de la population », commente la responsable de la campagne forêt boréale.
Afin de symboliser la résistance à la violence et y sensibiliser la population, le gouvernement du Manitoba a par ailleurs rendu deux nouveaux types de plaques d’immatriculation disponibles, en hommage aux femmes, aux filles et aux personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées : l’un avec une robe rouge et l’autre avec l’empreinte d’une main rouge.
En outre, un Cercle d’action conjointe a été créé par l’Assemblée des chef.fe.s du Manitoba et la GRC au Manitoba. Cette mesure était réclamée par l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées. Elle réunit des représentant.e.s de plusieurs organisations autochtones et se concentrera sur l’écoute des victimes, ainsi que sur les problèmes rencontrés par les dirigeant.e.s dans les communautés autochtones.
Lacunes et progrès attendus
D’importants enjeux demeurent, notamment en ce qui concerne les relations entre les personnes autochtones et les institutions, que ce soit la police ou les soins de santé, comme le précise Melissa Mollen Dupuis.
Cela a été le cas dernièrement lorsqu’une femme Inuk, Alasie Tukkiapik, a été retrouvée au mois de septembre 2023, après avoir été portée disparue en mars de la même année. Plusieurs médias ont rapporté que son corps a été retrouvé après une visite du SPVM provoquée par l’insistance de l’organisme ISKWEU et des membres de la famille.
Encore une fois, le message envoyé est que l’on ne nous cherche pas. On ne s’inquiète pas pour nous et ça, c’est aussi en réponse à la façon dont on traite le territoire. On considère le corps des femmes autochtones comme on traite le territoire au Canada et les répercussions sont réelles.
déplore Melissa Mollen Dupuis
Elle ajoute que l’intégrité et les droits des femmes autochtones étaient à la base même de la colonisation, car elles étaient interreliées avec le territoire que l’on désirait accaparer. La Loi sur les Indiens a souligné cela de façon très explicite quand, jusqu’en 1985, une femme autochtone qui se mariait à un homme blanc était considérée comme une femme blanche. En détruisant le lien matrilinéaire, on souhaitait rompre l’attachement au territoire et aux traditions. C’était une stratégie pour rendre le territoire plus facile d’accès pour, par la suite, en prendre possession.
En juin 2023, l’AFAC a quant à elle attribué au gouvernement fédéral une note d’échec pour son inaction continue à l’égard du Plan d’action national pour les femmes, les filles et les personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées.
D’ailleurs, les homicides de femmes et de filles conduisent plus souvent à des accusations d’homicide involontaire coupable qu’à des accusations de meurtre lorsque les victimes sont autochtones, selon une étude de Statistique Canada portant sur les décisions rendues par les tribunaux canadiens entre 2009 et 2021.
Actions citoyennes
De son côté, la population canadienne s’est mobilisée à travers le pays à maintes reprises au cours de l’année précédente. Que ce soit pour exiger les fouilles des dépotoirs de Prairie Green et Brady Road au Manitoba pour retrouver les dépouilles de Morgan Harris, Marcedes Myran, Tanya Nepinak et Buffalo Woman, ou encore pour ériger des camps à leur mémoire.
En outre, l’œuvre commémorative NI CIMEC NI MISES (« ma petite sœur, ma grande sœur ») de l’artiste Anishinaabe Rosalie Mowatt a été dévoilée au Musée ilnu de Mashteuiatsh à l’automne 2023. Montrant les visages sous la forme d’un cercle de guérison de 34 femmes, filles et personnes 2ELGBTQQIA+ autochtones disparues et assassinées durant les dernières décennies au Québec, il s’agit d’une représentation d’espoir.
Enfin, le monument MMIWG de l’artiste Inuvialuit des Territoires du Nord-Ouest, Myrna Pokiak, a été érigé à l’édifice de l’Assemblée législative à Yellowknife afin de commémorer les vies perdues et faire acte de sensibilisation.