Un grand nombre de campagnes environnementales des cinq dernières décennies avaient pour objectif de sensibiliser la population aux espèces menacées vivant sur des territoires sauvages et éloignés. Au Canada, on a porté une attention particulière aux grosses bêtes photogéniques qui ont une importance culturelle. L’attention était encore plus forte lorsque les campagnes utilisaient des slogans mémorables, des autocollants rigolos et d’adorables toutous en peluche. Cette stratégie a souvent porté ses fruits.
Cependant, au cours des dernières années, des bestioles plus petites, qui souvent croisent notre chemin, ont survolé l’actualité : les abeilles. Il y a de ça près de dix ans, des apiculteurs d’Europe et d’Amérique du Nord ont commencé à observer un important déclin dans les populations d’abeilles. Les abeilles ont vu la plus grande partie de leur habitat naturel reculer devant l’urbanisation et l’agriculture industrialisée. Sans compter le stress additionnel des sécheresses et des hivers rudes causé par les changements climatiques. Ces menaces, additionnées à la prolifération des maladies et des insectes nuisibles ainsi qu’à l’utilisation de pesticides tels que les néonicotinoïdes, ont provoqué des pertes sans précédent pour les apiculteurs. (Puisque les abeilles et d’autres insectes sont des fournisseurs de services écologiques comme la pollinisation, il est insensé qu’ils deviennent victimes d’une guerre visant à éliminer ou à maîtriser quelques éléments nuisibles.)
Le déclin de l’abeille a fait les nouvelles en raison du délicieux miel que l’insecte fabrique, mais davantage en raison du fait qu’elle est un pollinisateur. Près des trois quarts des plantes à fleurs et plus d’un tiers des cultures vivrières mondiales dépendent des pollinisateurs — des abeilles, des papillons aux colibris et les chauves-souris. Ainsi, des gouvernements partout dans le monde ont élaboré des stratégies en vue de les protéger, dont celui de l’Ontario qui a récemment proposé un plan d’action pour préserver la santé des pollinisateurs.
Au Canada, l’attention publique se tourne principalement vers l’abeille domestique européenne productrice de miel, mais la recherche indique que la crise est beaucoup plus étendue qu’elle n’y paraît : des centaines d’espèces sauvages moins connues seraient également touchées.
Des près de 800 espèces d’abeilles sauvages au Canada, plus de 90 % ont un mode de vie « solitaire » plutôt que d’appartenir à de larges colonies. Les deux tiers nichent au sol, dont les bourdons et les abeilles fouisseuses qui fabriquent leur nid à même le sol ou sous des feuilles ou des pierres. Les autres habitent dans des cavités, comme les abeilles maçonnes et les abeilles charpentières, qui se glissent dans le creux de tiges, de brindilles ou de bûches.
Malgré que l’abeille à miel fait les gros titres et qu’on lui attribue la pollinisation de la majeure partie des fleurs et des cultures, les études démontrent que les abeilles sauvages sont de deux à trois fois plus efficaces comme pollinisatrices, et que certaines, comme l’abeille maçonne, le sont 80 fois plus.
La bonne nouvelle est que la crise de l’abeille à miel a provoqué de l’intérêt pour tous les pollinisateurs, poussant ainsi des milliers de groupes et de citoyens partout sur la planète à leur créer de nouveaux espaces — des « hôtels » pour abeilles sauvages, des ruches sur les toits et des jardins pour pollinisateurs dans les parcs et les cours d’école.
Plus nos communautés se développent, plus l’habitat des pollinisateurs est morcelé en territoires détachés qui brisent les routes naturelles. La connexion des réseaux d’habitats en milieu urbain devient fascinante. Le Oslo’s Bumblebee Highway, le Seattle’s Pollinator Pathway et le Hamilton’s Pollinator Paradise sont tous de grands projets locaux.
L’établissement d’un corridor urbain pour les pollinisateurs est au cœur même du projet Homegrown National Park Project (seulement en anglais) de la Fondation David Suzuki, qui depuis 2013 a créé près d’une cinquantaine d’îlots de pollinisation le long d’un ruisseau qui est maintenant enfoui sous Toronto — allant de quelques plantes clandestines à un réseau de bacs à fleurs dans les écoles, les cafés, les églises, les parcs et les cours.
Ce printemps, la Fondation lancera un grand projet pancanadien d’autoroute pour papillons (en anglais seulement) afin d’inspirer des innovations urbaines pour aider les abeilles, et la création de corridors de quartiers pour les pollinisateurs, et ce, partout au pays. À l’aide de vidéos, de conseils et d’autres ressources, le projet présentera des initiatives qui rapprochent maison et nature, une plantation aidant les pollinisateurs après l’autre.
Vous pouvez faire partie de ce mouvement en plein essor afin de protéger les pollinisateurs. Allez faire un tour à votre bibliothèque, ou consultez le site davidsuzuki.org/pollinators (en anglais) pour en apprendre davantage sur l’étonnante diversité des abeilles sauvages et des pollinisateurs de votre région. Et pendant que vous y êtes, découvrez les fleurs et les arbustes préférés de ces espèces, qui pourraient facilement s’adapter à votre cours ou à votre balcon. Puis regardez ce que font les groupes locaux.
Vous voulez démontrer à quel point vous aimez les abeilles sauvages? Créez un sanctuaire pour les insectes qui nichent au sol dans votre cour ou votre jardin en laissant un coin de terrain dénudé et exposé au soleil. Ajoutez-y quelques tiges et branches creuses ainsi que quelques débris de bois pour ceux qui préfèrent les cavités. Et assurez-vous qu’on les laissera tranquilles pendant tout l’hiver.
Est-ce que le bruit dans les médias et les campagnes remplies de jeux de mots sauveront les abeilles? Seul le temps en sera témoin. D’ici là, nous pouvons contribuer en accueillant les abeilles dans nos cours et nos voisinages.
David Suzuki est un scientifique, un communicateur, un auteur et est un des cofondateurs de la Fondation David Suzuki. Écrit à l’aide du spécialiste des communications et apiculteur urbain de la Fondation David Suzuki, Jode Roberts.