Dunes de sable de Dubaï, silhouette de Dubaï au coucher du soleil. (Photo : Nancy Pauwels)

Le 20 novembre dernier, le premier ministre Mark Carney a signé un « accord sur la promotion et la protection des investissements étrangers » (APIE) avec les Émirats arabes unis. C’est profondément troublant et légalement injustifiable. Un tel accord est incompatible avec les obligations nationales et internationales du Canada en matière de droits de la personne et de climat.

Les Émirats arabes unis dépendent de combustibles fossiles polluants qui influencent le climat, et leur système de gouvernance libère les investissements de toute responsabilité, entraînant ainsi une exploitation environnementale systémique. Son modèle économique est fondé sur l’extraction agressive de pétrole et de gaz et les mégaprojets à forte intensité de carbone. Ces secteurs sont l’épine dorsale de la richesse et du pouvoir politique des Émirats arabes unis.

Le personnel migrant, majoritairement originaire d’Asie du Sud et du Sud-est, subit les conséquences environnementales de ce modèle de développement en vivant du stress thermique chronique, une exposition à des lieux de travail dangereux et la dégradation écologique, qui fait partie intégrante de la construction rapide et de l’expansion de l’énergie polluante.

Human Rights Watch a documenté (source en anglais) que le personnel travaillant à l’extérieur est régulièrement soumis à une chaleur extrême sans protection adéquate, et ce même si les changements climatiques amplifient les dangers croissants associés à la température et au taux d’humidité. Le principal instrument réglementaire des Émirats arabes unis, une « interdiction de travailler à la mi-journée » somme toute limitée, ne tient pas compte de l’exposition cumulative à la chaleur ou de l’interaction meurtrière de la chaleur et du taux d’humidité. Les données montrent que les risques de lésions rénales, de déshydratation chronique et de décès par coup de chaleur sont accrus chez le personnel migrant. La protection des investissements canadiens qui augmentent les flux de capitaux dans les secteurs à forte intensité de carbone rend le Canada complice de ces préjudices en vertu du droit international de l’environnement et des droits de la personne.

Selon Human Rights Watch (source en anglais) et plusieurs rapporteuses et rapporteurs spéciaux de l’ONU, le régime de travail des Émirats arabes unis permet des conditions de travail forcé : vol de salaires, frais de recrutement illégaux, confiscation de passeports, contraintes sévères à la mobilité professionnelle et l’ombre persistante du système de la kafala, qui lie le personnel migrant à un employeur en particulier pendant leur séjour au pays. Les employeurs peuvent déposer des accusations de « fuite » comme mesure de représailles, ce qui criminalise le personnel fuyant les mauvais traitements. Les syndicats indépendants et la négociation collective sont interdits, éliminant ainsi tout moyen pour le personnel de contester les conditions de travail dangereuses ou les dommages environnementaux.

Abandonner un partenaire problématique comme les États-Unis pour passer à une autocratie pétrolière n’est pas un progrès, c’est une régression déguisée en diversification.

Pour le personnel local, majoritairement des femmes (sources en anglais), la situation est encore plus désastreuse, car elles sont victimes de confinement et de sévices physiques et sexuels, leur travail n’est pas rémunéré et elles ne sont pas protégées par les principales protections relatives au travail. Il s’agit de lacunes structurelles que l’État a choisi de ne pas combler.

Le Canada ne peut ignorer ces réalités. En vertu des conventions de l’Organisation internationale du travail sur le travail forcé, des obligations habituelles en matière de droits de la personne et des nouvelles normes relatives aux préjudices professionnels liés au climat, les États doivent éviter de conclure des accords économiques qui favorisent les violations des droits ou en bénéficient. La conception même d’un APIE protège les investissements et limite l’application réglementaire de l’État d’accueil, exactement le contraire de ce qui est nécessaire pour protéger le personnel migrant ou réduire les risques environnementaux.

Au lieu de permettre une application plus rigoureuse des normes relatives au travail ou à l’environnement, un APIE protège le capital canadien des futurs durcissements de la réglementation aux Émirats arabes unis, affaiblissant ainsi l’obligation du Canada d’assurer une diligence raisonnable dans les chaînes d’approvisionnement transnationales.

Une réforme est peu probable aux Émirats arabes unis. Le pays est une fédération de monarchies où la participation démocratique est pratiquement inexistante. La société civile est fortement restreinte, les organisations syndicales (source en anglais) indépendantes sont interdites et la dissidence, y compris la défense de l’environnement, subit de la surveillance et de la répression, et l’incarcération est même envisageable en vertu de lois vagues sur la sécurité nationale. L’absence de responsabilité démocratique est un élément central au maintien de normes régressives en matière de travail et d’environnement. La conclusion d’un accord d’investissement avec un tel État récompense l’autocratie et confère une légitimité internationale aux pratiques auxquelles le Canada prétend s’opposer.

D’un point de vue géopolitique, abandonner un partenaire problématique comme les États-Unis pour passer à une autocratie pétrolière n’est pas un progrès, c’est une régression déguisée en diversification. Le modèle des Émirats arabes unis ne favorise pas la stabilisation climatique, la protection des droits de la personne ou le développement équitable. Cet APIE renforce l’intégration du Canada dans les chaînes de valeur mondiales à forte intensité de carbone qui minent les droits individuels.

Bref, le fait de conclure un APIE avec les Émirats arabes unis expose le Canada à un risque sérieux non seulement pour sa réputation, mais également sur le plan légal et moral. Cet accord lie le Canada à un régime qui traite le personnel migrant comme un bien non durable, qui repose sur l’expansion des combustibles fossiles comme moteur économique central et qui détruit l’influence de la société civile nécessaire pour faire respecter les droits relatifs à l’environnement et au travail. Le Canada ne devrait pas légitimer ce modèle, et encore moins protéger les investissements canadiens qui y sont faits, sans conditions exécutoires et contraignantes exigeant des réformes fondamentales, notamment la protection complète du personnel, la liberté d’association, des normes de sécurité du travail en cas de chaleur extrême, la protection du personnel domestique et de véritables mesures de protection de l’environnement.

Si le gouvernement fédéral prend au sérieux les droits de la personne, la justice environnementale et le leadership climatique, il doit veiller à ce que tout accord n’encourage pas l’exploitation. Sinon, ce n’est pas un partenariat. C’est une complicité dans l’exploitation humaine et environnementale à l’échelle mondiale.