À Washington, des milliers de personnes réclament une analyse scientifique des politiques. (Photo: Vlad Tchompalov via Unsplash)

L’an passé, alors que sévissaient un record de chaleur dans le monde, des feux de forêt dévastateurs, des sécheresses, une crise des réfugiés, des pluies torrentielles et des inondations, des manchettes particulièrement alarmantes ont fait la une des médias. « La planète risque de se diriger vers des conditions de “serre” irréversibles », a annoncé la CBC. Des manchettes semblables apparaissent dans d’autres médias.

Comme l’expliquait la CBC, « des scientifiques du Stockholm Resilience Centre, de l’Université de Copenhague, de l’Australian National University et du Potsdam Institute for Climate Impact Research ont déclaré que si l’on franchissait un seuil critique, plusieurs points de bascule pourraient entraîner des changements abrupts. »

L’étude, intitulée « Trajectories of the Earth System in the Anthropocene», confirme que le réchauffement planétaire s’est accéléré au cours de la période actuelle, lorsque les humains sont devenus une force motrice des changements géophysiques de la Terre : l’anthropocène représente le début d’une évolution très rapide du système terrestre, provoquée par l’homme, qui marque le passage du cycle-limite glaciaire-interglaciaire vers des conditions climatiques différentes, plus chaudes et une biosphère profondément transformée.

Au-delà d’une hausse de 2 oC de la température mondiale au-dessus des niveaux préindustriels, des réactions biogéophysiques se déclencheront dans le système terrestre et accéléreront le réchauffement à une intensité plus grande que celle que nous connaissons actuellement.

L’étude, publiée dans Proceedings of the National Academy of Sciences, comporte un volet particulièrement troublant. Elle prévoit en effet qu’au-delà d’une hausse de 2 oC de la température mondiale au-dessus des niveaux préindustriels, des réactions biogéophysiques se déclencheront dans le système terrestre et accéléreront le réchauffement à une intensité plus grande que celle que nous connaissons actuellement.

Si l’on franchit le seuil planétaire qui conduit à la voie d’une Terre sous serre, il sera très difficile d’accéder à un niveau de stabilisation, quelles que soient les mesures prises par les sociétés humaines.

Trajectoire du système terrestre dans l’anthropocène

Toute hausse supérieure à 2 oC risque de déclencher des éléments perturbateurs « qui auront pour effet d’accroître encore plus les températures et d’activer d’autres éléments perturbateurs dans un effet domino qui fera augmenter toujours plus les températures du système terrestre ». Il découlerait de cette situation « des risques graves pour la santé, l’économie, la stabilité politique (en particulier dans les pays les plus vulnérables sur le plan climatique) et, ultimement, l’habitabilité de la planète pour la race humaine.

Un phénomène bien connu de boucle de rétroaction se produit lorsque la fonte des glaces polaires et de l’ère glaciaire provoque l’exposition de terres sombres et d’eau qui absorbent davantage de chaleur que la glace et la neige, accélérant ainsi le réchauffement et la fonte des glaces. Selon les chercheurs, ces conséquences ne sont pas les seules. “Si le Groenland et la calotte glaciaire de l’ouest de l’Antarctique fondent, la dessalure et le refroidissement des eaux de surface environnantes pourraient grandement affecter la circulation océanique”.

Si l’on franchit le seuil planétaire qui conduit à la voie d’une Terre sous serre, il sera très difficile d’accéder à un niveau de stabilisation, quelles que soient les mesures prises par les sociétés humaines

L’ampleur, la direction et les conséquences du phénomène de rétroaction dépendent de l’importance du réchauffement et du type de rétroaction en cause. Par exemple, une forte émission de carbone dans l’atmosphère causée par de vastes incendies de forêt pourrait contribuer au réchauffement, causant ainsi une augmentation du nombre et de l’ampleur des incendies. Certains phénomènes sont plus complexes, notamment les effets du dioxyde de carbone sur les plantes.

“Le soi-disant verdissement de la planète, lié à la croissance accrue des plantes en raison de la concentration de CO2 dans l’atmosphère, a contribué au cours des dernières décennies à l’augmentation des puits de carbone. Toutefois, la hausse du CO2 dans l’atmosphère a pour effet d’augmenter la température. Or, la chaleur diminue la capacité de photosynthèse des feuilles. On assiste aussi à d’autres rétroactions, comme l’augmentation de la respiration microbienne causée par le réchauffement du sol, qui provoque une hausse des émissions de CO2.”

L’étude est extrêmement troublante. Cependant, la couverture médiatique omet ou minimise souvent un élément crucial : les solutions que le rapport met de l’avant pour atteindre un niveau de stabilisation. “Cela exigerait des réductions draconiennes des émissions de gaz à effet de serre, la protection et l’intensification des puits de carbone dans la biosphère, des efforts pour retirer le CO2 de l’atmosphère, possiblement la gestion des radiations solaires et l’adaptation aux effets inévitables du réchauffement qui sévit déjà.”

La solution aux changements climatiques passe par le pouvoir, l’argent et la volonté politique.

Simon Lewis

Parce que notre système socioéconomique est “basé sur une croissance économique intense en carbone et sur la surexploitation des ressources”, les auteurs de l’étude soutiennent que “tous les changements sont importants, qu’ils visent la démographie, la consommation, le comportement, les attitudes, l’éducation, les institutions et les technologies intégrées socialement.”

Ils nous avertissent aussi que “si l’on franchit le seuil planétaire qui conduit à la voie d’une Terre sous serre, il sera très difficile d’accéder à un niveau de stabilisation, quelles que soient les mesures prises par les sociétés humaines.”

Les décisions que nous prendrons au cours des dix prochaines années détermineront notre avenir et celui de nos enfants et petits-enfants.

Autrement dit, nous devons agir maintenant. Les décisions que nous prendrons au cours des dix prochaines années détermineront notre avenir et celui de nos enfants et petits-enfants. Nous subissons déjà un important réchauffement climatique et sommes témoins de ses conséquences. Il n’est toutefois pas trop tard pour changer de cap.

Comme le souligne Simon Lewis, professeur de sciences des changements planétaires au University College London et à l’University of Leeds, “le diagnostic du réchauffement planétaire et de ses conséquences relève de la science. Par contre, la solution aux changements climatiques passe par le pouvoir, l’argent et la volonté politique.”

Nous devons tenir tête au secteur des combustibles fossiles et aux climatosceptiques. Pendant trop longtemps, nous avons négligé de poser les gestes nécessaires. Nous n’avons plus de temps à perdre !

 

Traduction : Monique Joly et Michel Lopez