Mes grands-parents ont immigré du Japon au début du XXe siècle. Même si ce voyage allait en être un aller simple, la périlleuse traversée du Pacifique en valait la chandelle. Ils ont laissé derrière une pauvreté extrême pour trouver une infinité de possibilités.
Mais le Canada d’hier n’était pas celui d’aujourd’hui. C’était un pays raciste ayant en son cœur des politiques de colonisation, d’assimilation et d’extermination des peuples originaires de ces terres. Mes grands-parents, mes parents, nés au Canada, tout comme la population indigène et ceux de peaux « colorées » ne pouvaient ni voter ni être propriétaires dans bon nombre d’endroits, et n’avaient pas accès à la majeure partie des professions. Au cours de la Seconde Guerre mondiale, mes parents, ma sœur et moi avons été dépouillés de nos droits et de nos biens, puis enfermés dans les terres de la Colombie-Britannique, et ce, même si le Canada était le seul endroit que nous ayons jamais connu.
Bien des choses ont changé depuis l’arrivée de mes grands-parents, et depuis que je suis né, en 1936. Avant 1918, les femmes n’avaient pas le droit de vote et n’étaient même pas considérées comme des « personnes ». Les gens de descendance africaine ou asiatique, incluant ceux qui sont nés et qui ont grandi ici, n’ont pas pu voter avant 1948 et 1960 pour les Premières Nations. L’homosexualité n’a été légalisée qu’en 1969!
C’est le gouvernement progressiste conservateur de John Diefenbaker qui a mis en place, en 1960, la déclaration canadienne des droits. En 1982, les libéraux de Pierre Trudeau ont élaboré la Charte canadienne des droits et libertés, qui par la suite a été renforcée en 1985, de droits à l’égalité.
Nous devrions célébrer ces droits durement obtenus. Je suis fier d’avoir été témoin du progrès accompli par mon pays. Cependant, il reste place à amélioration. Même que sur certains points, le Canada a régressé.
Quand j’étais petit, nous buvions de l’eau directement des lacs et des cours d’eau sans même y réfléchir. Je n’aurais jamais pu m’imaginer qu’un jour nous serions prêts à acheter de l’eau embouteillée et à la payer plus cher que l’essence. Par personne, le Canada est le pays le plus riche en eau douce, et pourtant bien des communautés autochtones n’ont pas accès à une eau potable de qualité.
Dans ma jeunesse, à Vancouver, mon père m’amenait à la pêche : le flétan près des Spanish Banks; l’esturgeon dans le fleuve Fraser; et le saumon dans la Baie English. De nos jours, je ne peux y conduire mes petits-enfants à la pêche, car les poissons en sont partis.
Étant garçon, je n’avais jamais entendu parler de l’asthme. Maintenant, cette maladie chez les enfants est aussi commune que les cheveux roux. Et la moitié des Canadiennes et des Canadiens vivent dans des endroits où la pollution atmosphérique atteint des niveaux inacceptables. Je me rappelle aussi que toute la nourriture était biologique. Je ne croyais pas que nous aurions à payer plus cher pour que nos aliments ne contiennent pas de produits chimiques. Il est maintenant impossible de se soutirer aux conséquences nocives des activités agricoles et industrielles. Des dizaines de polluants toxiques font partie intégrante de nos corps.
On pourrait croire que le plus haut taux de déforestation se produit dans l’Amazone, mais, en 2014, le Canada est devenu le leader mondial de la destruction de forêts vierges. De toute évidence, un peuple qui possède tant de richesses naturelles devrait bien comprendre l’importance de protéger l’air, l’eau et le sol, puisque notre santé, notre prospérité tout comme notre bonheur dépendent d’une riche diversité biologique.
Le droit de vivre dans un environnement sain a été adopté par plus de 110 nations — mais pas par le Canada. Ceci a poussé la Fondation David Suzuki et Ecojustice à créer le mouvement Bleu Terre, il y a de cela un peu plus d’un an.
Nos attentes ont été dépassées. Plus de 100 municipalités ont adopté des déclarations des droits en matière d’environnement; et un certain nombre de provinces réfléchissent ou se sont déjà commises à l’idée. La prochaine étape est de porter cette volonté jusqu’au fédéral, en exigeant une déclaration des droits en matière d’environnement et, ultimement, un amendement à la Charte canadienne des droits et libertés.
La campagne sur les droits en matière d’environnement porte aussi sur les droits de la personne et la justice sociale — chose reconnue par les Nations Unies, qui a nommé un commissaire spécial des droits de la personne et de l’environnement. Ce n’est pas le nombre de personnes immensément riches qui définit un pays et ses valeurs, mais plutôt la situation de ses citoyens les plus démunis et les plus vulnérables. Bien des problèmes environnementaux sont liés aux iniquités sociales — la faim et la pauvreté, le chômage chronique, l’absence de services sociaux, les transports en commun inadéquats et les priorités souvent conflictuelles entre les entreprises et l’intérêt public —, car les gens se trouvant au bas de l’échelle socioéconomique sont souvent touchés par les risques environnementaux et la pollution toxique de manière disproportionnée.
Le Canada a fait du chemin, mais il ne doit pas s’asseoir sur ses lauriers. Nous devons entretenir et renforcer les droits de toutes les Canadiennes et de tous les Canadiens, afin de construire un une meilleure société. Ceci implique de donner à tous les citoyens et citoyennes le droit à un environnement sain.
Avec la participation d’Ian Hanington, éditeur en chef pour la Fondation David Suzuki.