Alors que l’administration américaine nie ou minimise la science du climat, des Américains plus avisés ont été récompensés pour avoir proposé des solutions climatiques.
Les économistes William Nordhaus et Paul Romer ont récemment reçu le prix Nobel d’économie pour leurs travaux sur « l’intégration des changements climatiques dans l’analyse macroéconomique à long terme » et sur « l’intégration de l’innovation technologique dans l’analyse macroéconomique à long terme ».
Bien que ce prix ait suscité la controverse, il est éloquent qu’un prix prestigieux ait été décerné à des gens qui proposent des outils pragmatiques d’intervention pour lutter contre une crise urgente que leur propre gouvernement refuse de reconnaître.
Dans les années 1970, M. Nordhaus, professeur à la Yale University, a mis au point un modèle brut pour étudier l’effet de l’activité économique sur le système climatique et des politiques en matière de solutions. À l’aide de ce modèle, il a démontré que l’instauration d’un prix sur la pollution par le carbone contribuerait de manière efficace à réduire les émissions, sans nuire à l’économie. M. Romer, professeur à la New York University et, jusqu’en janvier 2018, économiste en chef et vice-président principal à la Banque mondiale, soutient que les politiques qui favorisent l’éducation et l’innovation et qui incitent les entreprises à développer de nouveaux concepts peuvent stimuler la croissance économique et les solutions novatrices.
C’est là que réside la controverse. Les deux sont des économistes conformistes qui croient que la croissance économique constitue l’objectif ultime d’une société. En ce sens, les deux ont utilisé des modèles mal adaptés à la compréhension des effets de la croissance sur l’environnement. On a critiqué M. Nordhaus pour ne pas avoir compris le modèle utilisé dans le rapport marquant produit par le Club de Rome en 1972, The Limits to Growth, et de ce fait, de l’avoir ignoré.
Plusieurs économistes et autres sont d’avis que la croissance économique est un mauvais outil d’évaluation des progrès d’une société et qu’elle contribue à des enjeux comme les changements climatiques. « Je dirais que ce prix est le dernier baroud d’honneur d’une vieille garde d’économistes qui tentent de préserver l’idée de la croissance à tout prix, a déclaré Julia Steinberger, économiste écologique à l’University of Leeds, en Grande-Bretagne, au magazine Science.
On ne peut néanmoins nier l’influence de Nordhaus et de Romer sur les politiques climatiques et l’économie. Les travaux de Nordhaus sur l’imposition d’un prix sur le carbone sont rigoureux et ont convaincu de nombreux gouvernements de l’adopter.
De plus, l’évaluation que fait Romer des possibilités est encourageante. « Les gens croient que la protection de l’environnement sera si coûteuse et si difficile qu’ils préfèrent ignorer le problème et prétendre qu’il n’existe pas, a t-il lancé à l’annonce du prix Nobel. Lorsque nous nous attaquerons à la réduction des émissions de carbone, nous serons étonnés de constater que cela était moins difficile que nous ne le pensions. »
La situation climatique exige que nous passions à une économie post-croissance, qui vise le bien-être plutôt que l’augmentation de la richesse matérielle.
C’est de cela que nous devrions discuter plutôt que de perdre notre temps dans des débats stériles avec des gens qui nient la science du climat ou le rôle de l’humanité. Le réchauffement mondial confronte notre système économique à des enjeux majeurs. Certains sont d’avis qu’il faudrait rompre avec le capitalisme, d’autres que le capitalisme stimule le genre d’innovations et de changements dont nous avons besoin pour nous sauver du désastre. Des économistes et des penseurs qui se situent entre les deux ont avancé de nombreuses façons d’évaluer les progrès et de développer des systèmes économiques compatibles avec des sociétés durables.
L’ancien économiste à la Banque mondiale Herman Daly a lancé un tout nouveau programme de recherche sur l’économie écologique dans une optique d’« état économique stationnaire ». Dans « La théorie du donut », Kate Raworth démontre que le bien-être humain peut être réalisé dans le cadre des frontières planétaires. La plupart des économistes qui s’inscrivent dans cette ligne de pensée conviennent que la situation climatique exige que nous passions à une économie post-croissance, qui vise le bien-être plutôt que l’augmentation de la richesse matérielle.
Nordhaus et Romer s’adressent à des auditoires conservateurs, mais au moins ils affirment avec conviction que l’humanité est confrontée à une crise que l’on doit résoudre, et proposent des solutions. Certaines de leurs idées, notamment l’imposition d’une taxe sur le carbone, sont essentielles. D’autres s’inscrivent dans un paradigme économique de plus en plus remis en question.
L’obtention d’un prix Nobel par Nordhaus et Romer pour leurs travaux sur le climat illustre une contradiction que l’on constate aux États-Unis — et par le fait dans le monde entier — entre, d’une part, des gens et des organismes (dont de nombreux gouvernements locaux) engagés dans la lutte contre la crise climatique et, d’autre part, un gouvernement national et de nombreuses industries qui ont choisi d’ignorer le problème et, souvent, trompent la population.
Malgré ce que l’on peut penser des travaux de ces économistes et du bien-fondé de leur remettre un prix Nobel, il est encourageant de voir un prix d’économie prestigieux reconnaître des recherches sur les changements et les politiques climatiques qui contribueront à une transition vers une économie alimentée par des sources d’énergie zéro-carbone.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez