Forêt de la guérison à Rawdon : terres familiales, communauté et réconciliation autochtone

Cette année, nous célébrons les dix ans de l’Initiative nationale des forêts de la guérison à travers le Canada, sur l’île de la Grande Tortue. Créées en 2015, les forêts de la guérison ont pour objectif de développer des espaces en nature afin de les transformer en lieu d’apprentissage, de partage et de réflexion sur l’histoire du Canada et les conséquences des pensionnats autochtones.

Depuis dix ans, plusieurs de ces forêts ont vu le jour à travers le pays et sont devenues des endroits précieux, tant pour les allochtones que les autochtones. Des lieux où la bienveillance règne, où l’amour et le respect des uns, des autres et de la nature ne font qu’un.

À l’occasion de ce 10e anniversaire, voici l’histoire d’une des nouvelles forêts de la guérison au Québec : Koinonia, qui veut dire partage, échange et connexion en grec, qui a été créée à Rawdon dans Lanaudière, sur des terres familiales. Grâce à ce projet, la famille fondatrice souhaite accueillir chaleureusement des communautés venues de partout, en soif de partage et de rencontres.

Un rêve de nature, de douceur et de guérison... Sur des terres sacrées

Xavie Jean-Bourgeault est anthropologue, chercheuse et réalisatrice de documentaire. Elle a toujours été fascinée par les cultures, plus particulièrement par celle de ses ancêtres. Après des études et des recherches en anthropologie, le cinéma est devenu son langage. Avec son mari, le cinéaste Guillaume Tremblay, elle a signé L’Heureux Naufrage (2014), Va vers toi (2023) et Terre Promise (2025). Ces films sont pour elle des chemins de guérison et de réconciliation, un dialogue entre mémoire blessée et espérance vivante.

Il y a neuf ans, Xavie et Guillaume ont hérité d’une parcelle de terre familiale dans la région de Lanaudière. Cette acquisition a été une révélation pour elle, qui a compris que cette terre représentait l’essence même de la vie et qu’elle nourrirait profondément son avenir.

Le deuxième documentaire de leur trilogie, Va vers toi, porte sur le développement personnel et l’importance de trouver des réponses en soi plutôt que de les chercher à l’extérieur. En rencontrant près d’une centaine de personnes aux parcours différents, Xavie a compris que ce projet l’amènerait plus loin encore sur le chemin de la réconciliation, au sein de la nature.

Sa quête est simple : donner voix aux peuples premiers et à celles et ceux qui, comme elle, portent encore les traces d’une histoire douloureuse, mais aussi la lumière d’un amour éternel.

Terre d’accueil et de reconnexion

Sur une autre partie des terres familiales, les parents de Xavie accueillent des hommes autochtones du centre de guérison Waseskun depuis sept ans. Le Centre existe depuis 1988 et travaille à la réinsertion sociale d’hommes autochtones, dont certains proviennent de pénitenciers. Ces hommes sont invités à venir effectuer des travaux manuels en matinée (travail dans l’écurie, coupage de bois ou nettoyage de la forêt abandonnée depuis 50 ans) en échange de bons repas et de moments de partage. Cet échange leur permet de reprendre goût à leur liberté tout en se réappropriant le milieu d’où ils viennent.

Depuis le tout début de cette collaboration, c’est une relation d’amitié forte qui s’est construite entre la famille, l’équipe du centre et les autochtones.

Xavie collabore également avec ses parents à prendre soin de cet espace afin de pouvoir offrir l’opportunité à d’autres de pouvoir se déposer en ces lieux de guérison :

Ma terre m’a guéri. Je l’ai chérie, je l’ai embellie, en espérant qu’un jour ça pourra en guérir d’autres.

Grâce au programme de Forêt de guérison de la Fondation David Suzuki, le projet a pu prendre davantage d’ampleur depuis quelques années. La famille a travaillé d’arrache-pied à créer des sentiers balisés pour les adeptes de marche ou randonnée, à bâtir un amphithéâtre à ciel ouvert pour réaliser divers événements permettant la guérison et à créer des ponts pour la transmission des savoirs. Depuis, des relations de confiance se sont consolidées entre allochtones et autochtones : des Aîné.e.s provenant de l’Ouest traversent le pays pour venir faire des cérémonies de purification dans les loges de sudation, partager leurs rituels et d’autres traditions.

Cérémonies de sudation pour suivre le chemin de la guérison

Virginia Fay, de la communauté des Premières Nations Anishnaabe de Saskatchewan, ainsi que son mari Bryce Morrison, de la Nation Métis également en Saskatchewan, se sont rencontrés dans le cadre du travail dans les pénitenciers autochtones. Ils se sont également liés d’amitié avec la famille Jean-Bourgeault. Aujourd’hui, le couple d’Aîné.e.s propose des cérémonies spirituelles dans les loges de sudation (appelés « sweat lodges » en anglais) qui ont été construites de manière collective sur les terres, au bénéfice de tous.tes.

En tant que personne autochtone vivant en milieu urbain, avoir la chance de collaborer avec une famille d’une telle générosité et d’un tel cœur me fait sentir chez moi. Leur vision se reflète dans leur engagement envers la forêt, leurs liens avec les centres autochtones, les cérémonies traditionnelles et leurs actions en faveur de la réinsertion sociale.

Virginia Fay, aînée et porteuse de loge

Le duo reçoit des gens de partout, que ce soient des jeunes autochtones de la région de Montréal, avec une accessibilité plus restreinte à la nature, des ex-détenu.e.s en quête de reconnexion et de guérison, des allochtones curieux.euses, et même des personnes venues des quatre coins du monde, comme c’est le cas notamment d’une communauté autochtone de la Nouvelle-Zélande.

Fay Virginia a d’ailleurs récemment vécu un moment unique avec un ex-détenu autochtone qui n’avait jamais eu l’occasion de vivre cette expérience :

C’était sa première sortie après 40 ans de prison. Lorsqu’il a vécu son premier « sweat lodge » en forêt, l’émotion était palpable. Être accueilli sur ce territoire, entouré de la beauté du paysage et d’une communauté bienveillante, c’est profondément touchant — je l’ai vu dans son regard. Tout ici favorise le partage et la guérison, à tous les niveaux, pour celles et ceux qui cherchent à se reconstruire. Nous sommes vraiment choyé·e·s de pouvoir vivre cela sur ce territoire.

Inauguration de la forêt de guérison Koinonia

En juillet dernier, la famille a reçu environ 150 personnes afin d’inaugurer et de célébrer les lieux. L’événement s’est fait sous forme de grande fête sur une fin de semaine, remplie d’activités, d’art, de cercles de parole, de musique et de traditions afin de célébrer la beauté du monde ainsi que les liens précieux qui nous unissent.

Cette fin de semaine de festivité a marqué le début de futurs projets inspirants. La famille souhaite que l’été prochain, Koinonia devienne un lieu de pèlerinage éducatif, de recueillement en nature, où les gens peuvent venir découvrir les savoir-faire autochtones, l’utilisation des plantes médicinales ou simplement se balader dans ses sentiers. La famille souhaite que ce projet continue à grandir en majorité grâce à l’implication des Aîné.e.s autochtones.

L’essence de ce projet, c’est qu’il soit porté par les Autochtones. Faire les choses à leur place, ce serait répéter les logiques coloniales.

Yves Bourgeault, propriétaire de la terre et partenaire de réinsertion sociale avec le Centre de guérison Waseskun.

Xavie nous parle également de la création d’un tout nouveau camp de vacances pour les jeunes autochtones de la communauté atikamekw de Manawan. Une idée rendue possible grâce au centre d’amitié autochtone de Joliette, qui souhaitait donner une nouvelle opportunité aux jeunes de la région. Pour plusieurs de ces enfants, la nature n’est pas accessible au quotidien – plusieurs ont grandi loin de cette connexion fondamentale à leur racine. Grâce à ce camp de vacances, les enfants peuvent se reconnecter à leur héritage, redécouvrir et expérimenter la forêt et ses bienfaits.

Une forêt de guérison, c’est un lieu de réconciliation. Nous portons tous.tes des blessures, mais aussi des chemins de guérison transmis depuis des millénaires. Ces espaces nous rappellent l’avenir, la beauté de l’humain et l’essence de la connexion.

Xavie souhaite que tout le monde puisse, un jour ou l’autre, connaître les forêts de guérison, et surtout les expérimenter, les incarner et les vivre.

Pour en apprendre davantage sur le projet de la Forêt de guérison Koinonia à Rawdon, découvrez les films documentaires qui en présentent des images inspirantes et donnent la parole à plusieurs sages, dont des Aîné.e.s, qui témoignent de guérison, de réconciliation, de beauté et d’amour. Vous pouvez également communiquer avec Yves Bourgeault, responsable du projet : 450 917-1584.

*L’ensemble des photos ont été prises lors de l’inauguration de la forêt de guérison et peuvent être consultées sur le site web de l’événement.