Melissa Lem est un médecin de famille de Toronto, qui sillonne, pour son travail et son plaisir, les régions rurales et éloignées du Canada. Elle enseigne au département de médecine familiale et communautaire de l’Université de Toronto. Elle écrit pour le blogue Evergreen et tient une chronique médicale à l’émission sur l’art de vivre « Steven and Chris » sur le réseau CBC.
Est-ce que les Canadiennes et les Canadiens sont stressés? Comment le stress affecte-t-il leur santé?
Dre Lem : Une étude récente révèle qu’au Canada, plus de 70 des adultes présentent un niveau élevé de stress ; ce niveau grimpe à 90 chez les jeunes adultes. Cela a une influence réelle sur le système de santé et l’économie. En 2011, on a dépensé plus de 42 milliards $ pour les problèmes de santé mentale, en traitements et services de soutien. Les employeurs estiment à 20 milliards $ par année les pertes causées par les maladies reliées au stress. Celles-ci constituent le principal motif de congé de maladie.
La détresse chronique libère un mélange toxique d’hormones et de neurotransmetteurs dans le corps, et le garde ainsi dans un état d’alerte élevé. Une exposition prolongée au cortisol, l’hormone principale du stress, peut altérer le système immunitaire et provoquer du diabète, des maladies cardiaques, l’infertilité et le vieillissement précoce. Si ce stress n’est pas traité, le corps et l’esprit auront l’impression de courir un marathon tous les jours, sans aucun avantage pour la santé.
Quel est le lien entre le stress et le temps passé dans la nature?
Dre Lem : On entend souvent deux explications sur la façon dont la nature peut soulager un cerveau stressé. Selon la première, l’humain a une capacité limitée de concentration. L’environnement urbain rend cette concentration plus difficile, ce qui entraîne fatigue et irritabilité. À l’inverse, la nature laisse le cerveau conscient se reposer, restaure l’attention et diminue l’anxiété.
La deuxième théorie stipule que l’affinité avec la nature a favorisé l’évolution. Les zones d’eau et de végétation permettaient plus facilement de trouver de la nourriture et d’échapper aux prédateurs. Ainsi, les habitants de ces lieux vivaient plus longtemps et étaient moins stressés. Bien que les humains d’aujourd’hui sillonnent des villes où foisonnent les feux rouges et les tours de verre, il est peu probable que leur cerveau s’y soit vraiment adapté.
Des études révèlent que passer du temps dans la nature est plus bénéfique que faire de l’exercice, une activité pourtant reconnue pour atténuer le stress. Je recommande souvent à mes patients d’aller se promener dans la nature pour favoriser leur bien-être physique et mental.
Parlez-nous de découvertes intéressantes à ce sujet.
Dre Lem : Certaines des preuves les plus convaincantes et les plus pertinentes nous viennent du Japon où le shinrin-yoku ou « bain de forêt » est reconnu comme une composante importante d’un mode de vie sain.
Une étude récente a démontré que les adultes qui passaient trois jours en forêt affichaient une hausse marquée de leur niveau de protéines anticancéreuse et de cellules tueuses naturelles, une indication de baisse de stress. Une autre étude a révélé que des jeunes hommes qui passaient 15 minutes assis dans un bois plutôt que dans une ville présentaient une importante baisse de leur rythme cardiaque et de leur taux de cortisol salivaire.
Dans un environnement urbain, les employés de bureau dont la fenêtre donne sur des arbres et des parterres de fleurs se disent plus heureux au travail et dans leur vie personnelle. La multiplication des espaces verts dans nos villes nous rendrait tous plus heureux et en meilleure santé.
Que peuvent faire les gens et les entreprises?
Dre Lem : Une redéfinition de nos espaces mentaux et physiques nous permettrait de nous rapprocher de la nature en ville. Les citadins peuvent facilement vivre de belles micro-expériences dans la nature. Rangez votre téléphone et promenez-vous dans un parc à l’heure du lunch en admirant le paysage. Invitez la nature chez vous. Recréez un petit écosystème à la maison de façon à apprécier la verdure au lieu de passer du temps devant un écran. Les entreprises peuvent intégrer des éléments naturels dans leurs locaux et appuyer des projets verts à l’extérieur. Les employeurs devraient encourager les pauses vertes qui favorisent la santé. Par exemple, ils pourraient rembourser à leurs employés leur accès aux parcs provinciaux et à des attractions écologiques urbaines. Ce genre d’investissement serait rentable pour la santé de l’entreprise et de la collectivité.
Avez-vous de petits trucs pour ceux qui trouvent le plein air compliqué?
Dre Lem : Le secret, c’est d’apporter des changements durables qui cadrent bien avec notre mode de vie. Commencez par de petites choses, notez vos objectifs dans le détail. Pendant la fin de semaine, faites une promenade au parc avec des amis au lieu d’aller siroter des cafés au lait, ou flânez une demi-heure dans un jardin en rentrant du travail. Ou mieux encore, participez au Défi nature 30×30 de la Fondation David Suzuki pendant le mois de mai. Passez 30 minutes chaque jour dans la nature pendant 30 jours! Vous pouvez aussi faire du bénévolat pour un organisme écologique de votre ville. Cela vous donnera l’occasion de vous plonger dans la nature et de redonner en même temps.
N’ayez pas peur de faire appel à votre entourage pour qu’il vous encourage. Faites votre pause verte chaque jour. C’est bon pour le moral, c’est bon pour le cerveau, et bon pour l’énergie de tout le monde.