À la fin du mois de septembre, l’artiste inuite Annie Pootoogook est morte tragiquement à Ottawa. Pootoogook était une illustratrice primée du Cape Dorset, au Nunavut. Ses dessins à l’encre et au crayon sur la vie quotidienne dans le Nord, montrant des familles assisses autour de la viande de phoque ou faisant leur épicerie dans la coopérative du village, ont mérité une reconnaissance internationale. À l’opposé de la vision idéalisée du Nord qu’ont plusieurs Canadiennes et Canadiens, parsemée des rochers majestueux couverts de glace et d’une faune charismatique dont l’ours polaire est devenu l’icône, les dessins de Pootoogook reflétaient souvent la pauvreté étouffante dans laquelle vivent les familles inuites et son impact sur leur santé et leur bien-être.
La police d’Ottawa considère le décès de Pootoogook comme étant une mort suspecte : elle a peut-être été assassinée. Si ceci s’avère, Annie Pootoogook s’ajoutera à la longue liste de femmes autochtones ayant connu une fin violente au Canada.
Les femmes et jeunes filles autochtones sont trois fois plus à risque d’être victimes de violence que leurs congénères non autochtones, et six fois plus à risque d’être assassinées. Tous les jours, des milliers de femmes et d’enfants issus des Premières nations, Métis et Inuits logent dans des refuges pour échapper à la violence (pourtant, les refuges à l’intérieur des réserves sont gravement sous-financés).
La GRC n’a pas conservé des statistiques fiables sur le nombre de personnes assassinées ou disparues, mais les organisations de femmes autochtones et les familles de victimes ont dénoncé des centaines de cas de proches qui ont été victimes d’un crime violent. Après des années d’indifférence et d’inertie, le gouvernement du Canada a lancé une enquête pour jeter de la lumière sur ces morts violentes.
Même si l’enquête nationale sur les femmes autochtones assassinées et disparues ne se penchera pas sur les cas déjà traités par la police, elle essaiera néanmoins de comprendre les facteurs structurels qui font en sorte que les femmes et jeunes filles autochtones s’exposent à des risques accrus. Selon le Comité des Nations Unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes, ces facteurs incluent le racisme institutionnel, la marginalisation sociale et économique et le manque d’accès aux logements abordables qui permettraient aux femmes de sortir plus rapidement des relations violentes. Les forces policières ont souvent été incapables de mettre fin à la violence faite aux Autochtones, et certains de leurs membres ont été impliqués (et même accusés) dans des cas de voies de fait et d’agressions sexuelles.
Des organisations de défense des droits humains comme Amnistie internationale et Kairos se sont aussi dites inquiètes de l’extraction des ressources naturelles dans les territoires autochtones, où l’afflux de travailleurs saisonniers, d’argent, alcool et de drogues génèrent un risque accru, chez les femmes autochtones, d’être harcelées et agressées par les hommes. En tant qu’environnementalistes, nous dénonçons souvent les impacts que l’industrie minière et l’extraction de gaz et pétrole ont sur la faune et les écosystèmes, mais passons sous silence les conséquences sociales néfastes sur les communautés autochtones, notamment les femmes. Les recherches d’Amnistie internationale sur l’impact du boom de développement de l’extraction de ressources naturelles dans la région de Peace River, au nord de la Colombie-Britannique, a mis en évidence un nombre préoccupant d’agressions sur des femmes et des jeunes filles autochtones, incluant « des cas de violence intrafamiliale, des agressions de divers degrés de violence commis par des étrangers, des offres non sollicitées de drogue et d’argent en échange de faveurs sexuelles, des viols et de viols collectifs. »
Ces histoires nous déchirent, mais la réponse des Autochtones a de quoi nous donner de l’espoir. Un de ces efforts remarquables est la campagne Moose Hide, un mouvement grandissant d’hommes autochtones et non-autochtones dont le but est de mettre un point final à la violence infligée aux femmes et aux enfants grâce à l’éducation et à l’accompagnement, tout en encourageant les hommes à développer des relations saines avec les femmes.
La campagne Moose Hide a été lancée en Colombie-Britannique par une jeune femme autochtone, Raven Lacerte et son père Paul. Avec la collaboration des chasseurs autochtones, ils ont distribué plus de 250 000 insignes carrés de leur campagne dans des communautés partout au Canada, encourageant les hommes à les porter comme preuve de leur engagement à assumer la responsabilité de leurs actes et à rejeter la violence. Ce qui rend cette campagne particulièrement émouvante, c’est que Raven et son père ont fait les premiers insignes avec la peau d’un orignal qu’ils ont chassé près de la tristement célèbre Autoroute des Larmes qui relie Prince George à Prince-Rupert, et où des douzaines de femmes autochtones ont disparu ou ont été assassinées.
L’enquête sur la crise de femmes et jeunes filles autochtones assassinées et disparues est attendue depuis longtemps, et elle témoigne du travail acharné et du leadership des femmes et des communautés qui l’ont réclamée pendant des décennies. Cette enquête s’étalera sur plusieurs années et la commission responsable émettra des recommandations au gouvernement, à la police et à d’autres intervenants. Mais nous devons aussi participer à des initiatives comme la campagne Moose Hide, qui mobilise les gens pour guérir ensemble. Ce sont des étapes importantes que tous les Canadiennes et Canadiens devraient franchir si l’on veut avancer dans le chemin de la réconciliation.
David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Faisal Moola, directeur de la Fondation David Suzuki pour l’Ontario et le nord du Canada.