Le 11 mai dernier, la Chambre des communes a adopté la motion M-44 enjoignant au gouvernement d’élaborer un plan de régularisation du statut des travailleur.euses étranger.ères temporaires. En parallèle, Justin Trudeau a mandaté le ministre de l’Immigration d’explorer l’attribution de la résidence permanente aux personnes sans statut. Le gouvernement fédéral a donc une occasion historique d’accorder la résidence permanente aux 1,7 million de personnes à statut migratoire précaire ou irrégulier vivant au Canada, selon le Migrant Rights Network.
Dans un contexte de crise climatique, la régularisation des personnes sans statut est une question d’équité élémentaire. Notamment, les émissions de gaz à effet de serre (GES) historiques et actuelles du Canada le rendent largement responsable de la crise – il a été le 9e pays émetteur de GES entre 1973 et 2012, devançant des géants démographiques comme le Brésil et l’Indonésie, alors que sa population ne compte que pour environ 0,5 % du total mondial1. Il est également fondamental de prendre en compte le processus plus ancien d’industrialisation, largement rendu possible grâce au charbon, puisque les excédents de GES émis il y a un siècle demeurent dans l’atmosphère. Aujourd’hui, les changements climatiques raréfient les ressources alimentaires et en eau déjà limitées et exacerbent les écarts socio-économiques, si bien que l’Institute for Economics and Peace estime que 1,2 milliard de personnes sont à risque d’être forcées de se déplacer en raison de catastrophes naturelles liées au climat d’ici 20502.
En plus d’être à la racine du chaos climatique, les tendances de consommation de la population canadienne reposent sur la surexploitation des humains ainsi que des ressources naturelles.
La plupart des biens de consommation proviennent de l’exploitation de travailleur.euses du Sud, contraint.e.s à des conditions intolérables au sein d’usines d’États qu’on a pris l’habitude d’appeler « pays-ateliers ». C’est sans oublier que le Canada abritait en 2012 à lui seul environ 75 % des entreprises d’exploration et d’exploitation minière de la planète3, qui ont la réputation internationale de bafouer les droits de la personne des populations locales au mépris de leurs obligations juridiques, de dévaster les écosystèmes et de nourrir l’instabilité politique et les conflits violents, motivant et forçant nombre de migrations4.
En plus d’être à la racine du chaos climatique, les tendances de consommation de la population canadienne reposent sur la surexploitation des humains ainsi que des ressources naturelles.
Les personnes migrantes qui arrivent dans les pays occidentaux, souvent exploitées par des passeurs et des agences de placement, sont vulnérables face à un système d’immigration qui se permet de sélectionner celles et ceux qui ont le droit d’exister dignement sur le territoire. La criminalisation des personnes sans statut les empêche d’avoir accès aux soins de santé, aux services publics et sociaux et de se protéger contre les abus. Démunies, elles sont très souvent exploitées par des employeurs qui menacent de les dénoncer si elles refusent d’être maltraitées. Leur maintien délibéré dans l’illégalité permet, voire encourage, des conditions qui s’apparentent à l’esclavage moderne et au travail forcé comme défini par l’Organisation internationale du travail5.
La société canadienne profite éhontément de l’exploitation des personnes sans statut. Par exemple, Mamadou Konaté, originaire de la Côte-d’Ivoire, a travaillé en CHSLD pendant la pandémie. Malgré son dévouement, il est sans cesse menacé d’expulsion.
Les « travailleurs essentiels », dont la majorité sont des personnes à statut précaire, comblent les emplois les plus ingrats et jouent un rôle économique fondamental, mais l’État persiste à leur refuser la résidence permanente.
Les « travailleurs essentiels », dont la majorité sont des personnes à statut précaire, comblent les emplois les plus ingrats et jouent un rôle économique fondamental, mais l’État persiste à leur refuser la résidence permanente.
Il est néanmoins dangereux de leur accorder des droits uniquement en fonction d’une certaine conception du mérite fondée sur le travail. La dignité humaine n’a de sens que si elle est universelle et intrinsèque à chaque personne, indépendamment de sa productivité.
La crise climatique commande une détermination sans faille à défendre les droits de la personne, sans quoi les pays occidentaux risquent de rationaliser leur position de forteresses climatisées se prémunissant contre une humanité agonisante. Les frontières ne pourront pas non plus éternellement servir de rempart préservant le Canada de la violence et de la dévastation qu’il sème lui-même à travers ses comportements vandales.
La crise climatique commande une détermination sans faille à défendre les droits de la personne, sans quoi les pays occidentaux risquent de rationaliser leur position de forteresses climatisées se prémunissant contre une humanité agonisante.
La régularisation de 1,7 million de personnes résidant déjà au Canada dépasse les bornes pour plusieurs, mais elle apparaît très modérée face au cruel jusqu’auboutisme que camouflerait le choix de l’indifférence. C’est la moindre des choses pour un pays qui croit ne serait-ce que minimalement aux principes des droits de la personne.
1. Consultez l’étude de l’École de politique appliquée de l’Université Sherbrooke
2. Consultez l’étude de l’Institute for Economics and Peace (en anglais)
3. Alain Deneault et William Sacher, Paradis sous terre, Montréal, Écosociété, 2012, 194 pages
4. Consultez l’étude du Business and Human Rights Resource Centre (en anglais)
5. Consultez l’étude de l’Organisation internationale du travail (en anglais)