Montréal – Réagissant aux propos du journaliste Jean-François Cliche dans sa chronique D’autisme, de pesticides et de PR parue dans Le Soleil le 11 septembre dernier, la cheffe de projets scientifiques de la Fondation David Suzuki, Louise Hénault-Ethier, tient à répondre point par point comme suit :

Le journaliste écrit « On déplore constamment que la science a de la misère à se frayer un chemin jusque dans les débats publics. » Il est en effet regrettable que la science peine à se frayer un chemin dans les débats publics. Il est encore plus regrettable que lorsque la science s’invite dans les débats de société, certains acteurs qui se vantent d’en promouvoir le mérite fassent du déni systématique et attaquent la réputation d’organisations qui s’affairent à vulgariser la science à l’attention du public et des décideurs.

Ne faites pas dire à une étude ce qu’elle n’a pas dit

Dans la phrase suivante, et qui est centrale à son argumentation, M. Cliche fait dire à cette revue de littérature scientifique ce qu’elle n’a pas dit. Ce faisant, le journaliste répand de fausses informations : « [l’étude] montre explicitement du doigt les pesticides comme une cause majeure, sinon la principale, de la hausse fulgurante des diagnostics d’autisme au cours des 20 dernières années. »

La hausse alarmante des cas d’autisme est une prémisse qui précède une interrogation scientifiquement valide : peut-on mieux comprendre les enjeux associés aux multiples facteurs évoqués comme étant des déclencheurs probables en passant en revue la littérature scientifique ?

Des corrélations statistiques entre les pesticides et l’autisme

L’étude réalisée par la Fondation David Suzuki et Autisme Montréal cite d’emblée les hypothèses avancées par divers spécialistes, soit les facteurs génétiques, les enjeux de dépistage et les causes environnementales. Toute étude sérieuse se doit de bien définir ses limites. Nous avons circonscrit le cadre de notre étude sur la part qui serait attribuable à la vulnérabilité aux facteurs environnementaux, plus précisément aux pesticides parce que « selon des études épidémiologiques sur les substances toxiques présentes dans l’environnement, le développement de l’autisme serait fréquemment associé à l’exposition aux pesticides [1, 7, 16-20, 23, 24, 35, 36, 39].» Ces études épidémiologiques quantifient l’exposition aux pesticides de façon indirecte soit en évaluant la proximité des maisons des sites d’application des pesticides, soit en dosant les pesticides comme dans l’urine. Voilà donc le premier niveau de preuve qui relie statistiquement les pesticides et l’autisme. On fait ici état de corrélations. Mathématiquement parlant, on dit qu’il y a une corrélation quand deux variables changent ensemble d’une façon significative.

On ne peut inférer dans aucune circonstance qu’une corrélation mathématique, en l’occurrence entre l’exposition aux pesticides et le risque accru d’autisme, sous-tend nécessairement un lien de causalité. Cette erreur épistémologique est pourtant présente dans le texte de M. Cliche. Il s’agit d’une erreur fréquente chez ceux qui n’ont pas de formation scientifique ou statistique poussée. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle nous avons pris soin de bien expliquer les tenants et aboutissants de notre recherche aux journalistes. Par exemple, le Journal de Montréal démontre avoir bien compris notre démarche quand il cite ma réponse quant aux limites de cette corrélation : «Je ne peux pas répondre sans équivoque : “les pesticides causent l’autisme”. Scientifiquement, je n’ai pas le droit. » Il est donc étonnant que M. Cliche ait tiré des conclusions contraires au sujet de notre étude dans l’introduction de son billet, lui qui avait pourtant repris cette citation.

Lorsque des études épidémiologiques suggèrent une corrélation entre un facteur environnemental et un enjeu de santé, le premier réflexe ne devrait pas être d’essayer de discréditer ce lien statistique, ou de ridiculiser les personnes qui l’expriment. Notez toutefois que c’est une tactique communément déployée par l’industrie pour nier des conséquences dévastatrices d’enjeux majeurs comme les changements climatiques ou le tabagisme. En effet, dès 1964, il y avait amplement d’évidence épidémiologique suggérant un lien entre le tabagisme et le cancer, mais à ce moment, il était impossible de répliquer des tumeurs similaires dans des modèles animaux exposés à la fumée du tabac. Personne ne remet aujourd’hui en question la conclusion de cette histoire, mais pendant plusieurs années de débats sur ce lien de causalité, on a failli à appliquer le principe de précaution et ce sont des milliers de personnes qui en ont subi les conséquences délétères.

Pour citer un autre exemple plus près de l’enjeu des pesticides et de la neurotoxicité qui sont au cœur de l’argumentaire du présent écrit, nous pourrions aussi parler de Parkinson dont souffrent aujourd’hui 25 000 Québécois. Dans plus de 90% des cas, la maladie de Parkinson, une maladie neurodégénérative incurable, serait déclenchée par une interaction entre des facteurs environnementaux et une susceptibilité génétique individuelle.  L’exposition chronique à de faibles niveaux d’agents neurotoxiques, comme plusieurs pesticides, y est associée. Plus d’une centaine d’études ont été publiées sur le sujet entre 1983 et 2019. Même si les résultats des études épidémiologiques des 30 dernières années sont disparates et parfois discordants, pas moins de 8 méta-analyses ont conclu que l’exposition aux pesticides double quasiment le risque de développer la maladie de Parkinson entre 2000 et 2019. En 2012, la France reconnaît enfin qu’il s’agit là d’une maladie professionnelle dont sont victimes les agriculteurs. Mais malgré les conclusions des études, les autres citoyens exposés dans leur quotidien ne bénéficient d’aucune protection. De plus, l’exposition durant l’enfance multiplierait jusqu’à 6 fois le risque de développer la maladie de Parkinson.

Il aura fallu 30 décennies pour confirmer le lien de causalité aujourd’hui unanimement reconnu par les spécialistes. Maladie neurologique rare pour une grande partie de l’histoire de l’humanité, elle est en voie de devenir un fléau mondial : entre 1990 et 2015, le nombre de personnes dans le monde souffrant de Parkinson a doublé (pour atteindre 6 millions de patients), et devrait encore doubler d’ici 2040 selon les projections.

L’autisme : un trouble du développement multifactoriel

L’étude sur les causes génétiques de l’autisme a débuté dans les années ’70. Mais on s’est rapidement rendu compte que les gènes ne pouvaient pas être les seuls responsables, et la théorie de la prédisposition génétique à des vulnérabilités à des facteurs environnementaux est maintenant bien ancrée. Sur le site de la Fédération québécoise de l’autisme on l’explique d’ailleurs clairement : « L’étiologie de l’autisme est encore mal connue, mais il semble y avoir consensus dans la communauté médicale pour admettre la multiplicité de ses causes et son origine organique (par opposition à l’hypothèse psychogénétique). L’évidence d’une prédisposition génétique a été prouvée. » Ce n’est donc ni l’un ni l’autre de ces facteurs, mais bien une combinaison entre les deux. L’étude sur les causes environnementales de l’autisme a débuté il y a à peine une décennie. Pas étonnant donc que l’on n’ait pas encore confirmé, ou infirmé, hors de tout doute le rôle que différents facteurs environnementaux pouvaient jouer dans son développement.

Établir un lien de causalité

Pour déterminer hors de tout doute s’il y a un lien de causalité entre les pesticides et l’autisme, il faut satisfaire plusieurs critères. Il faut par exemple voir si plusieurs études épidémiologiques indépendantes ont des conclusions qui concordent. Dans notre revue de littérature, nous avons recensé les études scientifiques et observé qu’en effet, ce n’est pas une seule étude qui fait état de corrélations, mais bien plusieurs qui suggèrent ce lien.

L’existence d’une relation dose-réponse est un des éléments de preuve supplémentaire souvent évoqué pour déterminer la causalité. Certaines études suggèrent en effet qu’une exposition accrue aux pesticides est associée à un risque plus élevé de développer l’autisme. « Une analyse documentaire exhaustive a permis de mettre en lumière une association entre une forte exposition aux composés organophosphorés et une atteinte du développement neurologique (dans 26 études sur 27).Cette réaction était proportionnelle à la dose dans 11 des 12 études qui évaluaient l’exposition à ces composés [23]. » Mais la quantification de notre exposition aux pesticides n’est pas une mince tâche parce que nous y sommes la plupart du temps exposés à notre insu. Des tests sanguins ou sur notre urine permettent de faire une photo instantanée de la quantité de pesticides qui sont dans notre corps à un moment donné. De surcroît, dans le cas de l’autisme, il faut quantifier l’exposition de la mère enceinte et attendre plusieurs années pour voir si son enfant développera l’autisme. Cela demande donc des décennies de recherche, et comme l’autisme est relativement rare, on suivra pendant de nombreuses années une très grande cohorte de gens sans aucune garantie sur le nombre de cas d’autisme qui seront déclarés. Ce sont donc des études très coûteuses dont les résultats ne sont pas assurés.

Comme l’indiquait Maryse Bouchard, chercheure à l’Université de Montréal, dans un rapport publié il y a déjà 5 ans : « De récentes données suggèrent que l’épandage de pesticides puisse augmenter le risque de TSA [trouble du spectre de l’autisme]. (…) D’autres études sur de plus grands échantillons sont nécessaires pour confirmer ces résultats et conclure avec certitude que l’exposition aux pesticides cause une augmentation du risque de TSA.»

Le billet de Cliche déforme les faits et fait des attaques injustifiées à la réputation de la Fondation David Suzuki

Nous demandons une rétractation à M. Cliche spécifiquement sur cette affirmation : « la Fondation David Suzuki est partie avec une conclusion choisie à l’avance, qui cadrait avec son idéologie et avec le message politique et alarmiste qu’elle voulait véhiculer, alors elle s’est fabriqué une «revue de littérature» taillée sur mesure. »

Le journaliste poursuit : « À sa décharge, le document comporte une section «Méthodologie» où l’on peut lire que la revue a été faite en utilisant uniquement des noms de pesticides comme mots-clefs. »

Nous tenons à préciser que la section méthodologie est en adéquation avec les objectifs explicités pour cette l’étude, à savoir s’il y a un lien entre les pesticides et l’autisme dans les articles scientifiques.

M. Cliche conclut : « Après avoir martelé le message alarmiste « les pesticides causent l’autisme » sur toutes les tribunes disponibles (et en sachant très bien qu’il serait souvent relayé tel quel dans les médias et sur les réseaux sociaux), il suffirait d’une petite phrase pour faire semblant qu’on n’a pas dit ce qu’on vient de dire?»

Cette conclusion et non seulement fausse : elle s’aventure dans le terrain de la diffamation. Los de la séance d’information technique qui a précédé la publication de l’étude, deux des auteurs avons passé trois heures avec les journalistes qui se sont intéressés à notre recherche pour bien leur expliquer les nuances de l’étude. Nous nous sommes soumis à l’exercice avec une grande ouverture et avons répondu à un nombre considérable de questions sur nos notre méthodologie et nos conclusions.

Un autre argument que le journaliste utilise pour discréditer notre recherche est en lien avec la bibliographie utilisée. « La bibliographie du rapport comporte bel et bien 158 références, mais ces «158 études» ne sont pas toutes des études à proprement parler, et celles qui en sont ne portent pas toutes sur le lien allégué entre les pesticides et l’autisme. »

Cet argument est fallacieux. Pour introduire ou expliquer un concept, il faut parfois chercher des références complémentaires. Les rapports gouvernementaux sont essentiels pour retracer la prévalence de l’autisme ou le statut d’homologation d’ingrédients actifs entrant dans la composition des produits pesticides. Certaines études scientifiques plus pointues nous aident à mieux décrire des mécanismes d’actions biochimiques comme l’inflammation ou la fonction mitochondriale. Ce serait impossible pour les chercheurs de ne tenir compte que des études qui parlent de pesticides et d’autisme pour bien cadrer la problématique et en expliquer les détails.

M. Cliche énumère et décrit ensuite les études scientifiques citées comme « pas toutes pertinentes » en référant spécifiquement à des études qui lient l’autisme et le DDT et le chlorpyrifos. Il discrédite d’avoir parlé du DDT en indiquant qu’il a été banni au Canada dans les années 70. Bien qu’il ait été banni au Canada il y a longtemps, le DDT est toujours utilisé à travers le monde. Par ailleurs, ce pesticide incroyablement persistant est toujours présent dans notre environnement de longues années après son interdiction. Une organisation belge vient justement de publier un rapport faisant état de la présence de DDT, avec plus d’une trentaine d’autres pesticides, toujours présent dans le nid d’oisillons morts. Un autre article publié plus tôt cet été montre que le DDT résiduel dans les sédiments de lacs canadiens (au Nouveau-Brunswick) est toujours présent à des concentrations nocives pour les poissons, les grenouilles, et d’autres formes de vie aquatique. Mais le DDT n’est pas qu’une menace toujours d’actualité pour la faune, elle l’est aussi encore fortement pour les populations humaines. Une étude de 2019 a quantifié le DDT dans le sérum sanguin de 250 mères vivant dans l’arctique Russe. On y précise que cette population est fortement exposée au DDT et que les concentrations mesurées dans cette étude sont similaires à celles mesurées au Canada. L’étude conclut que la présence de DDT est associée à des changements dans les caractéristiques anthropométriques des nouveau-nés. De surcroît, puisque les effets du DDT peuvent se faire sentir sur plus d’une génération, il est impertinent de dire que de discuter des conséquences délétères de ce produit n’est plus d’actualité.

M. Cliche questionne ensuite la pertinence d’avoir abordé le lien le chlorpyrifos sous prétexte que « le Canada s’apprête déjà à interdire la plupart des usages agricoles. » Premièrement, l’Agence de réglementation sur la lutte antiparasitaire de « Santé Canada propose de révoquer plusieurs utilisations du chlorpyrifos en raison de risques pour l’environnement, et de maintenir l’homologation de quelques utilisations jugées acceptables au Canada. » Ce projet de décision a fait l’objet d’une consultation qui s’est clôturée de 29 août dernier. Il est possible que Santé Canada modifie le contenu final de sa proposition, qui de toute façon ne vise aucunement l’interdiction complète de cette substance active. Il ne faut pas vendre la peau de l’ours avant de l’avoir tué. Surtout dans le cas du chlorpyrifos. Sous l’ère Obama, les scientifiques de l’EPA avaient conclu que le chlorpyrifos était trop nocif pour la santé humaine et l’environnement, mais lorsque l’administration Trump est entrée au pouvoir, le plan de retrait de cet ingrédient actif a été cancellé. Dans un jugement historique, la cour américaine a autorisé une poursuite du Center for Biological Diversity et du Pesticide Action Network North America contre l’agence américaine de protection de l’environnement (EPA), soutenant qu’elle a failli à la protection des espèces de plantes et d’animaux rares et menacées en autorisant l’utilisation de pesticides hautement toxiques. Le chlorpyrifos pourrait nuire à 97% des espèces menacées.

Le gouvernement du Québec s’inquiète aussi des usages du chlorpyrifos, parce que ce produit figure au top 5 des pesticides les plus à risque pour l’environnement et la santé humaine. Son usage nécessite maintenant une justification agronomique et une prescription selon les dernières modifications du Règlement sur les permis et les certificats pour la vente et l’utilisation des pesticides. Par ailleurs, lorsque le chlorpyrifos se dégrade dans l’environnement, ses sous-produits de dégradation pourraient avoir une toxicité encore plus grande et ils maintiennent leurs effets neurotoxiques sur le développement.

M. Cliche s’indigne aussi de la citation des travaux des auteurs controversés Samsel et Seneff. Tel que stipulé dans la méthodologie, nous n’avons pas intentionnellement omis d’étude. Nous avons plutôt clairement cité le fait que ces travaux sont remis en question dans la communauté scientifique et que des études supplémentaires sont nécessaires pour évaluer leur fondement. « Certains ont avancé que les mécanismes proposés par l’équipe d’Anthony Samsel et de Stephanie Seneff étaient fondés sur des suppositions. Toutefois, même les critiques virulents de ces hypothèses insistent sur la nécessité de réaliser des études scientifiques plus exhaustives pour éclairer ce débat. » (Page 40)

M. Cliche répète qu’il y a « d’authentiques études faites par des chercheurs sérieux qui suggèrent un lien possible entre l’autisme et les pesticides. On ne peut pas dire que le rapport de la Fondation David-Suzuki est basé uniquement sur du vent. » Cette reconnaissance de la pertinence l’étude est importante à souligner, malgré le ton acerbe de son billet. Il est impératif que des études avancées de neurotoxicité soient exigées pour l’ensemble des pesticides pour lesquels il existe des corrélations avec des problèmes de neurotoxicité développementale. En attendant que de plus amples études éclaircissent le lien potentiel entre pesticides et autisme, l’usage du principe de précaution est de mise. Réduire la pression des pesticides entraînera des cobénéfices pour une panoplie d’autres problèmes de santé humaine et environnementale.

Dans sa chronique d’actualité Le citoyen face à la science du 11 septembre, le journaliste Simon Jodoin reprend les arguments de Jean-François Cliche sans en avoir validé l’intégrité et sans avoir tenté d’éclaircir les faits auprès de ses auteurs. Diffusée à heure de grande écoute par Radio-Canada, cette chronique mérite un droit de réponse équitable pour rétablir les faits.

Nous tenons à réitérer que la Fondation David Suzuki et les chercheurs avec lesquels elle collabore dans le cadre de ses recherches et ses publications continueront d’adhérer aux principes éthiques et épistémologiques les plus élevés.

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Pour d’autres informations :

Diego Creimer, affaires publiques et communications, 514-999-6743 dcreimer@davidsuzuki.org