Si nous poursuivons l’extraction et l’utilisation des énergies fossiles au rythme actuel, nous n’avons aucune chance d’atteindre les objectifs de l’Accord de Paris 2015 sur les changements climatiques. Pour assurer à l’humanité un avenir sain et prometteur, les gouvernements doivent respecter leur engagement de limiter d’ici 2050 le réchauffement mondial à 1,5 ou 2 degrés Celsius au-dessus des niveaux préindustriels. Selon de nombreux experts, pour atteindre cet objectif, jusqu’à 80 pour cent des réserves de pétrole, de charbon et de gaz naturel doivent rester dans le sol. C’est pourquoi les combustibles fossiles représentent un mauvais investissement, ce que les analystes appellent des « actifs improductifs ».
Il est préférable pour la planète et vos finances d’investir dans des actifs qui profitent à l’humanité — portefeuilles d’énergies vertes ou mesures écoénergétiques pour votre résidence ou votre entreprise — plutôt que d’engloutir votre argent dans des secteurs dépassés qui mettent en péril le genre humain.
Comme nous vivons encore dans un monde qui carbure aux combustibles fossiles, il est difficile de ne pas investir dans des infrastructures et des sources d’énergie sale. Pour les particuliers qui investissent dans des fonds communs de placement, il n’est pas facile de trouver des portefeuilles durables qui excluent les actions dans les énergies fossiles, mais il est possible d’y parvenir, surtout que la demande en ce sens augmente. Bien que les choix d’investissements individuels et la demande croissante pour des fonds sans énergies fossiles puissent faire une différence, le véritable défi réside dans les placements institutionnels.
Nombre de banques et de conseillers financiers mettent leurs clients en garde contre les risques des portefeuilles liés aux énergies fossiles, risques engendrés par les accords climatiques, la réglementation gouvernementale, la baisse de la demande et la volatilité des marchés. Certains, comme la HSBC, suggèrent de se retirer du secteur, mais notent que certains investisseurs peuvent choisir de ne retirer leur argent que des industries les plus instables, notamment le charbon et le pétrole, ou de continuer d’y investir pour pouvoir influencer les décisions des entreprises.
Le Conseil des gouverneurs de l’Université McGill a avancé cet argument pour rejeter un vaste appel à retirer les quelque 70 millions $ de son fonds de dotation de 1,3 milliard $ investis dans les énergies fossiles. En fait, l’université n’y voit aucun problème. Dans un rapport au conseil, le comité consultatif de McGill chargé des questions de responsabilité sociale a écrit : « Le comité est convaincu que les retombées positives du secteur des énergies fossiles compensent pour l’instant les préjudices. » Face à cette décision, plusieurs anciens de McGill, dont Karel Mayrand, directeur général pour le Québec de la Fondation David Suzuki, ont renvoyé leur diplôme.
L’incapacité des étudiants, du corps professoral, du personnel et de la population à convaincre les conseils des universités McGill, British Columbia, Concordia, Dalhousie et Calgary à se retirer du secteur illustre la proximité des grands investisseurs et du secteur des combustibles fossiles. Cet exemple illustre aussi le rôle majeur que chacun peut jouer pour inciter les institutions et organismes à tourner le dos à ce secteur. Bien que ces campagnes n’aient pas convaincu les conseils de désinvestir, du moins pas encore, elles ont attiré l’attention sur les placements dans les énergies fossiles.
La campagne de désinvestissement a néanmoins permis de remporter plusieurs victoires. De plus en plus d’universités, de banques, de régimes de retraite, de syndicats, d’églises, de villes, de sociétés d’assurance, de particuliers et même le journal britannique The Gardian ont retiré des fonds, ce qui contribue encore plus à la précarité des placements dans les énergies fossiles.
La Fondation David Suzuki travaille avec Genus Capital afin de s’assurer qu’aucune somme de son fonds de dotation ne soit investie dans des fonds liés aux énergies fossiles et pour élaborer des stratégies d’investissement éthique. Notons que ces choix n’ont aucunement affecté son rendement. En fait, Genus a déclaré que « les portefeuilles sans énergies fossiles se sont révélés plus rentables que les portefeuilles conventionnels ».
Selon 350.org, la principale force derrière le mouvement de désinvestissement, « à la fin de 2015, plus de 500 organismes, totalisant un actif de plus de 3,4 trillions $, s’étaient engagés d’une manière ou d’une autre sur la voie du désinvestissement ».
Le désinvestissement ne fait que commencer. Pour 350.org, réinvestir dans « les énergies renouvelables, les énergies plus efficaces, l’atténuation des impacts climatiques et les infrastructures d’adaptation » contribue à nous détourner des énergies fossiles, en plus de se révéler avantageux sur le plan financier. Outre les portefeuilles d’actions, il peut être rentable et avisé d’investir dans des initiatives qui aident le climat, notamment dans la construction d’immeubles plus écoénergétiques. Selon The Guardian, « un rapport prudent a établi qu’un investissement de 400 000 $ pour améliorer l’efficience d’un immeuble de 100 000 pieds carrés pourrait générer une diminution des coûts d’énergie de 1,50 $ par pied carré », soit des économies de 150 000 $ par année!
L’exploitation et l’utilisation massives des combustibles fossiles sont dépassées. Il n’y a aucune raison de placer son argent dans des entreprises qui détruisent les systèmes naturels qui permettent la vie humaine. Il existe cependant de multiples raisons de cesser de leur donner de l’argent. Il est temps d’investir dans un avenir plus sain.
David Suzuki est scientifique, vulgarisateur, auteur et cofondateur de la Fondation David Suzuki. Article écrit en collaboration avec Ian Hanington, rédacteur en chef à la Fondation David Suzuki.