Passer du plein écran au plein air
Melissa Lem est médecin de famille à Toronto et œuvre aussi à travers le Canada auprès de communautés rurales et éloignées. Dans son enfance, elle a passé de nombreuses années à parcourir les merveilleux parcs et espaces verts de l’Ontario. En plus d’être membre du corps professoral au département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto, elle est régulièrement invitée à bloguer sur des sujets touchant l’environnement et la santé sur le site web de l’organisme Evergreen et elle participe au magazine télévisé Steven and Chris diffusé par la CBC à titre d’experte en médecine familiale. Nous lui avons demandé de nous expliquer comment le développement de l’enfant bénéficie du contact avec la nature
Vert Santé : Quels problèmes de santé observez-vous chez les enfants qui n’ont pas un lien fort avec la nature? Ces problèmes sont-ils rares?
Dre Lem : Passer du temps dans la nature est essentiel au bon développement de l’enfant, sur le plan psychologique autant que sur le plan physique. Certains chercheurs affirment même qu’une « dose quotidienne de nature » puisse prévenir et traiter de nombreux troubles médicaux.
Les médias nous parlent beaucoup de l’hyperactivité avec déficit de l’attention (ou TDAH), un syndrome atteignant cinq à dix pour cent des enfants au Canada. Que les jeunes soient constamment immergés dans un environnement urbain peut les stimuler de façon excessive — qu’ils soient atteints du TDAH ou non — et peut entrainer des symptômes tels que l’inattention et l’impulsivité. Le fait d’avoir remplacé nos activités récréatives en plein air par des comportements sédentaires d’intérieur contribue fortement à la prise de poids et à l’obésité, desquels souffre maintenant un enfant canadien sur quatre. Les troubles de santé traditionnellement réservés aux adultes — l’hypertension, le diabète et les problèmes liés au cholestérol — sont à la hausse parmi les jeunes canadiens, et le manque d’activités en plein air y contribue fortement.
Cette carence en nature entraine aussi d’autres malaises, dont la myopie, l’asthme, la dépression ainsi que des retards au plan du développement d’habiletés motrices et d’aptitudes sociales.
Vert Santé : Parlez-nous des recherches qui ont exploré ces enjeux.
Dre Lem : Le contact avec la nature offre une foule de bénéfices pour la santé infantile.
Notre contact avec la nature améliore aussi notre santé physique. Certaines études révèlent que les enfants qui passent plus de temps en plein air et qui habitent près d’un parc ont un taux d’activité physique plus élevé. On peut donc comprendre que chez les enfants, la proximité des espaces verts contribue de façon importante au maintien d’un poids normal. De plus, les jeunes exposés de façon régulière aux espaces verts développent une préférence pour les activités récréatives en nature. Quand un enfant peut profiter d’une heure ou plus de temps de jeu libre par jour, la nature offre un environnement propice à la créativité et au développement d’aptitudes sociales.
Vert Santé : Quelles activités un parent peut-il proposer à ses enfants afin de leur permettre de créer un bon rapport avec la nature?
Dre Lem : Il a deux grandes lignes à prendre en compte : l’apprentissage par imitation et l’apprentissage par la participation active de l’enfant. L’une des façons les plus efficaces pour renforcer le rapport entre son enfant et la nature est de minimiser son propre temps devant l’écran en sortant pour profiter du plein air et des espaces verts. L’autre façon est de favoriser un mélange d’activités de plein air supervisées et indépendantes, encourageant ainsi l’enfant à établir et à renforcer son propre rapport avec la nature.
Les activités familiales à l’extérieur, il n’en manque pas! On peut cultiver un jardin ou passer un weekend en camping dans un parc provincial. La cour arrière est elle aussi un espace vert sécuritaire et stimulant pour les jeunes enfants. Encouragez-les à observer les nuages, à se construire un fort, à ramasser de petites pierres ou à s’inventer leurs propres jeux dans la nature. Participer à des activités de bénévolat en plein air orientées vers l’environnement peut aussi aider les jeunes enfants, ainsi que les plus grands, à développer l’estime de soi, à renforcer les liens familiaux et à favoriser des liens d’amitié.
Vert Santé : Que reste-t-il à faire pour convaincre les parents, les médecins et les écoles des bienfaits de développer un rapport plus important avec la nature?
Dre Lem : Pour des adultes habitués à vivre dans un environnement où l’asphalte et le béton définissent le paysage, il n’est pas toujours évident de comprendre les bienfaits qu’apporte un contact plus important avec une nature que l’on connait à peine. Il est essentiel de bien communiquer les bienfaits de ce contact ainsi que de réduire les barrières sociales et économiques relatives à ce changement d’habitudes.
Lors des examens de routine, les médecins doivent ajouter certains conseils concernant le temps que passent les enfants devant leurs écrans vs le temps qu’ils passent en plein air. « Prescrire la nature » pourrait encourager les enfants à passer plus de temps à l’extérieur. Si l’épidémie d’obésité pédiatrique persiste, on estime que cette génération pourrait être la première à vivre moins longtemps que la génération de leurs parents. Cela devrait être assez pour nous faire bouger!
L’auteur Richard Louv nous offre le concept de « troubles déficitaires dus à une carence en nature » (ou nature deficit disorder) pour décrire les problèmes de santé liés à ce phénomène moderne qui sépare nos enfants de la nature. Hautement primé, son livre Last Child in the Woods (publié en anglais) peut servir d’outil important pour les parents et les écoles.
Vert Santé : Comment faire en sorte que nos communautés soient plus « vertes » pour nos enfants?
Dre Lem : Notre environnement physique et culturel doit être adapté pour permettre aux enfants de profiter davantage des milieux naturels, que ce soit pour le temps d’un jeu ou dans leur vie de tous les jours. Les espaces résidentiels à usages mixtes dotés de couloirs verts offrent plus d’occasions pour les enfants d’utiliser la marche ou le vélo pour se rendre à l’école ou à leurs activités. On constate que les espaces verts urbains protégés réduisent les inégalités entre les enfants des familles à faible revenu et ceux des familles à revenu élevé. Les communautés doivent se doter d’aires de jeu qui mettent l’accent sur l’héritage naturel de l’environnement plutôt que de construire des terrains de jeux artificiels.
Nos écoles doivent aussi se mettre au pas. De simples gestes peuvent améliorer l’apprentissage — planter des arbres et ajouter de la pelouse près des fenêtres n’en est que deux exemples. Les espaces verts doivent aussi être intégrés dans les cours d’éducation physique et à la récréation, voire même dans les heures régulières de classe.
Nos gouvernements doivent aussi favoriser l’accès des enfants à la nature, soit en obligeant la création d’espaces verts adaptés aux enfants dans les nouveaux projets de développement urbains, soit en offrant des crédits d’impôt pour l’inscription à des programmes pour enfants basés dans la nature. Nos gouvernements devront aussi favoriser l’accès des familles aux parcs nationaux en s’assurant que les coûts d’entrée conviennent à tous les budgets. L’heure est venue d’investir dans nos communautés afin que les enfants d’aujourd’hui grandissent en plein air et en pleine santé pour qu’ils deviennent les futurs gardiens et protecteurs de notre environnement.