Selon une nouvelle étude, la bulle du carbone éclatera avec ou sans mesures gouvernementales. Les gens qui investissent dans les énergies fossiles en subiront les conséquences.
En raison des progrès enregistrés dans l’efficacité énergétique et les technologies d’énergie renouvelable ainsi que de la baisse des prix, la demande mondiale en combustibles fossiles devrait décliner d’ici 2035 et affecter les nouveaux investissements dans ce secteur selon une étude publiée dans Nature Climate Change, « Macroeconomic impact of stranded fossil fuel assets ».
Des chercheurs de la Cambridge University et d’ailleurs ont conclu que les avancées technologiques nuiront aux actifs en énergie fossile, « que de nouvelles mesures sur le climat soient adoptées ou non », mais que les pertes seront amplifiées sur l’on adopte des mesures climatiques pour atteindre la cible des 2 oC de l’Accord de Paris ou si les producteurs à faible coût (certains pays de l’OPEC) maintiennent leur niveau de production (« liquidation ») malgré la baisse de la demande.
Cela pourrait « équivaloir à une perte escomptée de 1 à 4 billions $ US à l’échelle mondiale ». La Russie, les États-Unis et le Canada pourraient faire face à la quasi-fermeture de leur industrie de carburants fossiles, dévoile le rapport.
La meilleure façon de limiter ces effets négatifs consiste à désinvestir du secteur des combustibles fossiles et à accélérer la transition vers une économie propre, diversifiée et efficace sur le plan énergétique. L’investissement d’argent public dans l’expansion de la production et des infrastructures des combustibles fossiles, oléoducs compris, est irresponsable et incompatible avec les engagements pris par le Canada dans l’Accord de Paris. Cela fait courir un risque à notre économie, occasionne la pollution de l’air, de l’eau et du sol, et augmente les conséquences climatiques et les coûts du système de santé.
Jean-François Mercure, auteur principal de l’étude, a déclaré au Guardian : « Si les gouvernements adoptaient davantage de mesures, tout irait beaucoup plus vite. Toutefois, même sans mesures [climatiques] vigoureuses, nous subissons déjà ces contrecoups que, dans une certaine mesure, nous ne pouvons plus arrêter. Cela dit, si les gens cessaient maintenant d’investir dans les combustibles fossiles, ils pourraient au moins limiter leurs pertes. »
Pour Jorge Viñuales, coauteur, « aucun pays ne peut éviter la situation en ignorant l’Accord de Paris ou en se mettant la tête dans les sables bitumineux ou le charbon ».
Les chercheurs ont constaté que la transition des combustibles fossiles vers la préservation et des énergies propres est assez rapide pour forcer la baisse des investissements dans les combustibles fossiles, mais pas assez pour maintenir le réchauffement climatique mondial en deçà des 2 oC par rapport aux niveaux préindustriels. Pour atteindre ou surpasser les engagements de l’Accord de Paris, il faudra une action concertée de l’ensemble des gouvernements du globe.
Dans cette optique, on néglige souvent la notion d’efficacité. Une étude publiée dans Nature Energy a révélé que l’amélioration de l’efficacité énergétique pourrait limiter le réchauffement mondial à 1,5 oC au-dessus des niveaux préindustriels, l’objectif visé par l’Accord de Paris. De nombreux experts ont avancé que pour contenir le réchauffement climatique à ce niveau, il faudrait recourir à la bioénergie à grande échelle (production d’énergie par la combustion de produits forestiers et végétaux) et à des technologies de réduction des émissions (élimination du CO2 de l’air et son emprisonnement sur terre, sous terre ou dans les océans). Or, bon nombre de ces technologies n’ont pas été testées à l’échelle industrielle, et la combustion de la biomasse pollue et nuit à l’utilisation des sols, à l’habitat et à la production alimentaire. L’étude souligne également qu’il serait possible de limiter le réchauffement sans ces solutions.
Selon un article de Carbon Brief, des chercheurs ont utilisé un modèle d’évaluation intégré pour déterminer si l’amélioration de l’efficacité énergétique, au Nord et au Sud, pouvait contribuer à limiter le réchauffement à 1,5 oC, tout en atteignant les objectifs internationaux de développement durable, notamment « zéro faim », « santé et bien-être » et « énergie propre et abordable » pour tous.
Les innovations technologiques et sociales à l’échelle des industries et des consommateurs, notamment « l’expansion des services numériques dans les pays du Sud et l’augmentation de l’autopartage dans les pays du Nord » y contribueraient grandement. D’autres mesures seraient également nécessaires, comme la réduction ou l’élimination de la consommation de viande, car l’élevage exige beaucoup plus d’énergie et de terres que la production de fruits et de légumes.
Bien que le rapport exprime un certain optimisme, la meilleure façon d’éviter les pires conséquences d’un réchauffement climatique mondial est de faire tout ce que nous pouvons à l’échelle de la société et des gouvernements : conservation énergétique, transition vers les énergies propres, protection et restauration des espaces verts, réduction de la consommation de viande, amélioration des droits des femmes et de la planification familiale pour stabiliser la croissance de la population, augmentation des infrastructures de transport pour remplacer l’auto privée, abandonner les combustibles fossiles, et exiger des politiciens des mesures climatiques crédibles.
Face aux graves enjeux énergétiques, le monde change. À nous de choisir : tirer profit des nouvelles possibilités économiques et des avantages sur le plan de la santé humaine, des écosystèmes et du climat, ou continuer à extraire, vendre et brûler des combustibles fossiles pendant que la planète se réchauffe.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez