Environ 150 000 tonnes d’émissions de gaz à effet de serre (GES) seraient évitées et approximativement 200 000 tonnes de CO₂ pourraient être séquestrées dans le sol d’ici 2035 au Canada, si les déchets alimentaires étaient détournés pour favoriser le compostage décentralisé, ou valorisés pour la culture de champignons et l’élevage d’insectes.
Les chercheuses Joan Laur et Louise Hénault-Ethier de l’IRBV de Université de Montréal et du Jardin botanique de Montréal et de l’Institut National de la recherche scientifique (INRS) lancent le projet de recherche Les sciences « omiques » pour boucler la boucle : Optimisation des amendements fertilisants à partir de résidus organiques locaux afin de réduire l’empreinte carbone du système agroalimentaire.
L’objectif? Réduire les émissions de GES, améliorer la production alimentaire et limiter le gaspillage grâce aux approches circulaires.
« Une approche circulaire vise à ce que les déchets des un.e.s soient les ressources des autres, puis que les déchets redeviennent des ressources, contrairement à une approche linéaire qui utilise des biens qui seront jetés après leur première utilisation » explique le chercheur postdoctoral à la Fondation David Suzuki et à l’INRS, Maxime Fortin Faubert.
Une approche circulaire vise à ce que les déchets des un.e.s soient les ressources des autres, puis que les déchets redeviennent des ressources, contrairement à une approche linéaire qui utilise des biens qui seront jetés après leur première utilisation
Maxime Fortin Faubert
Défis actuels
La Terre est actuellement confrontée au réchauffement climatique, à la perte de la biodiversité et à la pollution environnementale. Compte tenu de l’augmentation de la population mondiale, l’accroissement nécessaire de la production alimentaire doit limiter son empreinte carbone.
En effet, le secteur agricole traditionnel exacerbe actuellement les changements climatiques et constitue un fardeau majeur pour les écosystèmes, comme en témoignent les fortes émissions de méthane provenant du bétail, la dépendance aux combustibles fossiles ou encore le recours intensif aux pesticides.
En outre, 13% des émissions nationales de GES au Canada sont liées à la production, au transport, à la transformation et au stockage des aliments. Quant au Québec, les 41% de nourriture qui sont perdus ou gaspillés sont eux aussi responsables des émissions de GES.
Les résidus de céréales des 43 microbrasseries situées à Montréal, par exemple, sont peu recyclés en raison des défis que posent leur entreposage, leur cueillette et leur transport à l’extérieur de la Ville. Il en va de même pour les déchets des entreprises du secteur, comme la boulangerie Jarry ou des fabricants de jus de fruits Loop.
Approche circulaire et génomique
Dans ce contexte, les approches circulaires conduisent à réduire les GES, tout en augmentant la production alimentaire et en limitant le gaspillage. Ainsi, les déchets organiques peuvent être conservés et transformés dans le cadre de l’agriculture urbaine.
Il est possible de bénéficier du marc de café pour faire pousser des champignons chez Champignon Maison ou Blanc de Gris par exemple, plutôt que de le jeter dans la poubelle ou le bac de composte. De la même façon, le fumier d’insectes peut être utilisé pour fertiliser certaines cultures. Louise Hénault-Ethier est ainsi spécialisée dans l’élevage d’insectes dans le cadre de l’économie circulaire et a co-fondé TriCycle, une ferme montréalaise d’élevage d’insectes.
Les déchets contiennent souvent encore des nutriments. Ils peuvent être utilisés en tant que fertilisants ou comme amendements afin d’augmenter les propriétés du sol, en favorisant la rétention d’eau ou la meilleure circulation des éléments nutritifs dans la terre.
Maxime Fortin Faubert
Les sciences « omiques » pour boucler la boucle vise donc à démontrer les avantages obtenus grâce au recyclage des déchets à travers des bioréacteurs, tels que les champignons, les insectes comestibles et les systèmes de compostage, permettant la substitution d’éléments agrochimiques et la production de nouveaux produits alimentaires.
Pour ce faire, le projet fait appel à différentes approches « omiques », comme la génomique, la transcriptomique, la métabolomique, la protéomique et la phénomique. Celles-ci permettent de rechercher les éléments biologiques qui sont présents dans les résidus, comme les gènes, les métabolites, les enzymes ou les protéines. Il s’agit de mieux cerner les processus microbiologiques existants et qui demeurent à ce jour opaques.
« Quand on parle de génomique et d’alimentation, on pense souvent aux aliments génétiquement modifiés, qui ont une connotation négative. Pourtant, les applications génomiques ont une branche de la génétique qui permettent de détecter les bactéries qui sont bénéfiques ou celles qui peuvent engendrer des maladies et de ce fait, d’éviter le gaspillage alimentaire, ainsi que de sélectionner des souches qui sont les plus productives, » indique Maxime Fortin Faubert.
À titre d’exemple, il ajoute que lorsque l’on récolte des champignons qui ont poussé dans de la paille, celle-ci devient ensuite un déchet. De nombreux microorganismes peuvent toutefois encore s’y trouver. Leur caractérisation permet de déterminer s’ils seront favorables ou néfastes à la croissance des végétaux, si on les utilise comme un amendement de sol.
Acteur.rice.s mobilisé.e.s
Le projet de recherche fera interagir trois catégories d’acteur.rice.s. Les premières sont des entreprises agroalimentaires impliquées dans la transformation de fruits et de légumes, la boulangerie, le brassage de la bière ou encore la logistique de collecte et de transformation.
Elles généreront des matières premières pour les exploitants de bioréacteurs impliqués dans le compostage sur site, la culture de champignons ou l’élevage d’insectes. Le compost, le substrat épuisés de culture de champignons et le fumier d’insectes une fois produits seront utilisés en tant qu’amendements ou fertilisants. Ils bénéficieront aux vignes et aux légumes sur les toits urbains, par exemple.
Les fermes de champignons montréalaises fourniront ainsi des substrats usés, qui seront analysés par les chercheur.euse.s afin de déterminer les façons de les valoriser au sein de l’agriculture, comme l’explique la co-fondatrice de Blanc de gris, Dominique Lynch-Gauthier.
« Les entreprises doivent d’abord déterminer les ressources dont elles ont besoin et les déchets qu’elles produisent. Il s’agit ensuite de savoir si elles peuvent être des ressources pour d’autres et si les déchets des autres peuvent être des ressources pour elles-mêmes, » complète Maxime Fortin Faubert.