En 2011, nous avons descendu en famille la rivière Hart, au Yukon. C’est l’une des sept rivières intouchées du bassin versant de la rivière Peel, une étendue sauvage de 68 000 kilomètres carrés qui est au cœur d’une bataille juridique depuis de nombreuses années et l’objet d’un débat sur l’aménagement du territoire depuis plus de dix ans. Pendant deux semaines, nous avons pêché dans les eaux claires et vives de la rivière et contemplé les pics de dolomite et de calcaire des monts Ogilvie.
La plupart des Canadiens ne sont jamais allés dans le Nord, encore moins dans le lointain bassin Peel. Par contre, il fascine beaucoup de gens, réconfortés à l’idée que nous avons encore de vastes espaces naturels intouchés où la faune et la biodiversité continuent d’échapper à l’emprise des humains. Des contrées comme le bassin Peel deviennent de plus en plus rares, car l’humain — l’espèce la plus vorace sur terre — continue d’empiéter sur la nature sauvage qui assure la salubrité de son air, de son eau et de sa nourriture.
À l’époque de notre expédition, un processus d’aménagement du territoire du bassin sur six ans arrivait à terme. À la lumière de la recommandation d’une commission indépendante de protéger 80 pour cent du territoire, il semblait que le gouvernement allait garder la plus grande partie de la région exempte de routes et d’exploitation industrielle. Je ne pouvais pas m’imaginer que, cinq ans plus tard, le sort du bassin Peel serait encore débattu devant les tribunaux.
Le gouvernement du Yukon précédent a écarté la proposition de la commission et a mis de l’avant son propre plan d’ouvrir au moins 71 pour cent de la région aux routes, aux mines et aux forages. Il s’agissait d’industrialiser le bassin Peel, de ne valoriser cette région sauvage que pour les richesses de son sous-sol. Pour contrer cette décision, le recours aux tribunaux était la seule solution qui restait aux peuples autochtones et aux organismes environnementalistes pour protéger la région.
Les Premières Nations des Na Cho Nyäk Dun, Tr’ondëk Hwëch’in, Vuntut Gwitchin et Tetlit Gwich’in ainsi que la Société pour la nature et les parcs du Canada et la Yukon Conservation Society s’opposent à la décision du gouvernement depuis ce temps.
Si vous allez au Yukon, vous verrez beaucoup de véhicules qui arborent des autocollants Protect the Peel sur leur pare-chocs. C’est le symbole de la détermination de cette petite population à lutter contre l’abus de pouvoir du gouvernement, de défendre les traités modernes et de protéger la nature sauvage qui fait partie intégrante de l’identité nordique.
Depuis le 22 mars, la Cour suprême du Canada se penche sur la cause du bassin Peel. Un jugement favorable pourrait non seulement protéger le bassin Peel, mais aussi les droits des Premières Nations lors de futurs plans d’aménagement du territoire. Pour cette raison, la cause sera maintenue malgré la récente élection au Yukon d’un gouvernement qui semble, en apparence, plus ouvert à la protection.
Alors que nous continuons d’altérer les propriétés physiques, chimiques et biologiques de notre planète en brûlant des combustibles fossiles, la nature intouchée est l’une des seules choses qui peuvent nous sauver. Les espaces sauvages vierges sont une assurance qui couvre notre ignorance collective. La diversité des écosystèmes de notre planète permet aux animaux — et aux humains — d’être résilients face aux perturbations. S’il est protégé, le bassin versant de la Peel constituerait la partie nord d’un projet de corridor faunique qui descendrait vers le sud jusqu’au parc de Yellowstone aux États-Unis. Ce serait un refuge pour les espèces migratoires comme le caribou, l’orignal, le loup et le grizzly afin qu’ils puissent adapter leur habitat au réchauffement de la planète.
La cause Peel s’inscrit dans la relation que les Premières Nations ont avec la terre. Par exemple, le troupeau de caribous de la Porcupine est une ressource vitale pour le peuple Gwich’in au Yukon, dans les Territoires du Nord-Ouest et en Alaska depuis des dizaines de milliers d’années. Il lui assure sa subsistance et définit son identité.
Le troupeau passe l’hiver dans le bassin Peel avant d’entreprendre la plus longue migration terrestre de mammifères vers ses aires de mise bas en Alaska, une région maintenant menacée par la politique de forage à outrance du gouvernement Trump. Engagés dans de nombreuses autres batailles comme celle-ci dans le monde, les peuples autochtones se tiennent debout face à l’exploitation destructrice des ressources. Malheureusement, nos gouvernements coloniaux ne sont pas encore prêts à les écouter.
Avec à-propos, l’audience de la Cour suprême a eu lieu lors de la Journée mondiale de l’eau. Les habitants du Yukon s’efforcent depuis 30 ans de protéger les eaux pures et nourricières du bassin versant de la rivière Peel. Une victoire en Cour suprême serait une victoire pour l’eau, pour la nature sauvage et pour notre avenir.
Traduction : Michel Lopez et Monique Joly