Plus nous tarderons à nous attaquer aux problèmes environnementaux, plus ils seront difficiles à résoudre. Même si nous connaissons les changements climatiques et leurs conséquences depuis longtemps et que nous voyons leurs effets s’aggraver au quotidien, nos élus continuent de promouvoir et d’approuver des infrastructures d’énergies fossiles comme si nous avions encore tout notre temps pour freiner le réchauffement de la planète.
On nous avait pourtant prévenus. En 1992, une majorité des lauréats de Prix Nobel encore vivants et plus de 1 700 scientifiques parmi les plus en vue au monde ont signé un document remarquable intitulé « World Scientists’ Warning to Humanity ».
Cet avertissement commençait ainsi : « Les humains et le monde naturel sont sur un cap de collision. L’activité humaine inflige à l’environnement et aux ressources essentielles des dommages graves, souvent irréversibles. Si nous n’agissons pas, bon nombre de nos pratiques mettront sérieusement en péril l’avenir de l’humanité, ainsi que celui du monde végétal et animal. Elles risquent même d’altérer le monde vivant au point où nous serions incapables de conserver la vie dans son état actuel. Pour éviter la collision, il est urgent que nous apportions des changements fondamentaux. »
Le document énonce ensuite les zones critiques dans lesquelles cette collision risquait et risque encore de se produire : l’atmosphère, les réserves d’eau, les océans, le sol, les forêts, l’extinction d’espèces et la surpopulation. Au cours des 25 années qui ont suivi la publication du document, les problèmes ont empiré.
La suite du document est encore plus alarmante : « Il ne reste plus que quelques décennies, voire une seule avant que l’on perde toute chance d’éviter les périls qui nous menacent et que diminuent considérablement les perspectives d’avenir de l’humanité. Nous, membres éminents de la communauté scientifique mondiale, mettons en garde le monde contre ce qui nous attend. Pour éviter la misère humaine à grande échelle et la mutilation irréversible de notre habitat sur cette planète, nous devons radicalement modifier notre gestion de la Terre et de la vie sur Terre. »
Aujourd’hui, nous battons sans cesse des records mensuels et annuels de températures moyennes ; les événements climatiques extrêmes sont plus fréquents et plus graves ; les pays sont submergés de réfugiés ; les boucles de réaction climatiques et autres phénomènes ont atteint un point de rupture. Aujourd’hui, il est plus que jamais urgent d’agir.
Le document de mise en garde suggère cinq mesures à adopter immédiatement. C’était il y a une génération. Elles peuvent encore aider à prévenir le pire :
1) « Nous devons contenir les activités néfastes pour l’environnement afin de restaurer et de protéger l’intégrité des systèmes naturels dont nous dépendons. » Le texte cite les émissions de gaz à effet de serre, ainsi que la pollution de l’air et de l’eau. Il souligne également la nécessité de contrer la déforestation, la dégradation et la réduction des terres agricoles, de même que l’extinction d’espèces végétales et animales.
2) « Nous devons gérer plus efficacement les ressources essentielles au bien-être humain. » Ce point va de soi. Nous devons exploiter les ressources limitées de façon nettement plus efficace pour éviter qu’elles ne s’épuisent.
3) « Nous devons stabiliser la population. Nous y parviendrons seulement si tous les pays reconnaissent l’importance d’améliorer les conditions sociales et économiques et d’adopter des mesures de planification familiale volontaire efficaces. »
4) « Nous devons réduire la pauvreté et éventuellement l’éliminer. »
5) « Nous devons assurer l’égalité entre les femmes et les hommes, et reconnaître aux femmes leur liberté de choix en matière de reproduction. »
Le document reconnaît la responsabilité des pays développés dans la majeure partie de la pollution mondiale. De ce fait, ceux-ci doivent réduire considérablement leur surconsommation et apporter un soutien technique et financier aux pays en développement. Ce n’est pas une question d’altruisme, mais de protection de nos intérêts, car nous partageons tous la même biosphère. Les pays en développement doivent prendre conscience que la dégradation environnementale constitue la plus grande menace à leur avenir. De leur côté, les pays riches doivent les aider à emprunter une voie de développement différente. La mesure la plus urgente serait de se doter d’une nouvelle éthique qui affirme notre responsabilité face à nous-mêmes et à la nature et qui reconnaît notre dépendance à la Terre et aux systèmes naturels pour tous nos besoins.
Le texte se termine sur un appel au soutien de tous, scientifiques, dirigeants du milieu des affaires et de l’industrie, leaders religieux et peuples du monde entier. À l’instar de la remarquable encyclique 2015 du pape François sur l’écologie, Laudato Si, la mise en garde des « scientifiques du monde entier » se voulait un moyen de forcer le monde à reconnaître les dangers de la voie empruntée par l’humanité et l’urgence de changer les choses.
Un homme averti en vaut deux! Nous ne pouvons pas nous laisser aveugler par l’argent. Nous devons nous mobiliser, dénoncer et agir pour le bien de l’humanité tout entière.
Traduction : Monique Joly et Michel Lopez